Le Service des Soufis dans la diffusion de l’Islam

Jan 10, 2022 par

Pr.Dr. Necdet TOSUN

[Né à Bandırma en 1971, Il a obtenu un diplôme en 1993 de la Faculté de Théologie de l’Université de Marmara. Il obtient son Master en 1995 à l’Institut universitaire des sciences sociales de l’Université de Marmara en soutenant sa thèse : « L’isolement physique et moral dans le soufisme avant l’ère d’Ibn Arabî », puis il a soutenu sa thèse de doctorat en 2002 sur le sujet : « L’école Khwajagan dans le soufisme : XII – XVII ». Il devient professeur agrégé en 2006 et professeur en 2012. Il poursuit actuellement sa fonction d’enseignant académique dans le Département du soufisme lié à la Faculté de Théologie de l’Université de Marmara.]

Dans l’histoire de l’Islam, on observe que les Musulmans se sont rendus dans différentes régions telles que l’Iran, l’Asie centrale et l’Inde afin de les dominer. Cependant, conformément au principe « Il n’y a pas de contrainte en religion », personne n’a été contraint de devenir musulman. Les armées ont conquis les territoires tandis que les savants et surtout les soufis se sont chargés de conquérir les cœurs et d’inviter les gens à l’Islam. Les enseignements divers et variés du soufisme tel que l’amour divin, la sincérité, l’admiration et la moralité ont tous joué un rôle important dans le réchauffement des cœurs envers l’Islam. De plus, il existe des narrations selon lesquelles certains soufis ont montré des miracles afin d’influencer et de rapprocher un bon nombre de personnes à l’Islam. À travers ces narrations, nous pouvons déduire qu’il était très difficile de répandre l’Islam dans ces régions uniquement en employant des explications rationnelles étant donné que le Christianisme, le Zoroastrisme, le Chamanisme et l’Hindouisme étaient répandus dans cette aire géographique. Par conséquent, non seulement les soufis faisaient appel aux cœurs au moyen de leur comportement et des paroles qu’ils transmettaient, mais ils étaient aussi contraints de montrer des miracles en vue d’islamiser ce peuple. Certains des nombreux récits décrivant les services des soufis dans la propagation de l’Islam sont les suivants :

Le voisin qui pollue le mur de Mâlik b. Dinâr (m. 131/748)

On raconte que Mâlik b. Dinâr prit une maison en location. Il avait pour voisin un Juif. Le Mihrâb où Mâlik faisait sa prière était tournée du côté de la demeure du Juif. Celui-ci ne manquait pas, chaque jour, quand il satisfaisait ses besoins naturels, de venir verser des ordures contre le Mihrâb où Mâlik faisait sa prière ; et Mâlik ne manquait pas non plus, chaque jour, de les enlever.

Au bout de quelques jours, ce Juif vint trouver Mâlik et lui dit : « Nos saletés sont tournées du côté de ta maison ; n’en résulte-t-il pas pour toi des désagréments ? »

Mâlik répondit : « Il y en a effectivement, mais j’en suis quitte pour nettoyer et laver. »

Le Juif poursuivit : « C’est étrange que malgré la peine qui en résulte pour toi, tu restes assez maître de ta colère pour ne pas la laisser paraître. »

Mâlik observa : « Le Seigneur Très-Haut, dit dans la Parole : « Et concourez au pardon de votre Seigneur, et à un Jardin (paradis) large comme les cieux et la terre, préparé pour les pieux, … qui dominent leur rage et pardonnent à autrui, car Allah aime les bienfaisants. » (Coran, 3, 134-135).

Alors le Juif s’écria : « Bravo ! Votre religion est une bonne religion, puisque, grâce à elle, un ami du Seigneur Très-Haut, comme tu l’es, souffre tout de ses ennemis et ne se plaint à personne du mal qu’ils lui font[1]. »

Une histoire similaire est également racontée en ce qui concerne l’Imam Abû Hanîfa[2].

La clarté et l’obscurité

L’un des soufis célèbres, Bâyazid Bistâmî (m. 234/848) avait un voisin zoroastrien (ceux qui adorent et honorent le feu) qui avait un enfant en bas-âge. Un jour, alors que ce zoroastrien était en voyage, l’enfant s’était mis à pleurer parce que la maison n’était guère éclairée. Alors, Bâyazid Bistâmî se rendait quotidiennement dans cette maison avec une lampe. À son retour, le zoroastrien fut informé de la situation et commença à ressentir quelques changements en sa personnalité. Un amour envers Bâyazid surgit de son cœur et il dit : « Puisque la lumière de cette personne nous est parvenue, alors il n’est plus permis de vivre dans nos propres ténèbres. » Il se rendit auprès de Bâyazid Bistâmî et embrassa ainsi l’Islam[3].

Des images qui se prosternent

Le Cheikh Abû Saïd Abû al Khayr (m. 440/1049) était arrivé dans la ville de Nishapur où un dimanche il se rendit dans une église. Un grand nombre de chrétiens s’étaient réunis à l’église ce jour-là pour le culte. Lorsqu’ils entendirent que le Cheikh allait se rendre à l’église, ils ouvrirent les portes afin que celui-ci y pénètre.  Dans cette église se trouvaient des images de Jésus ainsi que de Marie. Le Cheikh s’approcha de celle attribuée à Jésus et récita ce verset coranique :

« Ô Isa (Jésus), fils de Maryam (Marie), est-ce toi qui as dit aux gens : “Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors d’Allah ?” »

Et il ajouta : « Si vous ne l’avez pas dit, prosternez-vous devant Allah. »

Immédiatement, les deux images tombèrent au sol. Quelques milliers de chrétiens qui avaient observé cette scène se convertirent à l’Islam ce jour-là[4].

Qui le feu brûlera ?  

À Deyr-i Eflatun, c’est-à-dire au monastère de Platon situé dans le village de Sille à Konya, se trouvait un homme qui portait une tenue de prêtre. Celui-ci expliquait la supériorité de l’Islam à ceux qui venaient à l’église afin qu’ils puissent se convertir. D’ailleurs, il était extrêmement respectueux envers les étudiants de Mawlânâ Djalâl ad-Dîn Rûmî (m. 672/1273).

Un jour, on lui demanda : « Pour quelles raisons respectes-tu autant et fais-tu des compliments aux proches de Mawlânâ ? »

Il répondit : « Nous avons observé de nombreux miracles de Mawlânâ. Par exemple, il est venu ici un jour et s’est isolé pendant 40 jours. Après son isolement, j’ai serré son habit et lui ai dit : 

« Le verset 71 de la sourate Maryam du Coran stipule : “Il n’y a personne parmi vous qui ne passera pas par [L’Enfer] : Car [il s’agit là] pour ton Seigneur d’une sentence irrévocable.

Je commentai alors : « Lors donc, puisque tout le monde ira en Enfer, comment la supériorité de l’Islam pourrait-elle se manifester ? »

Il ne prononça aucun mot, se dirigea vers la ville et je le poursuivis.  Puis il entra dans une boulangerie à la périphérie de la ville. Le boulanger avait déjà allumé son four. Mawlânâ se saisit de ma chemise noire, l’enveloppa dans son qamis puis la jeta dans le feu. Il médita sur le côté pendant un moment. Ensuite, je vis une grosse fumée sortir. Personne n’avait la force de parler. À sa sortie du four, le qamis était intact et le boulanger habilla Mawlânâ avec ce même qamis. Ma chemise qui y avait été enveloppée avait brûlé et était réduite en cendres.

Mawlânâ dit alors : « C’est ainsi que nous entrons dans le feu et c’est ainsi que vous y entrez. »

Je m’inclinai aussitôt et devins un de ses disciples[5]. »

70 000 personnes simultanément…

Au 18ème siècle, Nûrullah b. Ubaydullah es-Sıddîk el-Khârezmi, qui semble avoir vécu dans la région Khwarezm en Asie centrale, raconta, par l’intermédiaire de Sadr Ata, un des cheikhs Yesevî connu sous le nom de Baba Tükles[6], l’histoire de la conversion à l’Islam d’Özbek Khan, le souverain de la Horde d’Or, dans son œuvre écrite en turc Chagatai, intitulée « Baba Tukles Risâlesi » (la lettre de Baba Tukles).

Sadr Ata était le disciple et calife de Zengî Ata (m. 656/1258), le disciple de Hakîm Ata, lui-même disciple d’Ahmed Yesevî.

Selon les informations mentionnées dans l’ouvrage, Zengî Ata envoya ses disciples Sadr Ata et Seyyid Ata à Deşt-i Kıpçak et Saraycık afin de répandre l’Islam. Lorsque ces deux personnages invitèrent Özbek Khan, le souverain de Saraycik, à l’Islam, celui-ci leur demanda un miracle. Lorsque Sadr Ata montra l’image de la Ka’ba à Saraycik et à Özbek Khan, celui-ci accepta l’Islam et avec lui 70 000 personnes[7].

Il accepte la première religion qui lui est présentée

Bulbul Shah (m. 727/1327), un des Cheikhs des Suhrawardiyya[8], qui émigra d’Asie Centrale au Cachemire a été déterminant dans la conversion à l’Islam du souverain de cette région ainsi que de ses sujets.  

Selon les récits qui en ont été faits, lorsque Bulbul Shah se rendit au Cachemire en 725 de l’hégire, il stationna près de la ville au bord de l’eau. Rinçana (Rincu ou Rincen selon certaines sources), qui était alors le souverain de la ville, n’était pas satisfait de sa religion. On rapporte qu’il était hindou ou bouddhiste. Une nuit, alors qu’il était extrêmement agité, il voulut approfondir ses recherches. Alors il décida de se convertir à la religion de la première personne qu’il rencontrerait le matin. De bon matin, il monta sur le toit de son manoir et aperçut au loin, dans la périphérie de la ville, Bulbul Shah qui était en train de prier. Il se rendit auprès de lui, apprit l’Islam et devint musulman en choisissant de s’appeler Sadreddin. Avec lui, 10 000 de ses sujets embrassèrent l’Islam. Sadreddin fit construire pour Bulbul Shah une loge (tekke) avec à côté un bâtiment aux fins de distribuer la soupe populaire ainsi qu’une mosquée. Cette mosquée fut la première construite au Cachemire[9].

Ces récits mentionnés ci-dessus ne sont que quelques exemples des efforts et des services fournis par les soufis pour répandre l’Islam. Ces services sont toujours d’actualité. Beaucoup de personnes qui se sont converties à l’Islam dans le monde occidental ont rencontré l’Islam par le biais des Soufis ou d’œuvres soufies. En effet, l’ouvrage intitulé « Mathnawî » dont l’auteur est Mawlânâ Rümî a été traduit dans plusieurs langues occidentales, ce qui a permis à de nombreuses personnes d’être influencées par sa lecture donnant suite à leur conversion à l’Islam. Bien qu’il ait vécu il y a huit siècles, les œuvres et la spiritualité de Mawlânâ et des soufis similaires continuent d’attirer les gens vers l’Islam et de servir de guide.


[1] Farîd ad-Din Attâr, Tadhkirat al-Awliyâ (Le mémorial des Saints, page 62 [traduction A. Pavet de Courteille, préfacé par Eva de Vitray-Meyerovitch), Paris, Seuil, coll. « Points Sagesses », 2014 (1er éd. 1976), 320 pages]). 

[2] Abd al-Wahhab al-Sha’rânî, Al-Tabaqāt al-Kubrâ (Le Degré Suprême), Le Caire 1374/1954, I, 54.

[3] Farîd Ad-Din Attâr, Tadhkirat al-Awliyâ, page 176 (de la version en langue turque).

[4] Muhammed ibn Al-Munawar, Esrâru’t-tevhîd (Recherche. Ş. Kedkenî), Tahran 1381 hş. /2002, I, 93-94 ; Hamid Kalender, Hayru’l-mecâlis, Aligarh 1959, pp. 268-269.

[5] Ahmad Eflâkî, Menâkıbu’l-ârifîn (Frs. nşr. T. Yazıcı), Ankara 1976, I, 551-552.

[6] Certains récits relatent qu’il était surnommé ainsi parce qu’il avait beaucoup de poils (tuy en Turc). Source : https://islamansiklopedisi.org.tr/baba-tukles (N.d.T.)

[7] Voir Devin De Weese, Islamization and Native Religion in the Golden Horde, Pennsylvania 1994, pp. 567-573.

[8]La Suhrawardiyya est une confrérie soufie instituée à Baghdâd au XIIIe siècle par Omar Sohrawardî et son oncle. (N.d.T.) Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Suhrawardiyya

[9] Gulâm Sarwar Lâhori, Khazînat al Asfiyâ, Leknev 1290/1873, II, 286-287.

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