La responsabilité des riches musulmans en période difficile
Ahmet Hamdi Yıldırım
Le fait de faire don du surplus de nos biens est certes une vertu, mais le but principal est de faire preuve d’altruisme, c’est-à-dire de surpasser son instinct égoïste et de donner aux autres ce que l’on possède, même lorsqu’on est dans le besoin. L’altruisme consiste donc à œuvrer pour dissiper les soucis d’autrui en ayant soi-même des besoins. En fait, le secret pour dissiper nos propres soucis réside dans nos efforts pour résoudre les problèmes des autres. En effet, le Saint Coran nous enseigne ceci :
وَالَّذِينَ فِي أَمْوَالِهِمْ حَقٌّ مَّعْلُومٌ لِّلسَّائِلِ وَالْمَحْرُومِ
« Et sur les biens desquels il y a un droit bien déterminé [la Zakat] pour le mendiant et le déshérité. »[1]
Dans l’Islam, tout comme il existe une solution à toutes sortes de problèmes, il en existe aussi pour la pauvreté. La richesse ne consiste pas en la possession des biens, de même que la pauvreté n’est pas synonyme de privation des biens. La véritable richesse est la richesse du cœur, la véritable paix est la paix du cœur et la véritable beauté est la beauté de la personnalité. En fait, notre Auguste Seigneur nous informe Lui-même que la valeur d’une personne auprès de Lui et le rang qu’elle occupera dans l’au-delà ne sont pas liés à la richesse accumulée ou à la possession de beaucoup d’enfants, mais à l’ampleur de ses bonnes actions.
Tout comme la richesse n’est pas un signe d’agrément ou de mérite aux yeux d’Allah, la pauvreté non plus n’est pas un signe de colère divine ou de stupidité. Allah teste les gens avec le bien et le mal, les ennuis et les calamités. Quant à l’homme, il est libre de gérer comme bon lui semble tout ce qui lui arrive de la part du Seigneur. Allah ne nous octroie pas la richesse pour que nous soyons avares ou que nous nous enflions d’orgueil, tout comme Il ne nous rend pas pauvres pour que nous mendiions et vivions comme des parasites dépendamment des autres.
Dans tous les cas, le sort du serviteur auprès d’Allah est déterminé par son comportement envers les autres. Le rappel de cet avertissement coranique s’avère très utile :
فَأَمَّا مَن أَعْطَى وَاتَّقَ وَصَدَّقَ بِالْحُسْنَى فَسَنُيَسِّرُهُ لِلْيُسْرَى وَأَمَّا مَن بَخِلَ وَاسْتَغْنَى وَكَذَّبَ بِالْحُسْنَى فَسَنُيَسِّرُهُ لِلْعُسْرَى وَمَا يُغْنِي عَنْهُ مَالُهُ إِذَا تَرَدَّى
« Celui qui donne et craint (Allah) et déclare véridique la plus belle récompense Nous lui faciliterons la voie au plus grand bonheur. Et quant à celui qui est avare, se dispense (de l’adoration d’Allah), et traite de mensonge la plus belle récompense, Nous lui faciliterons la voie à la plus grande difficulté, et à rien ne lui serviront ses richesses quand il sera jeté (au Feu). »[2]
Malheureusement, depuis la nuit des temps, l’humain a une mauvaise compréhension de la richesse et de la pauvreté ; ce fait étant mentionné dans ce passage coranique :
فَأَمَّا الْإِنسَانُ إِذَا مَا ابْتَلَاهُ رَبُّهُ فَأَكْرَمَهُ وَنَعَّمَهُ فَيَقُولُ رَبِّي أَكْرَمَنِ وَأَمَّا إِذَا مَا ابْتَلَاهُ فَقَدَرَ عَلَيْهِ رِزْقَهُ فَيَقُولُ رَبِّي أَهَانَنِ كَلَّا بَل لَّا تُكْرِمُونَ الْيَتِيمَ
» Quant à l’homme, lorsque son Seigneur l’éprouve en l’honorant et en le comblant de bienfaits, il dit : « Mon Seigneur m’a honoré. » Mais par contre, quand Il l’éprouve en lui restreignant sa subsistance, il dit : « Mon Seigneur m’a avili. » Mais non ! C’est vous plutôt, qui n’êtes pas généreux envers les orphelins. « [3]
Que nous soyons riches ou pauvres, ce qu’Allah attend de nous, c’est de former une communauté solidaire qui Le craigne, qui est consciente qu’elle rendra compte devant Lui et qu’elle sera rétribuée en conséquence. Malheureusement, tandis qu’il y a des pauvres qui, grâce à leur foi inébranlable et leur conviction, deviennent riches, il y a des riches qui deviennent pauvres à cause de leur avarice et de leur ingratitude.
Le Vrai Propriétaire de la richesse étant Allah, le Seigneur des mondes, Il nous a confié les biens en guise d’épreuve. Les pauvres ont droit à une part de la richesse des riches, et cette part a même été déterminée par le Coran. Cette part particulière peut être la zakat (l’aumône légale) quand elle est bien définie, et lorsqu’elle est donnée sans limite dans les circonstances extraordinaires, il s’agit des dons. En fait, eu égard au verset susmentionné, nous pouvons comprendre que la richesse dont jouit une personne n’appartient pas qu’à elle seule, mais aussi à chaque nécessiteux du milieu dans lequel elle assure sa richesse.
Dans le 5e verset de la sourate An-Nisâ’, il est dit que la richesse est un outil créé pour assurer la survie de la société et que même si elle est détenue que par un nombre limité d’individus, tous les membres de la société y ont une part. Cela montre que tous ceux qui en ont les moyens sont responsables des affamés, des sans-abris et des nécessiteux dans la société.
Chaque serviteur a une responsabilité dans le cadre des moyens et opportunités qu’Allah lui a donnés. Si une personne reste affamée dans la société, c’est à cause de l’irresponsabilité des riches. En fait, Allah a rendu les riches responsables de la subsistance des pauvres. Si l’on rencontre un affamé dont la situation est évidente, c’est sûrement à cause des riches qui ne remplissent pas leurs responsabilités et violent les droits des pauvres. Assurément, Allah leur demandera de rendre compte de cela.
En outre, sachons que la récompense de la charité en période critique n’est pas comparable à celle faite en période normale. Voler au secours et protéger les pauvres, les démunis et les personnes sans défense et nécessiteuses en temps de famine, de sécheresse, de calamités et de catastrophes naturelles constituent un investissement pour l’au-delà infiniment incomparable à la charité en temps ordinaire. La richesse et la santé sont des opportunités énormes pour investir pour la vie future. Si l’homme profite dûment de ces opportunités en servant la communauté pour la cause divine, il récoltera dans la vie des gains incommensurables.
Parmi les compagnons qui ont fait de la richesse un capital pour l’au-delà, le noble compagnon Abû Bakr t se situe en tête. En dépensant toute sa richesse pour Allah et Son Messager r durant les moments les plus difficiles, il a mérité le titre de l’investisseur le plus prospère de tous les temps. Et lorsqu’on lui a demandé ce qu’il avait laissé à sa famille, il a répondu : « J’ai laissé Allah et Son Messager. » Il démontra ainsi que la vraie richesse réside dans la foi/confiance en Allah.
L’un des nombreux compagnons parmi les plus exemplaires est sans conteste le tendre compagnon Othmân t. Pendant le califat de ‘Umar t, il y eut une grande famine à Médine. Durant cette période, une caravane de chameaux transportant des marchandises au nom d’Othmân t arriva à Médine depuis Damas. Les commerçants se rendirent auprès d’Othmân et lui proposèrent d’acheter toutes les marchandises. Certains lui proposèrent de les acheter avec un surplus de 5% sur le prix normal, d’autres avec 10%, 30% et même 50%. Quant à lui, il déclinait à chaque fois les offres en déclarant qu’il y avait plus offrant. Finalement, il leur dit : « Comment puis-je me contenter de vos simples offres de 5% ou 10% alors qu’Allah offre 700 pour un ? » Ensuite, il déclara qu’il avait donné toute la caravane avec ses chameaux comme aumône aux musulmans pauvres de Médine.
Aujourd’hui, dans notre communauté, il y a beaucoup de personnes bienveillantes qui croient en l’au-delà et s’efforcent sans cesse de refléter cette haute vertu dans leur vie. Chacun fait de son mieux pour participer à ce combat de solidarité et d’entraide sociale, tant avec ses biens qu’avec son âme.
Le fait de faire don du surplus de nos biens est certes une vertu, mais le but principal est de faire preuve d’altruisme, c’est-à-dire de surpasser son instinct égoïste et de donner aux autres ce que l’on possède, même lorsqu’on est dans le besoin. L’altruisme consiste donc à œuvrer pour dissiper les soucis d’autrui en ayant soi-même des besoins. En fait, le secret pour dissiper nos propres soucis réside dans nos efforts pour résoudre les problèmes des autres.
Cette ordonnance spirituelle nous a été clairement prescrite par le Noble Prophète r :
« Aussi longtemps que le serviteur aide son frère croyant, Allah lui vient en aide aussi. »[4]
[1] Sourate Al-Ma’ârij, versets 24 et 25.
[2] Sourate Al-Layl, versets 5-11.
[3] Sourate Al-Fajr, versets 15-17.
[4] Ahmad ibn Hanbal, II. 252.