L’objectif du Soufisme

Jan 10, 2022 par

/[Il est né dans la région de Tavsanli, situé dans la ville de Kütahya en 1968. Diplômé de la Faculté de Théologie à l’Université Marmara en 1991, poursuivant ses études supérieures dans la même Faculté, il soutient en 1993 sa thèse de Master sur le sujet « Les œuvres de vie d’Abdurrahman Sami et l’exégèse de la sourate al-Fatiha ». En 1995, il est missionné dans le Département des Études arabes et moyen-orientales de l’Université de Leeds, en Angleterre, pour y obtenir son doctorat. En 1999, il soutient sa thèse intitulée « Towards Some Paradigms of the Sufi Conception of Love : From Râbia to Ibn al-Fârid » et acquiert le titre de docteur. En 2003, Süleyman Dern est nommé Maître assistant puis Professeur agrégé en 2007. Il enseigne actuellement l’histoire soufie, l’orientalisme, l’exégèse soufie en tant qu’enseignant académique au Département de soufisme. En plus de ses activités universitaires, il participe à des conférences nationales et internationales liées à son domaine.]

La vie de ce monde d’ici-bas est éphémère et celle dans l’au-delà est éternelle. Voilà un des sujets essentiels que l’Imam Rabbanî[1] rappelle fréquemment, car bien qu’ils eussent parcouru une courte distance dans le voyage moral, certains derviches pourraient être à nouveau attirés par cette vie mondaine et quitter ce périple.

Mon cher ami, la vie dans ce monde d’ici-bas est vraiment très courte. Beaucoup de gens ont sacrifié leur vie pour ce monde éphémère alors qu’au contraire la vie de l’au-delà est éternelle et ininterrompue. Mais pour gagner cette vie éternelle et continuer, il faut davantage œuvrer dignement ces quelques jours de vie d’ici-bas. Une fois ces jours passés, nous serons récompensés soit par une bénédiction éternelle, soit par un tourment éternel. Cette nouvelle nous a été rapportée par le Messager Véridique (le Prophète Muhammad r). Il n’y a donc aucune probabilité qu’elle soit démentie. Quant à nous, nous devons bien utiliser nos esprits (œuvrer spécialement pour l’au-delà et non pour cette vie mondaine uniquement). (Lettre n°210).

La vie de l’au-delà et l’agrément d’Allah (Y) sont une si grande récompense que peu importe ce que l’on fait sur ce chemin, nous ne pourrons jamais accomplir pleinement notre devoir.

Comme le dit Ibn Atâullah al-Iskandarî :

« La source de tout péché, insouciance et désir inutile est d’aimer son ego et d’en être satisfait. Et la base de toute obéissance, prévoyance, vigilance et chasteté est l’insatisfaction envers les (différents types de) nafs. »

Bien qu’il eût accompli de grandes choses durant toute sa vie, l’Imam déprécia son travail et dit à ce propos :

« Cher ami, la partie précieuse de notre vie s’écoule avec l’enthousiasme et les désirs de plaire aux ennemis d’Allah. Nous sommes maintenant arrivés à la période la plus improductive de la vie. Si nous n’utilisons pas cette période dans les actes qui plaisent à Allah, si nous ne dépensons pas notre misérable âge dans la voie divine en contrepartie des temps heureux, si nous ne compensons pas ce que nous avons manqué, si nous ne faisons pas l’effort de transformer nos quelques minimes fatigues en bonheur éternel et nos péchés majeurs en contrepartie des petites bonnes actions, alors comment oserions-nous nous présenter auprès d’Allah le Jour du Jugement ? Quelle sera notre excuse ? Combien de temps le sommeil de l’insouciance dans lequel nous sommes continuera-t-il ? Quand allons-nous déboucher nos oreilles de cette négligence ? Bien sûr que dans l’au-delà, les rideaux voilant les réalités seront levés et que les oreilles seront débouchées de l’insouciance. Mais ce ne sera d’aucune utilité ce jour. Rien ne sera acquis hormis le désir et le regret. Donc, avant que la mort ne survienne et avant d’être installé dans la tombe, œuvre pour toi-même et accueille la mort à travers ces paroles : “ Ô mort, où étais-tu ? Tu m’as certes manqué !”.»  (Lettre n°210).

Selon l’Imam, s’engager sur la voie du soufisme, c’est se préparer pour l’au-delà et accueillir la mort, et non pas atteindre la découverte, les miracles et les secrets que personne ne connaît. Pour cela, il faut tout d’abord corriger le credo (ou la croyance) puis croire pleinement aux différents sujets liés aux bases principales de la religion et apprendre les différents préceptes fondamentaux de la jurisprudence islamique. C’est après cela qu’il est possible d’entrer dans la vie spirituelle.

Après avoir franchi ces étapes, il nous faut entrer dans la voie du soufisme. Pendant ce chemin, on ne doit pas avoir l’intention d’observer certaines formes et images appartenant à l’univers invisible, ou de contempler certaines couleurs et lumières. Tout cela n’est que jeu et divertissement en dehors du véritable objectif du soufisme. De fait, quels manques et défauts n’y a-t-il pas dans les formes et lumières de cet univers visible pour que l’homme s’intéresse à celles de l’univers invisible ? Qu’il s’abstienne et endure pour cela ! Les formes et les lumières dans cet univers visibles sont pareilles aux formes et aux lumières de l’univers invisible ; c’est Allah (Y) qui les a toutes créés et constituent des signes se référant à Lui. La lumière du soleil et de la lune dans cet univers visible est supérieure à celle de l’univers invisible. Car celle-ci est continue et est visible par tout le monde.

Selon l’Imam, le véritable objectif du soufisme se présente comme suit :

Le but de l’engagement dans la voie soufie est d’accroître la foi ferme dans ce que la Charia ordonne. Ainsi, on passe de la phase d’apprentissage de la religion à sa phase lumineuse. C’est également une transition de la croyance globale à la croyance détaillée.

À titre d’exemple, l’Être Nécessaire d’Allah (un Être qui existe indépendamment de tout autre être) est tout d’abord connu par une croyance aspirante qui atteint ensuite la certitude selon la proportion de sa force. Une fois engagée dans le soufisme, cette croyance se transforme en une croyance détaillée et experte. Celle-ci s’obtient de la manière la plus parfaite. En d’autres termes, un soufi ayant achevé son voyage spirituel devient plus croyant parce qu’il goûte les vérités auxquelles il croit par sa propre découverte. Il commence désormais à observer l’existence et l’unité de son Seigneur. Le résultat de ceci est visible dans sa vie pratique. Ainsi, pour un tel croyant, l’adoration et l’obéissance commencent à se simplifier.

Un autre objectif du soufisme est de faire en sorte que les injonctions de la jurisprudence islamique soient exécutées avec amour et de lever les difficultés causées par l’âme despotique (nafs al-ammâra). La ferme conviction de cet humble homme (Süleyman Derin) est que la voie du soufisme est la servante des sciences de la Charia et ne peut en aucun cas les contredire. J’ai effectué des recherches approfondies sur ce sujet dans mes livres et articles. En termes de réalisation de cet objectif, la voie Naqshbandî est à la fois la plus appropriée et la plus juste, car les doyens de cette école ont adopté la devise immuable de suivre la Sunna prophétique et d’éviter toute innovation en matière de religion. C’est pour cette raison que ces doyens considèrent que la soumission à la Sunna prophétique est une grande bénédiction et se réjouissent de cet état, même s’ils ne font pas l’expérience de certains états spirituels. Lorsqu’ils observent un manque dans cette soumission, même si certains états spirituels surviennent, ils ne les valorisent guère. À ce sujet, l’Imam cite cette déclaration de Hace Ahrâr[2], un doyen de l’école Naqshbandî :

« Si toutes les extases et tous les états nous étaient donnés, mais notre monde intérieur, pour exemple, n’était pas conforme à la croyance des Ahl as-Sunna, je ne peux considérer ces situations que comme de la frivolité et de la frustration. Mais si ma croyance est conforme à celle des Ahl as-Sunna, même si je reste privé de toutes ces situations, je ne m’attristerai jamais. »

L’Imam révèle ainsi le véritable objectif et le bénéfice du chemin spirituel. Or, comme nous pouvons le constater de nos jours, le soufisme peut parfois être utilisé hors de son contexte, comme un outil pour servir les désirs charnels ou le souhait d’être différent d’autrui ou obtenir différents secrets spirituels dont personne ne connaît ou bien encore vivre pour différents états spirituels paradoxaux. Cependant, le vrai soufisme consiste à remplir facilement les devoirs fondamentaux de la religion qui sont valables pour tous, et à transformer sa croyance afin d’observer toutes les vérités divines comme si on l’observait de visu.


[1] Ahmad al-Fâruqî al-Sirhindī (1564-1624).

[2] Nâsırüddîn Ubeydullāh b. Mahmûd Ash-Shâshî as-Samarkandî (m. 895/1490).

  Source: Islam Ansiklopedisi (https://islamansiklopedisi.org.tr/ubeydullah-ahrar ).

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