À propos de l’Enseignement Scolaire, Confessionnel et Spirituel
Idris Arpat
Je ne sais pas quel mot décrit le mieux la qualité de l’enseignant que je conçois dans mon esprit. L’enseignant auquel je fais allusion n’est pas celui qui se contente de dispenser des connaissances, mais qui suscite également de l’intérêt, élargit l’horizon de son élève, sème en lui les graines de l’amour et de la sincérité, l’invite à l’intégrité, à la sagesse, au bon sens, à la foi, et lui enseigne les méthodes d’apprentissage tout comme celles de l’enseignement.
Pour comprendre l’importance et la responsabilité de l’enseignement en tant que parents, il suffit de se rappeler que nous confions nos biens les plus précieux, à savoir nos enfants, aux enseignants pendant qu’ils sont dans leur période la plus saine et la plus adéquate à l’apprentissage.
L’enfant est l’original de l’homme, « la copie parfaite d’une merveille », un chef-d’Å“uvre, bref le fruit de l’arbre de la vie.
Nous devons nous rappeler encore une chose : l’enseignant prend soin des organes les plus précieux parmi les organes de l’enfant, c’est-à -dire son cÅ“ur et son esprit. Il crée une vision de tout un monde au sein d’un petit organe qu’est le cÅ“ur. Quand on considère l’enseignant de ce point de vue, on voit que l’enseignant est l’ouvrier de l’humanité et le bâtisseur de l’avenir.
L’enseignant joue son rôle qui dure toute une vie devant l’enfant. Les yeux de cet enfant qui représente son public le filme comme une caméra et son esprit l’enregistre constamment comme une cassette. Et c’est ainsi que l’enfant passe les moments les plus précieux de sa vie à l’école, devant son enseignant.
Même cette courte dissertation que nous venons de faire suffit largement à expliquer la lourde responsabilité de l’enseignant. Être capable de gérer des tâches lourdes requiert une compétence. Compétence signifie mérite. Le mérite est synonyme d’être en mesure d’exécuter dûment une tâche qui nous est confiée, et ceci en toute honnêteté et sincérité. C’est de jouir des qualités telles que la conscience, la patience et l’amour de ce qu’on fait. Ceux qui ne possèdent pas ces qualités ne sont pas des enseignants, mais des propagateurs d’informations.
Élucidons davantage ce que nous avons dit :
On dit que « l’enseignement est une Å“uvre du cÅ“ur ». Ceci est la pure vérité. Les personnes aux cÅ“urs non-prédisposés, qui sont renfermées sur elles-mêmes, qui pensent que la vie n’est que convoitise et jouissance ne devraient pas être autorisées à enseigner.
Dès le début, les élèves candidats aux métiers de l’enseignement doivent être choisis parmi les enfants intelligents aux cÅ“urs orientés vers Dieu et ouverts aux gens, qui n’aspirent pas à cette profession rien que pour l’argent, qui ont le sens de la curiosité et un fort désir de l’apprentissage, et qui sont prédisposés à l’altruisme et à l’abnégation.
Chaque enfant est un univers distinct et possède des qualités distinctes, mais chaque enfant a en lui une qualité qui l’emporte sur ses autres qualités. La qualité dominante des candidats à l’enseignement doit être déterminée et la sélection doit être faite en conséquence. Ainsi, chaque candidat, selon sa vocation, progressera-t-il étape par étape, et rayonnera de jour en jour.
Le « but de la vocation » est le suivant : l’être humain doit être bénéfique pour les humains et les êtres vivants conformément à la qualité prédominante innée en lui. C’est ce qu’on appelle le but de la vocation. Quant au but fondamental de notre création, nous le savons tous.
Un enseignant doit être une personne courtoise, délicate qui met toujours au premier plan l’agrément d’Allah. Sinon, il ne pourra poursuivre son objectif jusqu’au bout, et ne manquera pas de renoncer face à la moindre adversité. Embrasser le métier de l’enseignement au nom de l’amour de l’humanité ou de l’amour de la science, ne pourra donner à l’enseignant la force et la détermination durant toute une vie. Il faut inéluctablement être motivé par la satisfaction divine pour s’acquitter dignement de cette responsabilité noble.
L’enseignant est un fervent amoureux inépuisable de la lecture et de la réflexion. Celui qui ne peut pas continuer à apprendre ne pourra pas non plus continuer à enseigner comme il se doit. Il ne fera que distraire ses élèves. Il ne pourra relever le défi de sa profession. Pour pouvoir toujours enseigner de nouvelles choses et transmettre des informations fraiches, il faut constamment s’adonner à la lecture. Il est évident que celui qui ne reçoit rien ne pourra rien donner.
Les enseignants qui ne lisent pas ne feront que répéter les mêmes informations à leurs élèves. Cela cause de l’ennui. Une réalité de la pédagogie est que « la répétition incessante même de la vérité peut ennuyer ». Même si ce qui est dit est vrai, si les mêmes choses sont répétées tout le temps, on se retrouvera face à de la redondance.
La science est en permanence évolution et les informations ne font que s’actualiser. La science n’est pas à sa fin et n’a pas dit son dernier mot. La science continuera à se développer et l’enseignant doit suivre ce développement. Passer quarante ans à enseigner ce qu’on a appris en quatre ans n’est pas de l’enseignement.
La madrasa a été révolue parce qu’elle ne se contentait que d’un certain nombre de livres et de savants. On admettait comme le plus grand savant celui qui maîtrisait tels et tels livres. Cette réalité a poussé à lire les mêmes choses davantage et davantage. Cette posture est synonyme de tourner autour du même cercle et de ne pas pouvoir offrir de nouvelles choses à la vie.
Eu égard à tout ce qui précède, on peut avancer qu’un bon enseignant est celui qui consacre constamment tout son temps à la recherche d’informations fraiches et de nouvelles connaissances. Cette quête dure toute une vie.
L’enseignant ne peut se contenter du manuel qu’il enseigne, ni de son domaine ni de ses connaissances déjà acquises. Toutes les beautés du monde sont dans son sens de curiosité. Il doit être un chercheur passionné. Il doit être enthousiasmé par la découverte de nouvelles choses, et ne doit pas être avide d’argent et de biens mondains. Il est celui qui est enchanté d’offrir des cadeaux spirituels aux esprits et aux cÅ“urs. Je dois signaler là qu’il ne sera possible pour un enseignant d’atteindre ce niveau s’il ne traverse pas « l’océan des hommes » et ne se sauve pas du bourbier de « les gens ont dit ceci ; les gens racontent cela ».
L’enseignement est un métier de patience et de persévérance. L’éducation s’arrête là où commencent l’intolérance et les plaintes. Développer une bonne méthode et une bonne habitude n’est pas quelque chose qui peut être réalisé d’emblée. Cela peut prendre des années pour remédier à une lacune. Des milliers de livres doivent être lus, des notes doivent être prises et répétées constamment jusqu’à ce qu’elles soient assimilées. Les pensées et les idées doivent être écrites, puis être révisées et développées pour être parfaites. L’enseignement n’est pas un métier qui peut être réussi par des gens hâtifs.
Un enseignant qui entre en classe le matin doit être conscient que de nombreux regards sont dirigés vers lui et que de nombreuses oreilles l’écoutent. Chaque mot, chaque action, chaque attitude dont il fait montre est un ajout à la personnalité de l’élève.
L’enseignant est une personne chaleureuse. Son bien-être, sa tristesse et sa satisfaction spirituelle se reflètent sur ses élèves. En décrivant les qualités particulières de tel ou tel grand personnage et les côtés sombres d’un personnage ou d’un incident, il est sous l’emprise de ce qu’il raconte. Ce n’est qu’ainsi que les enseignements dispensés susciteront de l’intérêt et seront assimilés. En état d’émotion ou de colère de l’enseignant, son langage corporel entre immédiatement en jeu. Et on ne peut savoir s’il est un enseignant ou un acteur.
Peu importe les belles choses qu’on raconte, si elles sont racontées avec un procédé nonchalant et désintéressé, elles ne pourront susciter de l’intérêt ; au contraire, cela sera ennuyant au point d’être insupportable.
La leçon doit être vive, animée et bien audible, comme la forge d’un forgeron. C’est ce qu’il faut pour attendre un résultat satisfaisant de ce qu’on enseigne.
L’enseignant ne doit pas penser que son devoir consiste simplement à transmettre des informations. Son rôle est de susciter l’intérêt. Celui qui consomme du sel au point d’être assoiffé se trouvera lui-même de l’eau.
La vie nous offre beaucoup de beautés et de grandes émotions. L’enseignant doit les pointer du doigt pour que l’élève réalise et augmente son bonheur. Ceci est aussi une responsabilité, et c’est la meilleure des responsabilités.
Face au plaisir de produire quelque chose au profit de l’humanité, à un jeune arbre planté, à l’état naturel d’un enfant, à la vie d’un jeune vertueux, à la beauté des nuages, à la tombée de la neige et de la pluie, etc., un cÅ“ur sensible ne pourra être que profondément affecté. Malheureusement, la grande majorité des gens ne sont pas conscients du sourire que la vie leur offre de tout part. Cependant, pour l’être humain, le bien-être intellectuel est aussi important que le bien-être physique, tout comme le bien-être spirituel est aussi important que le bien-être intellectuel. C’est une grande privation de ne pouvoir tirer aucun profit des milliers de miracles reflétés dans la nature et dans la société.
Lorsque l’enseignement est considéré comme « l’art d’éduquer les gens », il est évident que son champ d’application sera vaste. Toutes les vérités, toutes les beautés, toutes les valeurs dignes, les aspects brillants de l’humanité, ainsi que toutes les douleurs, les humiliations et les côtés sombres de la vie sont à l’ordre du jour de l’enseignant.
Un professeur de mathématiques n’est pas qu’un professeur de mathématiques, un professeur de langues n’est pas qu’un professeur de langues, non. Il est aussi celui qui doit transformer le cÅ“ur de l’enfant en roseraie et son esprit en champ de vérité. Pour cette raison, Dieu seul sait où commencera et atteindra l’influence d’un enseignant bien formé, bien éduqué et conscient des responsabilités qui sont siennes. Cette influence peut s’étendre de l’Orient à l’Occident en se reflétant d’une personne à une autre, d’une génération à une autre génération. L’enseignant à l’origine d’une telle influence est une chance pour l’humanité. Il continuera à nourrir l’esprit et le cÅ“ur des enfants d’Adam, tant durant sa vie qu’après sa mort. L’on ne peut définir l’étendue des portes qui seront ouvertes par les dons intellectuels d’un tel enseignant.
Il est très important que l’enseignant maîtrise sa branche. L’enseignant doit se faire confiance et l’élève doit faire confiance à son maître. C’est indispensable. De nombreux talents, de nombreux espoirs et enthousiasmes sont éteints à cause de l’incompétence de l’enseignant. Cette incompétence est à même de corrompre les enfants, leur innocence, leur sincérité, leur esprit, leur cÅ“ur, leur passion, leur avenir, tout comme elle assombrit le monde.
C’est dans les salles de classe que doivent être forgés les hommes au grand cÅ“ur, à la patience et à la détermination inébranlables, aux âmes profondes et délicats, et à la curiosité intellectuelle insatiable. Et les gens doivent dignement apprécier et chérir ces hommes de vérité et d’amour, qui se battent pour le bien de l’humanité et qui tournent les yeux et le cÅ“ur vers l’Être Suprême.
Non, l’enseignement n’est pas une simple profession, mais une occupation prophétique. De plus, l’enseignement doit être fait en rapport avec la vie. La vie intéresse l’élève, et l’enseignement qui est lié à la vie l’est également. Les intéressés seront informés. Quoi de plus agréable qu’un enseignement suivi avec intérêt !
L’enseignant doit éveiller des sentiments profonds et susciter de grandes émotions dans le cÅ“ur de son élève. L’homme a un univers du cÅ“ur qui transcende les horizons, une âme qui s’anoblit perpétuellement à force de s’orienter sans cesse vers le Créateur Majestueux, qui éprouve de la tristesse par moment, qui aspire à l’amour et éprouve la nostalgie du Miraj (l’Ascension). En étant devant ses élèves, l’enseignant doit donc être conscient qu’il est face à des mondes profonds. Bien sûr, naviguer dans ces profondeurs ne sera pas facile, mais ce n’est pas impossible non plus. Si l’enseignant ne dispose pas de l’équipement sophistiqué, il perdra sa sensibilité et sa délicatesse. Et quelle perte pathétique !
Maintenant, essayons de donner un exemple concret à toutes ces explications :
Il faut savoir que notre premier enseignant est Allah, Exalté soit-Il.[1]
Lors d’une séance de négociations budgétaires, le sultan Fatih a dit : « Tout ce qui est nécessaire pour les médersas sera dépensé, aucune réduction ne sera faite. Car les héritiers des prophètes sortiront de ces lieux. Ce n’est pas une tâche facile. Cela demande des sacrifices colossaux. Sur cent élèves, si cinq parviennent à avoir la compétence requise pour le domaine de qualification souhaité, cela s’avère largement suffisant. Ces cinq élèves seront plus tard le soleil de ma nation. Nous devons supporter toutes les dépenses des cent élèves pour pouvoir avoir parmi eux les cinq futurs compétents. »
Le souverain Ertugrul Ghazi avait dit à son fils Osman Ghazi : « Écoute, mon fils, dit-il, si tu agis mal envers moi, je puis te pardonner, car je mettrai cela sur le compte de ton âge moins avancé et de ton inexpérience. Cependant, si tu fais montre d’un comportement désagréable envers notre guide spirituel Shaykh Edebali, je n’observerai plus ta face ; et même si je le fais, je ne te verrai pas. En effet, il est le soleil de notre tribu, et ses jugements sont sains. »
Le Maître Hasan Huseyin Aksakal de Kayseri avait l’habitude de dire : « S’il le faut, je continuerai à enseigner les élèves en leur versant un salaire, je ne peux m’empêcher d’enseigner. »
Le Maître Celalettin Okten lui aussi avait l’habitude de dire : « Le jour où je ne viens pas en classe, venez à mes funérailles. » Paix à son âme, il s’était rendu à Médine en 1959. Il avait l’intention d’y rester. Puis il fit un rêve dans lequel on lui demanda de retourner en Turquie pour s’occuper de l’éducation et de la formation. Selon son fils, le Maître Celalettin commençait à se préparer aux cours depuis les vacances d’été.
L’imam de la mosquée Çinili d’Istanbul, Mehmet Efendi, a dit à ses élèves qui lisaient la sourate Yâsin-i shérif à son chevet durant ses derniers moments : « Si je meurs, il n’y a rien d’étrange à cela, car la mort est une réalité naturelle. Mais l’enseignement du livre n’est pas terminé, c’est seulement ce qui me désole. » En fait, le Maître Mehmet Efendi, vers la fin de sa vie, enseignait à ses élèves l’ouvrage de l’Imam Maverdi intitulé « Adabu’d dunya wa’d din« . Malheureusement, il n’a pu achever l’enseignement de ce livre.
Eh bien, ce sont de tels serviteurs, monuments de la vertu profondément imprégnés du sens de la responsabilité de l’enseignement, qui ont élevé la gloire de la science et des érudits et ont assaini l’image de la nation. C’étaient les fils dignes de l’humanité, des personnages inoubliables et des héros discrets. Et même des siècles après leur mort, ces héros continuent de nous enseigner.
[1]Voir Sourate Al-Baqara, verset 31.