La dévotion sincère

Déc 23, 2023 par

Prof. Dr. Hasan Kamil YILMAZ

Le fait d’appartenir à une religion, de se considérer comme un adepte d’un groupe religieux dénote d’un sentiment inné, d’une manifestation de l’instinct d’appartenance et d’affiliation qui existe en chaque être. Cependant, être en mesure de purifier son âme et de préserver sa pratique religieuse contre les passions de l’égo, les intérêts mondains et tout ce qui ne renvoie pas à la notion de Dieu demeure l’œuvre et la particularité des serviteurs qui ont atteint une certaine maturité intellectuelle et spirituelle. Car, la dévotion et la vie religieuse sont une affaire de cœur, de sentiments. Les émotions humaines sont souvent complexes. Elles dépendent de l’influence d’un certain nombre de facteurs internes et externes. À cet égard, seuls ceux qui résistent aux influences négatives internes et externes, et persévèrent sans relâche dans la voie de l’agrément divin et de la rencontre avec le Seigneur accèderont au salut éternel.

En ce qui concerne la sincérité, elle consiste à faire un travail, à accomplir un acte d’adoration ou à observer un comportement pour une raison unique sans y mêler d’autres causes et intentions. Dans notre contexte, il est question de jauger le cœur et de distiller ses intentions à l’alambic pour les rendre pures et sincères avant d’accomplir tout acte d’adoration et toute bonne action, de sorte que les intentions du cœur ne soient souillées par aucune once d’ostentation ou atteintes par une carence de sincérité. Car, tout acte d’adoration accompli pour un intérêt autre que Dieu ne peut être sanctionné par le sceau de la « sincérité » en termes de qualité.

La sincérité est comme le lait qui est filtré des aliments dans le rumen et sort tout propre en passant près des vaisseaux sanguins. Tout comme le lait souillé de sang ou et de saletés est à même de troubler l’estomac, il en est de même pour un acte d’adoration dépourvu de sincérité. La sincérité est l’état qui émane du royaume du cœur pur et limpide, après avoir été purifié des déchets de l’âme polluée par les désirs et passions vicieuses.

La dévotion pure a deux fondements : la véracité et la sincérité. La sincérité consiste en l’adoration, la dévotion et la servitude envers Dieu rien que pour Dieu. Quant à la véracité, c’est l’observation de la dévotion conformément à la Sunna et au modèle du Prophète r. En fait, Allah Tout-Puissant dit :

 « Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur. »[1]

 « Qui est meilleur en religion que celui qui soumet à Allah son être. »[2]

En effet, selon les Soufis, pour le serviteur, il y a ce qui est demandé et ce qui est visé. La véracité est ce qui est demandé et la sincérité est ce qui est visé. La véracité est la caractéristique fondamentale de laquelle naît la sincérité. Cela signifie que la sincérité est liée à la véracité. La sincérité se manifeste juste après le commencement de l’accomplissement d’une action. Ce qu’il faut au serviteur, c’est la sincérité. Tout comme l’action doit être motivée par une intention sincère, elle doit aussi être noble.

La vraie sincérité, c’est quand un serviteur voit sa sincérité et s’efforce de rester sincère. C’est le fait de faire fi de son ego en termes d’adoration et d’obéissance. Car tout ce qui est en dehors de la sincérité au nom de Dieu est intérêt. Les passions vicieuses sont les aspirations de l’âme, tandis que la sincérité est l’aspiration vers Allah Tout-Puissant. Par conséquent, il est nécessaire d’avoir une compréhension qui puisse permettre de distinguer du désir de l’âme du désir de Dieu. Le moyen d’y parvenir demeure la connaissance de la sincérité qui est obligatoire pour tout le monde.

Grâce à la science de la sincérité, l’homme parvient à connaître les états et les maux de l’âme qui rendent vaines ses bonnes actions. Car, tout comme il a été recommandé à l’homme d’accomplir de bonnes actions, il lui a été également recommandé de les accomplir avec sincérité. En fait, il est cité dans le Coran : « Il ne leur a été commandé, cependant, que d’adorer Allah, Lui vouant un culte exclusif. »[3]

Les ruses et astuces de l’âme sapent les fondements de la sincérité, c’est-à-dire la piété pure. Pour cette raison, il a obligation de chercher à connaître à la fois la sincérité et les éléments qui la détruisent. Car, « les moyens qui permettent d’accomplir l’obligatoire sont aussi comme obligatoires. »

Junayd al-Baghdadî dit : « Al-ikhlâs (la sincérité pure) consiste à rejeter tout ce qui est en dehors de Dieu en traitant avec Lui, pour n’être qu’avec Lui Seul ».

Un dicton parfois attribué à Junayd et parfois à Abû Ya’qûb al-Susi est le suivant : « La sincérité est un secret qu’un ange ne peut sonder pour en écrire les récompenses, que Satan ne peut connaître pour révéler, et que l’âme ne peut détecter pour manipuler. »

Dans un hadith sharif rapporté par Hudhayfa al-Yamânî, il est indiqué que la sincérité est un mystère d’origine divine. En fait, Hudhayfa a demandé : « Ô Messager d’Allah, qu’est-ce que la sincérité ? L’Envoyé de Dieu a répondu : La sincérité est un secret divin que je place dans le cœur de mes serviteurs bien-aimés. »[4]

La sincérité signifie ne commettre aucun acte juste pour satisfaire les passions de l’âme, ne pas attendre un quelconque avantage ou intérêt mondain pour l’acte accompli. L’une des significations de la sincérité est de se détourner des mauvaises croyances. La plus grande des mauvaises croyances est de croire qu’Allah a un associé.

Dhul-Nûn al-Misrî a dit : « Trois choses sont des signes d’une sincérité pure :

1- Être indifférent tant aux éloges qu’aux dénigrements des gens à notre sujet,

2- Accomplir de bonnes actions sans en tenir compte,

3- Oublier l’idée que les bonnes actions auront une récompense dans l’Au-delà. »

En fait, c’est ce que le noble Compagnon Abû Bakr t a essayé d’exprimer à travers ces mots : « J’ai vu deux groupes de personnes. L’un est celui de ceux qui désirent ce bas-monde et l’autre celui de ceux qui désirent l’Au-delà ; quant à moi, je ne suis un amoureux ni de ce bas-monde ni de l’Au-delà. Moi, je ne veux absolument rien d’autre sinon Dieu. »

La même pensée a été exprimée ainsi par Hazrat Hudâyî :

Les amoureux de la vie présente désirent ce bas-monde,

Ceux de la vie future désirent l’Au-delà,

Ils désirent tous quelque chose,

Moi, je ne désire que mon Dieu.

Abû ‘Uthmân al-Maghribî a aussi dit :

« La sincérité consiste à ne laisser aucune part à la passion de l’âme dans l’accomplissement d’une bonne action. Telle est la vertu des gens ordinaires. Quant à la sincérité des serviteurs distingués, c’est un état qui se produit spontanément sans aucun effort particulier de leur part. Ces derniers accomplissent un grand nombre d’actes d’adoration et de bonnes actions, mais ils n’en tiennent même pas compte. Ils ne font pas le compte de leurs bonnes actions. Ils sont appelés « Mukhlis » dans le langage du Coran. En fait, le Coran parle d’eux dans les versets[5] qui relatent le fait que Satan avait demandé l’autorisation de faire obstacle aux fils d’Adam sur le chemin de droiture afin de les égarer, de même que dans le verset suivant :

« (Allah) dit : « Tu es de ceux à qui un délai est accordé, jusqu’au jour de l’Instant bien Connu. » « Par Ta puissance ! dit [Satan]. Je les séduirai assurément tous, sauf Tes serviteurs élus parmi eux. »« [6]

Bien sûr, il existe une différence entre le serviteur sincère qui essaie d’atteindre la sincérité par ses propres efforts et le serviteur sincère qui a atteint la sincérité avec l’aide de Dieu. Quand Allah souhaite rendre la sincérité du serviteur pure, Il enlève de son cœur le sentiment de considération de sa sincérité. Ainsi, le serviteur devient l’un des dévoués sincères qui jouissent de la sincérité par la grâce d’Allah.

C’est pourquoi il existe une parole dans la tradition soufie qui stipule :

« L’hypocrisie des sages vertueux vaut mieux que la sincérité des disciples (gens ordinaires). »

Puisque le sage vertueux n’est pas conscient de sa sincérité, il ne l’est pas non plus de son hypocrisie dans ses actions. Mais aussi longtemps que le disciple cherchera à atteindre la sincérité, il sera toujours conscient de sa sincérité. Tant qu’on est conscient de notre sincérité, on perd la sincérité. D’ailleurs, la vraie sincérité consiste à faire fi des créatures pour ne considérer constamment que Dieu.

Az-Zaqqaq, l’un des plus éminents adeptes du soufisme, a évalué la sincérité comme suit :

« La personne qui jouit de la sincérité ne devrait pas tenir compte de sa sincérité. Le fait de tenir compte de sa sincérité est une indication de l’imperfection dans la sincérité. Car, c’est Allah Tout-Puissant Lui-Même qui préserve le serviteur sincère contre les mauvaises intentions et les pensées d’intérêt mondain et élève ce dernier à ce rang en le protégeant. Le contraire de la sincérité est l’hypocrisie. L’hypocrisie est le puits dans lequel tombe la plupart des gens. Dans de nombreux hadiths, l’hypocrisie est considérée comme « un polythéisme latent ».[7]

Parfois, l’hypocrisie est aussi appelée « le plus petit polythéisme ». En fait, il est mentionné dans un hadith : « Ma plus grande préoccupation à votre sujet est le plus petit polythéisme qui est l’hypocrisie. Le Jour du Jugement, quand les serviteurs seront jugés à propos de leurs actes, Allah commandera aux hypocrites : Allez demander votre récompense aux actes que vous accomplissiez par ostentation ! Voyons si vous pourrez les trouver ? »[8]

Selon une narration venant de Safwan b. Asal, le Messager d’Allah r a dit : « Le Jour du Jugement, la sincérité et le polythéisme seront amenés en présence de Dieu, et Allah dira à la sincérité : « Toi et tes adeptes, entrez au Paradis ! » Et au polythéisme « Toi aussi et tes adeptes allez en enfer ! » »[9]

Quand un dévot fidèle, qui n’a pas encore atteint le degré de la « sincérité pure », s’accroche à la véracité et la sincérité, il atteint les dimensions atteintes par les amis de Dieu. Il n’y a pas de moyen plus efficace pour être habité par la véracité et la sincérité que d’obéir dûment aux injonctions de la religion et de se détourner des éloges des gens. Les éloges des gens peuvent à tout moment nous faire trébucher et nous égarer du droit chemin.

L’un des moyens les plus importants utilisés par l’âme pour rendre vaines les bonnes actions est le plaisir d’être loué, la soif des compliments. Car, si l’âme reçoit des éloges, elle est à même de s’aviser de porter la terre et les cieux. Mais lorsqu’elle est privée de compliments, de privilèges, elle devient immédiatement paresseuse. En effet, selon la rumeur, un ascète aurait prié au premier rang d’une mosquée pendant des années. Cependant, un jour, il a dû se tenir au deuxième rang à cause d’un empêchement. Après cela, il avait cessé de fréquenter la mosquée et la communauté pendant un certain temps. Et lorsqu’on lui en demanda la raison, il répondit :

« Je pensais que j’avais toujours prié avec sincérité dans les prières que j’ai accomplies pendant tant d’années. Mais j’ai été tellement perturbé d’être vu au deuxième rang que j’ai réalisé que j’avais fait preuve d’hypocrisie toute ma vie. C’est pourquoi je suis resté chez moi pour refaire mes anciennes prières. »

Il se trouve aussi une narration d’Abû Muhammad Murta’ish dans ce sens. Il raconte : « J’ai accompli le pèlerinage seul pendant de nombreuses années, endurant des épreuves. Quand ma mère m’a demandé un jour d’apporter de l’eau, ça a été dur pour moi. Je me suis rendu compte qu’il y avait une part des passions de mon âme dans les maintes fois où j’avais accompli le pèlerinage, et que les compliments des gens avaient réduit les épreuves du pèlerinage à mes yeux. Si dans l’accomplissement de ses actes, le serviteur dispose en y mêlant Dieu, les ordres de la Shari’a ne seront pas un poids lourd pour lui. Ses actes aussi seront dépourvus d’hypocrisie. On voit que la dévotion sincère n’est pas une tâche facile ; de même, aimer être considéré par les gens comme « un religieux » et être apprécié et respecté nuit à la sincérité des actions. Surtout, il n’est pas approprié de mentionner la religiosité dans le même contexte que certaines activités d’intérêts mondains telles que le commerce et la politique. Parce que la religion, la piété et la sincérité ne sont que pour Dieu Seul.


[1] Sourate Al-Kahf, verset 110.

[2] Sourate An-Nisâ’, verset 125.

[3] Sourate Al-Bayyina, verset 5.

[4] Al-Zabidî, Ithâfu’s-sada, XIII, 80-82.

[5] Sourate Al-A’râf, versets 14-17.

[6] Sourate Sâd, versets 80-83.

[7] Voir Ibn Mâja, Zuhd, 21 ; Ibn Hanbal, III, 30.

[8] Ibn Hanbal, V,428,429.

[9] Avârif, Trad, p. 266.

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