Comment tirer profit des Réseaux Sociaux ?

Jan 27, 2021 par

Mehmet Dinç

Islam Magazine : Nous vivons la réalité des réseaux sociaux qui sont des moyens de communication assurant aujourd’hui la transmission et la réception des informations en un temps record. Depuis des lustres, des débats houleux sont entretenus par la plupart des gens sur le thème de l’influence individuelle, familiale et sociale des réseaux sociaux qui sont désormais inscrits au nombre de nos besoins impératifs. Dans cette rubrique, nous souhaiterions échanger avec vous sur les effets néfastes des réseaux sociaux sur la famille, la jeunesse et la communauté en général. Nous tâcherons de nous entretenir largement sur les mesures à prendre contre les aspects négatifs des réseaux sociaux et dispenser des solutions allant dans le sens de l’utilisation conforme et bénéfique de ceux-ci. Mais de prime abord, pourriez-vous émettre votre point de vue général en ce qui concerne les réseaux sociaux ?

Mehmet Dinç[1] : Il faut préalablement percevoir les réseaux sociaux comme un canal situé au centre de nos rapports sociaux et des moyens qui nous facilitent aujourd’hui l’existence. La jeunesse a de nos jours la possibilité de mener une vie en aparté avec les réseaux sociaux, mais cela n’est sans doute pas un choix décent. Au lieu d’adopter une attitude assurément opposée aux réseaux sociaux, nous devrions plutôt nous attarder à enseigner les méthodes liées à leur bonne utilisation. Tout comme nous laissons la communication, le transport et les autres moyens technologiques prendre place dans notre vie, il est amplement normal et même nécessaire que nous agissions de même avec les réseaux sociaux. Toutefois, nous devons définir une limite à leur influence sur notre vie et nous en servir dans la mesure du nécessaire. Et dès l’instant où nous constatons qu’ils commencent à nous rendre la tâche pénible et à compromettre le mode de vie, il va nous falloir trouver nécessairement une autre alternative. Dès lors que l’élément essentiel ici, c’est notre bien-être et non notre dépendance aux réseaux sociaux.

En outre, l’utilisation que nous faisons des réseaux sociaux n’a pas vocation à être seulement une détente ou un passe-temps, mais elle doit être ciblée et répondre à un besoin. Nous devons nous poser cette question : Quel est le procédé le plus simple et le plus juste pour combler ce qui est lié à mes besoins et à mon environnement substantiel ? S’il s’avère que l’utilisation des réseaux sociaux demeure la voie juste et confortable, alors je puis m’en servir ; dans le cas contraire, je remédie à mon souci par le procédé habituel. Loin d’être en opposition avec les réseaux sociaux, notre tâche est de maintenir des rapports sains et contrôlés avec ceux-ci.

Inconvénients attachés aux réseaux sociaux

Islam Magazine : Quels sont les griefs que vous pouvez formuler à l’encontre des réseaux sociaux ? Quelles sont les principales conséquences fâcheuses qui résulteraient d’une utilisation abusive de ces derniers ?

Mehmet Dinç : Il en découle plusieurs problèmes dont deux majeurs que j’ai pu observer. Eu égard aux recherches qui ont été faites à ce sujet, l’accent est davantage mis sur l’un d’entre eux. La plus grande conséquence fâcheuse qui pourrait résulter de l’utilisation abusive des réseaux sociaux demeure le choc qu’ils créent dans les rapports sociaux. En effet, ceux-ci empêchent les individus de nouer avec leurs proches des relations plus concrètes et approfondies ; c’est-à-dire qu’un individu trop présent sur les réseaux sociaux ne peut accorder du temps nécessaire pour son épouse, ses enfants, ses parents et amis. À cause des réseaux sociaux, l’homme entretient avec sa famille, ses proches et amis des relations beaucoup plus virtuelles que physiques. Une personne doit fréquenter et visiter ses proches afin que leurs rapports soient profondément consolidés. Tout homme désire naturellement qu’on lui accorde de l’attention, de la considération et du respect. Lorsque vous êtes en face d’une personne et que vous êtes occupés à manipuler incessamment votre téléphone portable, celle-ci pourrait se sentir sous-estimée. En Amérique, des études approfondies sont menées à ce sujet. D’après les résultats communiqués après l’une de ces recherches, les réseaux sociaux représentent l’une des cinq raisons récurrentes pour lesquelles un couple divorce. Ce n’est pas à cause de l’infidélité, de la jalousie ou bien du simple fait d’avoir mal agi, mais régulièrement c’est à cause de l’utilisation abusive des réseaux sociaux que la plupart des mariages débouchent sur des divorces.

Islam Magazine : On peut donc admettre l’ambivalence des réseaux sociaux ; tout comme ils favorisent le rapprochement des personnes éloignées les unes des autres, ils sont aussi à même d’éloigner celles qui sont proches.

Mehmet Dinç : Le fait même que les réseaux sociaux rapprochent aussi près que possible une personne (géographiquement) éloignée demeure aussi un problème. Préalablement, l’homme doit s’évertuer à renforcer ses relations et échanges avec ses proches ; et par la suite il pourra établir une relation à distance et suivie avec d’autres personnes. S’il procède contrairement à cet ordre, cela engendrera inéluctablement des conséquences inattendues.

De nos jours, nous constatons de sérieux problèmes dans les rapports concernant l’homme avec ses proches. Certes, ce dernier se rend chez lui et retrouve sa conjointe, ses enfants, ses parents, ses frères et sœurs ; mais il ne parvient pas ou plus à nouer des liens solides avec eux. Lorsqu’ils se rencontrent, l’homme se contente de poser des questions comme : “Comment vas-tu ?” Est-ce que tout va bien ? As-tu mangé ? Comment les choses évoluent-elles ?” Et c’est tout, rien de plus. Ensuite, il passe le restant de son temps sur les réseaux sociaux. Finalement, en relâchant les liens avec les siens, l’homme cherche à combler par un autre moyen son besoin naturel d’amour, d’affection, de chaleur, de tendresse et de considération.

Islam Magazine : L’homme ressent donc le besoin de tisser des relations solides.

Mehmet Dinç : Bien évidemment, l’homme doit établir des liens consolidés avec ses proches, car son bien-être en dépend fortement. Nos problèmes, nos soucis, nos pensées, nos besoins, nos aspirations, nous devons tout partager avec nos proches, même si nous pensons n’avoir rien à partager. Tout individu a besoin qu’on lui accorde de l’intérêt, et si ce besoin n’est pas satisfait dans son environnement proche, il tentera de le satisfaire par d’autres voies. Et, en général, c’est en passant de longues heures sur les réseaux sociaux qu’on essaie de combler ce vide. C’est donc pour cette raison qu’il est admis que les réseaux sociaux demeurent l’une des causes principales de dislocation du tissu familial.

Opter pour son environnement proche

Islam Magazine: Vous précisez que le fait de ne pas pouvoir nouer des rapports solides avec nos proches relève déjà d’un problème énorme.

Mehmet Dinç : Lorsque nous n’approfondissons pas nos rapports avec notre environnement proche, au même titre que lorsque nous ne parvenons pas à maintenir à un niveau conforme nos relations avec les personnes qui nous sont [géographiquement] éloignées, nous serons inéluctablement confrontés à un problème énorme.

Tout individu peut exposer ses soucis à tout autre qu’il n’a jamais rencontré et dont il ignore la véritable identité. Il peut aisément s’adresser à cet autre individu comme s’il était l’un des siens.

Par conséquent, étant donné que nous ne connaissons pas l’intention de celui qui est en face de nous, cela pourrait occasionner des ennuis. Tout comme nous devons approfondir nos rapports avec notre environnement proche, nous devons aussi pouvoir limiter toute relation avec des personnes qui nous sont éloignées. On ne doit pas échanger avec quelqu’un que nous rencontrons pour la toute première fois et lui divulguer tous nos secrets. Ceci est l’un des problèmes que l’on rencontre sur les réseaux sociaux.

En ce qui concerne le second problème que les réseaux sociaux nous font vivre, c’est qu’ils constituent un obstacle à la réussite individuelle. En s’intéressant beaucoup trop aux réseaux sociaux, on ne parvient pas à organiser dignement nos projets ainsi que notre bien-être personnel. En effet, tout le temps que nous consacrons aux réseaux, si nous parvenons à le consacrer à nous-mêmes et à nos aspirations, nous accèderons sans nul doute à la réussite d’une vie familiale, professionnelle et sociale.

Il est vraiment nécessaire de s’attarder à ce stade de notre entretien sur nos projets personnels. En fait, l’homme s’engageant dans la vie active doit se poser ces questions : “Sur quel plan pourrai-je être profitable ?” ; “Qu’est-ce que je veux faire exactement ?” ; “À quoi est-ce que j’aspire ?” Mais, malheureusement, force est de constater que la plupart des gens ne se soumettent pas à ce questionnaire. Nous prononçons à longueur de journée cette phrase : “Je veux être quelqu’un d’utile ; je veux réussir !” Eh bien, comment pourrions-nous être bénéfiques ? Que devons-nous faire pour accéder à cette visée ? Dès à présent, quelles sont les opportunités qui nous sont accessibles pour concrétiser tout cela ? Aussi longtemps que l’on ne sera pas en mesure de fixer quotidiennement ce genre de plan progressif, impossible donc de faire preuve de motivation et de zèle pour concrétiser nos aspirations. Nous ne saurions passer à l’acte. Et étant donné que nous avons du temps libre, nous le consacrons naturellement aux réseaux sociaux. Nous utilisons ce temps pour chercher à connaître tout ce qui se passe à travers le monde comme si nous n’avions pas mieux à faire. Tout comme nous n’avons pas besoin de consommer un kilogramme de miel pour compenser le besoin d’un gramme de sucre, nous n’avons pas non plus besoin de passer des heures sur les réseaux sociaux pour acquérir des informations utiles sur l’actualité. Puisque nous connaissons les sources fiables de l’information, il suffit seulement d’aller directement à leurs adresses pour s’informer du nécessaire pendant une durée raisonnable. Il est insensé de suivre des dizaines de programmes sur les réseaux sociaux rien que pour accéder à une information fiable. Quelle est la nécessité de vouloir suivre tous ces programmes sur les réseaux sociaux ? Quelle est cette tendance qui nous pousse à vouloir nous informer de tout et de rien ? Telles sont ces questions fondamentales qu’il faut longuement et nécessairement nous poser quant à notre relation avec les réseaux sociaux, car l’être humain a une capacité limitée. Cette capacité ne peut tout retenir ; et en s’évertuant à vouloir tout retenir, l’utile sera confronté à l’inutile et tout sera confus dans son esprit. La capacité humaine ne peut retenir tout ce qui est véhiculé par les médias. L’homme est aussi inapte à maintenir en bons termes toutes les relations qu’il établit sur le Net. Et pourtant, les réseaux sociaux sont constitués d’un grand nombre d’individus et de choses qui demeurent au-delà de toute capacité humaine. Par conséquent, l’homme doit se servir des réseaux sociaux à la mesure de son pouvoir.

Ceci dit, si nous faisons bon usage des réseaux sociaux, nous en tirerons des bénéfices énormes. Par exemple, un utilisateur réseau décide de suivre un nombre bien défini de programmes et de personnes sur Internet. Il suit des personnes qui ont un rapport avec sa vie personnelle et avec lesquelles il partage les mêmes visions de la vie. Il n’y a aucun inconvénient s’il parvient à procéder ainsi. Si toutefois il s’avise à vouloir échanger avec tout le monde, à véhiculer des informations à tous, à répondre à toutes les questions qui lui sont posées, à comprendre tout ce qui se passe à travers le monde, bien évidemment il sera confronté à un problème majeur. En effet, en cherchant à s’intéresser à tous ces détails, les questions essentielles de son existence lui sauteront aux yeux telles que : “Quelle sera la finalité de mon existence ?” ; “Qu’en sera-t-il des projets et des aspirations de mon existence ?” ; “Suis-je venu au monde pour suivre les autres et chercher à savoir tout ce qu’ils font dans leur quotidien ?” Il serait bienséant de se rappeler ici cette belle phrase de Tanpinar : « L’être humain doit le plus souvent se confronter à lui-même durant son existence. » Evidemment, l’homme est tenu de s’asseoir pour se parler à lui-même et de débattre sur les enjeux liés à son existence. Il a besoin de s’isoler de temps en temps pour s’autosoumettre à un interrogatoire. Ceci est largement suffisant si nous parvenons à être quotidiennement habités par la réalité du but de notre existence. Si tel est notre quotidien, nous ne dilapiderons pas notre temps si précieux à utiliser les réseaux sociaux de façon abusive et incontrôlée. Mais comme la plupart des gens vivent quotidiennement dans l’inconscience de cette réalité, ils s’occupent à suivre exagérément les programmes diffusés sur le Net. Et c’est ainsi que l’utilisation des réseaux sociaux se traduit progressivement par une addiction telle qu’on ne peut plus s’en passer. Voilà, en bref, un autre problème colossal lié à l’utilisation abusive et démesurée des réseaux sociaux.

Nous menons une existence dont nous sommes responsables à chaque seconde qui s’ajoute et nous en rendrons inéluctablement compte. Il nous sera demandé la manière dont nous avons mené cette existence. Il ne sera pas question de répondre à cette question par cette affirmation : “J’ai passé ma vie à suivre ce que faisaient les autres, à répondre aux questions qui m’étaient posées sur les réseaux sociaux.” Tels seront les éléments de réponse de toute personne qui aura gaspillé son existence ; alors que, fondamentalement, la responsabilité qui lui incombe, c’est d’éviter la dilapidation de ce temps d’existence. En vérité, il n’est pas question de s’opposer catégoriquement à l’utilisation des réseaux sociaux, il s’agit plutôt de ne pas en faire un usage abusif et injuste.

Le cadre des rapports qui se détériorent progressivement

Islam Magazine : Avec l’expansion de l’Internet à l’échelle mondiale, nous sommes tous en proie au fléau de la communauté du Net et il est très difficile pour nous d’en sortir. De ce fait, pouvons-nous admettre que nous sommes face à un danger de dépendance ? Si tel est le cas, quelles sont les raisons psychologiques qui nous pousseraient vers ce réseau sans issue ?

Mehmet Dinç : L’être humain est une créature de très haut rang. Par conséquent, il serait impossible d’analyser le problème de l’homme sans prendre en compte sa dimension élevée dans la création. Si l’homme se retrouve confronté à un problème, il est fort possible que ce dernier ne soit pas lié qu’à une seule cause. L’une des causes principales de l’utilisation abusive du Net, c’est le chamboulement extraordinaire du monde de vie communautaire durant ces cinquante dernières années. Focalisons-nous par exemple sur un individu ; il est certes important qu’un individu se fixe des objectifs, mais il est encore plus important que ces objectifs soient menés à la vie sociale et qu’ils soient facilités, soutenus et encouragés par celle-ci. En fait, l’une des raisons capitales qui poussent à l’utilisation abusive des réseaux sociaux, c’est que chaque jour qui passe les hommes tentent à paraître peu dans la société et dans leur environnement proche ; leurs rapports avec ces derniers se détériorent progressivement. Auparavant, les hommes avaient pour habitude de partager leurs vécus quotidiens au sein de la famille élargie. Celle-ci était composée de plusieurs membres ; et au-delà des membres, il y avait les voisins, les amis du quartier et de la vie quotidienne. Et c’est ainsi que les membres d’une société vivaient en harmonie dans une intense relation amicale voire fraternelle. Ils étaient donc en mesure de satisfaire leurs besoins en matière de soins, d’attention et de considération. Qui plus est, ils pouvaient s’exprimer, se définir et nouer aisément des relations. Ils débattaient sans cesse sur des sujets intéressants. Mais en analysant le cas qui est le nôtre aujourd’hui, nous détenons certes toutes les informations relatives à ce monde et maîtrisons tous les sujets dans les moindres détails. Toutefois, le nombre de personnes que nous fréquentons dans notre environnement proche est très restreint. Nos demeures se sont réduites et continuent dans ce sens. Le pire, ce n’est pas seulement nos demeures qui sont réduites, mais les rapports avec nos proches qui le sont aussi. Nos interactions mutuelles perdent de leur intensité. Les opérations sur le Net s’intensifient au détriment des “opérations physiques”. Et c’est ainsi que nous tissons des relations avec des gens sans même les avoir vus, sans même connaître leur moralité.

D’autre part, tel que nous le constatons de nos jours, les rapports entre voisins n’existent plus. Aucune activité commune n’est organisée à l’échelle du quartier ; tout se passe discrètement dans les maisons. Les membres d’une grande famille ne se fréquentent que rarement. Toute notre existence ne se limite qu’à la famille restreinte. La fréquence des relations avec nos proches a chuté et la piété filiale a perdu de sa valeur au point que certains même ne connaissent pas leurs oncles, tantes, cousins et cousines, bien qu’ils appartiennent à la même famille. La négligence des liens de parenté est un facteur qui attire la pauvreté et divers problèmes. En effet, l’homme est de nature à vouloir nouer des relations, paraître, être accrédité et considérer, échanger et s’épancher. Il aspire, de temps en temps, à rencontrer de nouveaux visages.

Voici une anecdote pour illustrer ce propos : « Deux vendeurs d’eau ambulants déambulaient pour vendre leur eau. Un jour, ils se croisèrent et se saluèrent. L’un deux dit à l’autre : “ Peux-tu m’offrir un verre d’eau ?” L’autre lui répondit : “ Pourquoi t’offrirai-je un verre d’eau ? N’es-tu pas un vendeur d’eau et que présentement tu en transportes ?” Le premier répliqua : “ J’en ai assez de mon eau ! Ce que je souhaiterais, c’est goûter à ton eau”. »

Eh bien, il peut arriver par moments que l’homme se lasse de lui-même, qu’il soit dégoûté des mêmes réalités qu’il vit au jour le jour et qu’il ait envie de rencontrer de nouvelles personnes et vivre de nouvelles aventures. Dans ces circonstances, un pas vers la rencontre d’un nouveau visage serait pour lui synonyme d’apaisement. Ce nouveau visage peut être un proche issu de la famille élargie, un ami d’un parent ; tel était le cas dans le passé. Mais aujourd’hui, force est de constater que l’homme parvient difficilement à jouir d’une telle opportunité, car cette réalité n’existe plus comme auparavant. On assiste généralement aujourd’hui à des relations limitées entre l’individu, son père et sa mère, son épouse, ses enfants et les membres de sa fratrie. Et pourtant, nous rencontrons à longueur de journée un nombre pléthorique de personnes ; de nombreux contacts sont mentionnés dans notre répertoire téléphonique ; mais avec combien de personnes entretenons-nous réellement des rapports consolidés et fiables ? Qu’est-ce qui ne va pas alors ? Nos relations se multiplient, mais malheureusement ne s’approfondissent pas. Nous sommes en interaction avec plusieurs personnes sans entretenir avec elles des rapports en due forme. Nous sommes informés de la situation de bon nombre de nos semblables, mais nous n’entretenons que des relations à distance avec eux. Nos rapports sont dépourvus de nobles valeurs telles que l’affabilité, l’assistance mutuelle, le partage, la compassion et la probité. Tous ces éléments sont des facteurs qui compromettent le bien-être individuel parce que c’est en compagnie de ses semblables que l’homme est ce qu’il est et qu’il progresse.

Nos valeurs fondamentales s’estompent

Au nombre des facteurs qui nous poussent à l’utilisation abusive des réseaux sociaux, il y a le fait que notre époque est celle de la précipitation, du plaisir et de la facilité. En effet, nous sommes animés par le désir de vouloir tout acquérir, et ceci en un temps record. Bien évidemment, cette phrase résume toutes les dimensions intrinsèquement liées à la triste réalité que nous traversons actuellement. Nous voulons immédiatement tout avoir sans vouloir patienter. Nous perdons le sens et l’énergie de la patience. De même, il s’ajoute à cette réalité le fléau du gain facile. En effet, nous souhaitons tout posséder sans fournir d’efforts, sans consentir à des sacrifices. Nous avons perdu le sens de l’effort et du sacrifice, alors que nos aspirations sont insatiables. La notion de contentement nous est à présent étrangère. Nous acquérons toujours plus mais nos biens ne nous sont d’aucun profit. Telle est la destination vers laquelle les réseaux sociaux nous ont menés. Ils ont développé en nous le sens de la facilité, de l’égocentrisme ; et c’est ainsi que nous entretenons aussi nos rapports sociaux sans faire montre d’abnégation et de générosité.

Face à cette réalité fastidieuse, la vie bat son plein, le monde évolue comme si de rien n’était. Et pourtant, nous menons une existence dont nous sommes responsables et nous en rendrons compte. Sachons qu’au nom de nos rapports sociaux, nous sommes appelés à faire preuve de patience, de probité et d’abnégation afin que ceux-ci soient solidement noués. Sachons qu’il ne nous est pas demandé l’impossible, nous devons juste fournir le nécessaire à la mesure de nos possibilités. Étant donné que les réseaux sociaux offrent des opportunités illimitées, à quoi assistons-nous aujourd’hui ? À une situation dans laquelle les gens se demandent où est la nécessité de patienter, de fournir des efforts colossaux, de se contenter de ce qu’on a, puisque les réseaux sociaux permettent d’acquérir toujours plus et d’accéder à nos aspirations de façon aisée, rapide et illimitée. Par conséquent, en s’aventurant dans l’univers de ces réseaux alors que notre moralité et nos valeurs intrinsèques ne sont pas suffisamment élevées, nous serons assurément en proie à les utiliser de façon abusive, dépendante et incontrôlée. Nous penserons nous servir d’eux dans l’intention de suivre des programmes à même de nous procurer du plaisir, de nous détendre et de nous faire passer du bon temps. C’est ainsi que nous sommes aussi tentés de publier et de partager des images et propos d’aucun intérêt parce que nous voyons les autres le faire et voulons les imiter naturellement. On désirera que les autres aiment et commentent nos publications. Parfois, nous publions des choses que nous savons absurdes ; toutefois, il y a des gens qui les aiment et les apprécient. Nous postons ce que les autres disent ou font ; nous partageons ce qu’ils ont publié alors que nous en ignorons le sens. En bref, notre intention est de publier des choses pour que ceux qui visitent notre page puissent les apprécier et les commenter, ce qui nous procure un certain plaisir. Cette posture justifie une défectuosité au niveau de nos valeurs fondamentales. C’est pour cette raison que si nous ne voulons pas être addictifs aux réseaux sociaux ou si nous souhaitons faire partie des utilisateurs raisonnables et bénéfiques, nous devons rester intègres et renforcer nos valeurs intrinsèques. Savons-nous que le gain des biens profitables exige une part d’abnégation, de sacrifice, de labeur et de patience ? Avons-nous le sens du contentement ? Menons-nous une existence fondée sur ces valeurs fondamentales, ou bien les bafouons-nous en nous laissant aller à la facilité ?

Sans ces principes de vie, nous serions certainement des utilisateurs abusifs des réseaux sociaux. Bien que les réseaux sociaux soient à l’origine du divorce de certains, ils ne s’en veulent même pas pour cela. Et pourquoi ? En effet, ils pensent avoir encore certaines opportunités de trouver un autre partenaire sur le Net. En vérité, il y a effectivement bon nombre d’alternatives qui conduisent l’homme à l’illicite. Telle est sa vision quand il est dépourvu de valeurs, lorsque sa vie n’est pas fondée sur des principes essentiels ou lorsque sa moralité ne se limite qu’à des mots. Il culpabilise les autres et les rend responsables de tout ; il pense que c’est son conjoint ou proche parent qui est à l’origine de son mal, du fait que sa nature saine est corrompue. Si nous sommes en réalité des personnes de bonne moralité, on n’offensera ni ne lésera notre conjoint au profit d’une personne à l’identité inconnue que nous avons rencontrée sur les réseaux sociaux. On ne violera pas non plus les droits de nos enfants et on ne manquera pas de vouer du respect, de l’intérêt et de l’assistance à nos parents au bénéfice d’une personne inconnue du Net. Ceci dit, nous devons préserver nos valeurs, sinon nous serons des utilisateurs dépendants et malheureux des réseaux sociaux. 

Comment profiter des réseaux sociaux

Islam Magazine : Comment alors se servir des réseaux sociaux de façon fructueuse ?

Mehmet Dinç : Evidemment, nous devons évoquer la problématique de l’utilisation avantageuse des réseaux sociaux. C’est un point fondamental. Pouvons-nous admettre que les réseaux sociaux ne sont d’aucun profit ? Non, pas du tout, car ceux-ci regorgent d’innombrables bienfaits que l’on peut énumérer. Premièrement, un groupe de personnes animé d’une intention probe sont en situation de se retrouver sur le Net, faire connaissance et organiser ensemble un grand nombre de projets bénéfiques. Il est très important d’avoir une visée lorsqu’on se retrouve sur le Net. L’utilisation à visée doit justifier notre présence sur le Net. Et que signifie l’utilisation à visée ? Quand nous programmons de passer du temps sur le Net, il est indispensable que cela soit profitable à notre vie et/ou à autrui. On ne doit pas se rendre sur les réseaux sociaux pour chercher à connaître la vie quotidienne des autres. On planifiera plutôt d’obtenir quelque chose de nouveau qui nous permettra de progresser ou de véhiculer aux utilisateurs ce qui leur serait utile. On cherchera à organiser des programmes instructifs, à partager des écrits et œuvres émanant de notre savoir-faire et de nos expériences personnelles. Aussi, se servira-t-on du Net pour promouvoir le bien et tout ce qui participe au bien-être de la société.

En fin de compte, nous réalisons qu’il est possible de se servir fructueusement des réseaux sociaux. Tout est une question de bon sens. Il suffit d’avoir un but précis lorsque nous nous rendons sur le Net ou quand nous manipulons nos téléphones mobiles. On doit se poser la question consistant à savoir en quoi et comment notre temps passé sur les réseaux sociaux a été bénéfique, à nous ou aux autres. Si nous ne gagnons rien et ne donnons rien, c’est que notre présence sur le Net n’est que pur gâchis de notre précieux temps. L’être humain éprouve naturellement le besoin de se détendre de temps en temps ; et pour satisfaire ce besoin, quelques minutes lui sont largement suffisantes. Mais il n’est pas question de passer des heures et des heures à se détendre, sinon nous négligerons immanquablement l’accomplissement de certaines tâches qui nous sont primordiales. Or, nous sommes responsables de ce que nous négligeons ou dilapidons. Il faut absolument que nous soyons conscients de cela.

Prendre garde à quatre éléments en matière d’intimité

Islam Magazine : L’actualité est très animée par le sujet suivant : « Les réseaux sociaux et la vie privée des individus. » Ce thème crée d’incessants débats houleux, car notre intimité est aujourd’hui remise en cause face au fléau des réseaux sociaux. Quels sont par conséquent les inconvénients que vous auriez vus et entendus à ce sujet ?

Mehmet Dinç : Cette problématique est d’une importance capitale, étant donné qu’il est question ici du droit à l’intimité de tout un chacun. Il serait peut-être nécessaire de s’attarder sur les éléments latents de cette problématique. De prime abord, il faut signaler que lorsqu’on évoque le thème de l’intimité, il ne s’agit pas seulement du moi. En effet, en publiant la photo d’une personne, il pourrait s’agir d’une photo censée rester au sein de la famille et, en conséquence, cette publication peut être à l’origine de bon nombre de problèmes. Se permettre de poster les images d’une personne sans son autorisation est une violation de ses droits, car cela pourrait engendrer des situations fâcheuses et inattendues. Publier les images d’un enfant inconscient de toute réalité est une violation de droit. Les images sont constituantes de l’intimité physique d’un individu ; on ne doit donc pas violer cette intimité.

Deuxièmement : il y a une intimité verbale et qu’est-ce que l’intimité verbale ? Il s’agit ici de tenir des propos mesurés, de ne pas proférer des paroles portant atteinte à la vie privée et au bien-être d’autrui. Nous constatons que l’intimité verbale est généralement bafouée sur les réseaux sociaux. Les individus communiquent les uns avec les autres de façon démesurée et compromettante. Il existe plusieurs procédés par lesquels on s’adresse aux autres. Il peut s’agir d’un procédé décent, particulier, grossier, injurieux, offensant. Ceci dit, nous devons prendre garde à l’intimité verbale. Il serait bienséant qu’on ne publie pas sur les réseaux sociaux les échanges verbaux qu’un individu entretient discrètement avec un autre qui lui est très proche. Nous sommes appelés à préserver infailliblement l’intimité verbale.

En outre, la vie privée de l’individu est une réalité. Nous constatons que certaines personnes postent sur les réseaux sociaux tout ce qui est en rapport avec leur vie privée, leurs souvenirs et relations personnelles. D’aucuns vont même jusqu’à publier les détails concernant les rapports intimes avec une autre personne qui, sûrement, n’apprécierait pas de se voir être l’objet d’une telle indiscrétion sur les réseaux sociaux. Nous devons faire très attention à cela et à la rigueur solliciter l’autorisation d’une personne avant de poster quelque chose en rapport avec sa vie privée. Le cas échéant, le mieux serait de ne pas risquer de publier de telles choses. En effet, il n’est pas question que les autres connaissent notre vie privée ; celle-ci ne concerne que nous-mêmes et nous devons donc la préserver.

Enfin, impossible d’évoquer aussi l’intimité qui règne dans nos pensées et inspirations. En fait, nous ne sommes pas obligés de faire savoir à tout le monde ce que nous pensons, de partager avec quiconque nos idées et projets. Certains se permettent de publier et de partager indiscrètement leurs plans. Or, il n’est guère bienséant de divulguer et de partager nos idées et visées parce que si nos prenons l’habitude d’agir indiscrètement dans notre façon de vivre, on finira par être indiscret sur certains secrets de notre vie. En vérité, nous ne pouvons pas savoir comment réagira la personne en face lorsqu’elle prendra connaissance de nos idées. C’est pour cela qu’il nous faut vaille que vaille mesurer nos propos, limiter nos écrits et faire le tri entre ce qui doit être partagé ou pas avec les autres. Jusqu’où pourront aller nos écrits et autres paroles que nous proférons ? Quelle influence auront-ils sur les récepteurs ? Il arrive que nous tenions des propos et véhiculions des messages avec une bonne intention, mais qui malheureusement seront mal compris ou auront des effets négatifs sur nos interlocuteurs.

Par conséquent, il est d’une importante capitale que nous fassions très attention à ces quatre éléments attachés à l’intimité lorsque nous nous trouvons sur les réseaux sociaux. Ici, il est question de la problématique du procédé que l’on doit adopter quand nous allons sur le Net. En effet, après avoir atteint une certaine maturité, l’homme doit partager ses idées et véhiculer ses messages sur les réseaux sociaux d’une façon convenable. Il doit publier à la mesure du nécessaire les aspects instructifs et positifs de sa vie. Tout ce que l’on fait sur les réseaux sociaux doit être fait de façon contrôlée, limitée et conforme. Si nous sommes vigilants concernant ces détails, loin de nous détruire et de nous assujettir, les réseaux sociaux nous profiteront grandement. Qui plus est, loin de nous appauvrir intellectuellement et spirituellement, ils nous enrichiront ; et loin de limiter et compromettre nos rapports sociaux, ils les solidifieront et les amélioreront.

Islam Magazine : Nous vous remercions chaleureusement, cher professeur.

Mehmet Dinç : Je vous en prie.


[1] Né à Istanbul, il acheva ses études de Licence à l’Université de Marmara, obtint son Master en éducation à l’Université de RMIT, et son Master en qualité de psychologue de clinique à l’université d’Okan. Il poursuit actuellement ses recherches en doctorat à l’Université de Marmara. 

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