Le Soufi au coeur vide de tout souci

Sep 24, 2021 par

L’Imam Abû Abdullah al-Harith Ibn Asad al-Muhasibî, qui naquit à Bassora vers 165 AH[1], vécut à Bagdad, prit des leçons auprès de l’Imam Shafi’î, défendit les Ahl as-Sunna[2] contre les Rafidhites[3], les Mutazilites[4] et ceux qui nient la destinée. Il fut un savant surtout renommé pour ses pratiques soufies. Il est compté parmi les premiers grands soufis tout comme Ibrahim ibn Adham, Dâvûd at-Tâî (Abû Suleymân Dâvûd b. Nusayr at-Tâî), Fudayl ibn Iyaz, Ma’ruf al-Karkhî, Bishr al-Hâfî, Dhul-Nûn al-Misrî, Abdullah at-Tustarî et Junayd al Baghdâdî.

À son sujet, l’Imam Ash-Shatibî a dit : «Al-Muhasibî est l’un des grands soufis que l’on suit et prend en exemple.»[5]

Il a produit de nombreux ouvrages sur des sujets tels que les états de l’âme, sa purification et ses défauts, la comptabilité de l’âme, la nature de l’esprit et la compréhension du Coran.

Et comme on le sait, même l’Imam Ghazalî a tiré profit de ses œuvres soufies.

Al-Muhasibî adopta la voie de Hasan al-Basrî g, l’un des savants Tabi’ins[6] figurant parmi les représentants les plus importants du premier siècle de la pensée ascétique.

Hasan al-Basrî rh. eut le privilège de côtoyer cent vingt compagnons y; et celui dont il s’inspira le plus, fut Anas ibn Malek r.a. , le serviteur de notre Bien-aimé Prophète r.

Lorsque nous suivons cette chaîne de savants vertueux et d’autres similaires, dont le savoir s’est transmis de siècle en siècle, nous accédons finalement au Messager d’Allah (pbsl) ; et cela établit la lumière sur la problématique de l’origine du soufisme.

Al-Muhasibî a également écrit des ouvrages sur la science du Kalam (la théologie), pour réfuter les avis des sectes qui ne sont pas conformes aux Ahl as-Sunna.

Ahmad ibn Hanbal g lui reprocha d’avoir longuement expliqué les opinions des Mutazilites et facilité ainsi leur diffusion lorsqu’il critiqua leurs idées. Selon une narration d’Ash-Sharanî dans Tabakatül Kübrası, Ahmad ibn Hanbal g participa durant une heure très tardive à une assemblée religieuse présidée par Al-Muhasibî et a regretté plus tard ce qu’il avait dit au sujet des soufis. Cependant, il existe des savants qui disent que cette narration est controversée.

Les sources contiennent des récits de ceux qui ont vu Ahmad ibn Hanbal g participer à l’assemblée d’Al-Muhasibî et ont rapporté ce qu’ils ont vu :

«Lorsque l’adhan de la prière du soir fut fait, il se mit en avant et dirigea la prière. Après la prière vint le repas et ils s’assirent et mangèrent. Al-Harith al-Muhasibî parlait tout en mangeant, car parler de bonnes choses en mangeant est un acte compatible à la Sunna. Quand ils eurent fini de manger, ils se lavèrent les mains puis s’assirent ensemble. Quand tout le monde eut pris place, il demanda : «Quelqu’un a-t-il des questions à poser ?» Des questions sur l’hypocrisie, l’Ikhlas et d’autres sujets lui furent posées. Il répondit aux questions en donnant les preuves. Il pleurait, gémissait et versait des larmes pendant que le Coran était récité. Lorsque la récitation du Coran fut terminée, Al-Harith al-Muhasibî fit de brèves invocations puis se leva pour la prière. Dans la matinée, Ahmad ibn Hanbal g déclara en exprimant sa satisfaction qu’Al-Harith al-Muhasibî était une personne vertueuse.»[7]

Une des problématiques sur lesquelles il insista le plus dans sa vie est la question des provisions halal, des gains licites.

Je suis tombé sur un récit contenu dans une vidéo du Prof. Dr. Mahmut Ay.

Selon le récit, Al-Muhasibî était oppressé par la faim, car il était en état d’ascèse et œuvrait à lutter contre son âme pour s’éloigner des délices de ce monde.

Un de ceux qui le connaissait le voyant jaunir de faim lui dit : «Venez à la maison et laissez-moi vous servir à manger.»

Al-Muhasibî lui dit : «D’accord mon fils» et tous deux partirent ensemble à la maison.

Il lui servit un repas de noces. Al-Muhasibî prit une bouchée de nourriture et la mâcha plusieurs fois sans l’avaler. Une fois sorti de la maison, il la jeta dans un endroit approprié et continua son chemin.

Quelques jours plus tard, celui qui lui avait servi le repas lui demanda : «Quelle sagesse est cachée derrière votre comportement ?»

Al-Muhasibî donna cette réponse : «En venant dîner chez vous, je voulais gagner votre coeur. Mais il y a eu un signal entre Allah et moi et j’ai supplié mon Seigneur de ne pas laisser passer la plus petite chose illicite dans ma gorge ; et ainsi, je n’ai pu donc avaler cette nourriture.» » 

Puis lorsqu’il demanda d’où venait cette nourriture, il apprit qu’elle venait du mariage d’un parent.

Il fut de nouveau invité à dîner par cet ami et tous deux partirent ensemble à la maison.

Cette fois, il lui avait offert du pain sec. Il le mangea avec délectation et dit : « Quand vous offrez de la nourriture à un derviche, même du pain sec, que ce soit halal (licite). »

Comme on peut le comprendre à partir de ce récit, Al-Muhasibî était très sensible à la nourriture halal. Il écrivit d’ailleurs un traité sur ce sujet intitulé « El Mekâsib », ce qui est traduit en français par « Subsistance Halal ».

Al-Muhasibî, dans le livre évoqué plus haut et traduit en turc sous le titre « Farzet ki Öldün » (Suppose que tu es mort) traite des processus par lesquels devra passer l’homme une fois enterré. Selon le style d’expression propre à lui, il préfère dispenser des conseils plutôt que de donner seulement des informations ou débattre sur un sujet. Dans le premier chapitre du livre, Al-Muhasibî parle de la douloureuse scène dans la tombe et des terribles spectacles de l’Enfer. Ce faisant, il invite le lecteur à se débarrasser de l’insouciance avec un style très intime et sincère.

Par exemple, pour décrire la Résurrection et le Jugement Dernier, il utilise des expressions telles que : «Pensez à ce moment où votre fils, votre père, votre frère, votre conjoint et vos proches vous fuiront, et où vous-mêmes les fuirez à cause de la peur, du tremblement, de l’horreur, de la solitude et de la consternation qui vous saisiront tous.»

De même, en évoquant le sujet de la traversée du pont Sirat, il tente de terrifier ainsi le lecteur: «Imaginez que vous traversez le pont Sirat avec une peur violente et un corps faible».

Abd al-Fattaḥ Abû Ghuddah nous décrit ainsi l’aspect exceptionnel d’Al-Muhasibî :

«Al-Muhasibî était doté d’une sincérité pure, d’un coeur rayonnant et d’une capacité d’élocution efficace, ainsi que d’une taqwa et de la crainte d’Allah.»

Ces deux mots, taqwa et crainte d’Allah, qui étaient prononcés sur les langues et retentirent dans les oreilles, tenaient une place plus grande que le monde et plus vivante que la vie dans le cœur de Muhasibi. Le cœur d’Al-Muhasibî était vide de toutes sortes de troubles ou d’inquiétudes, comme le cœur d’une personne qui vit avec la conscience qu’il n’y a qu’un instant entre elle et la tombe. Par conséquent, il ne manqua pas d’avertir les gens avec sa langue et ses écrits comme s’il avait vu le paradis et ses délices, l’enfer et ses tourments.

Il était devenu presque comme ceux auxquels Mâlik ibn Dinar fait allusion en disant ces paroles : «Si seulement je pouvais trouver des assistants et les affecter à tous les recoins du monde pour qu’ils lancent ces cris d’appel aux gens «Ô gens ! L’Enfer existe ! L’Enfer existe !»[8]

Dans les dernières parties de l’ouvrage, Al-Muhasibî décrit les beautés du Paradis, tout en renchérissant sur les délices, les manoirs et les palais qui y pullulent. Il parle des rivières du Paradis, des jardins du triomphe, de l’ombre de Tuba, de douces conversations, des collines musquées, des doux parfums et de bien d’autres bénédictions célestes.

Qu’Allah nous facilite l’accession à ces beautés !


[1].          AH : Après l’Hégire.

[2].          Ce sont ceux qui suivent le chemin sur lequel étaient les Compagnons [as-Sahâba] et ceux qui sont venus après eux [at-Tabi’in], c’est-à-dire les Pieux prédécesseurs [as-Salaf].

[3].          Les Rafidhites, Râfidites, Râfidhis ou Râfidhun (signifiant «ceux qui rejettent», ou «qui refusent», voire «résistent») est un terme utilisé au Moyen Âge par les auteurs sunnites pour désigner de façon péjorative les membres du courant majoritaire duodécimain chez les chiites. Par extension, le chiisme peut être appelé râfidha. Le terme était à l’origine utilisé par certains chiites pour se désigner. Pour les chiites, ce titre est un éloge ; c’est un titre supérieur à celui de «Chiite» et donc de partisans du Prophète et de sa famille. L’Imam Muhammad Al-Baqir, cinquième Imam chiite, s’est lui-même désigné comme étant un Rafidhite : «Je fais partie des Rafidhites» Dans un autre récit, après que l’Imam Muhammad Al-Baqir ait entendu un de ses partisans se plaindre du fait d’être taxé de Rafidhite, il lui dit : «Vous êtes des Rafidhites, car vous avez rejeté le faux alors que les autres l’ont accepté.»

[4].          Ce sont les adeptes du mutazilisme. Le mutazilisme (ou mu’tazilisme, mais aussi al mu’tazila) désigne une des premières écoles de théologie islamique apparue dès le VIIIe siècle de l’ère chrétienne. Le but était d’allier la raison à la foi, c’est-à-dire d’aborder la Révélation à la lumière de la réflexion (fikr) et du discernement (furqân).

[5].          Ash-Shatibî, Al-I’tisâm, I/284.

[6].          La génération des musulmans qui suivit celle des nobles Compagnons (y).

[7].          Prof. Dr. Abdülaziz Hatip, Farzet ki Öldün, Giriş Kısmı, p.24.

[8].          Hakikati Arayanlar İçin Kılavuz- (Guide pour les chercheurs de vérité- p.30).

Articles liés

Tags

Partager

Exprimez-Vous