Se réfugier en Dieu : une approche soufie

Mar 13, 2019 par

 

Dr Suleyman Derin

Les musulmans sont appelés à chercher refuge dans la protection de Dieu contre les maux de Satan. D’où la formule consacrée (istiâze) : « Je cherche refuge auprès de Dieu contre Satan le lapidé » (A’ûzu billâhi min-ashshaitân ar-rajîm), laquelle formule accompagne toujours l’autre formule consacrée : « Au nom de Dieu le Miséricordieux, Celui qui fait miséricorde » (Bismillâhi-rahmâni-rahim). Cette formule doit être prononcée toutes les fois que nous voulons la protection divine contre Satan. Dans cet article, nous essaierons d’examiner ce que les commentaires soufis ont dit à propos de l’istiâze : mot qui signifie littéralement le fait de chercher refuge auprès de Dieu.

Le verset 98 de la sourate 16 ordonne aux croyants de réciter l’istiâze avant de réciter ou de lire le Coran, ceci afin que les forces démoniaques ne puissent gêner la récitation de la Parole de Dieu. Le verset en question dit :

 

« Chaque fois que tu lis le Coran, demande pardon à Dieu contre Satan le maudit !

Satan n’a nulle emprise sur ceux qui ont la foi et se confient à leur Seigneur. Seuls subissent sa loi ceux qui en font leur maître, l’associant au culte de Dieu. » (Coran, 16/ 98-100)

 

Il y a une indication au verset 98 exprimant le fait que réciter l’istiâze avant de lire le Coran prépare le cœur à recevoir les lumières divines tout en le protégeant des tentations de Satan. En accomplissant cela, le cœur se purifie, l’action de réciter devient une démarche intentionnelle et n’est pas le fait d’imiter les autres. Selon Ismaîl Hakki, le célèbre auteur de « l’âme apparente » (Rûh alBayan), réciter l’istiâze signifie demander à Dieu Sa permission avant de commencer toute activité ; à l’instar du serviteur qui ne peut entrer dans la présence du roi, de ce fait, le croyant ne peut prétendre commencer une lecture coranique sans avoir, au préalable, obtenu la permission divine. Hakki dit aussi que c’est au moment où l’homme cherche refuge auprès de Dieu qu’Il répond ainsi à ses prières.[1]

Cependant, prononcer l’istiâze ne fait pas d’un croyant un être exempté de péché. Sayyid Qutub, interprétant ce verset différemment, dit que les croyants commettent des petites erreurs mais, en revanche, ils ne soumettent jamais leur volonté à celle de Satan. Il accepte ainsi que les croyants sont sujets à commettre des péchés mais ils ont la capacité de se réfugier immédiatement en Dieu.[2]

Le commentaire de Qutub est confirmé par le verset coranique stipulant que Satan n’a de pouvoir qu’envers ceux qui le tiennent pour ami. Bien que ce verset recommande de prononcer la formule de l’istiâze avant de débuter toute lecture du Coran, la plupart des exégètes sont unanimes pour affirmer que les croyants doivent obligatoirement la prononcer avant d’entreprendre toute action. Notre Créateur exprime clairement le fait que Satan n’a de pouvoir que sur ses amis et n’en possède aucun sur les Amis de Dieu (Awliya). Cette réalité n’est pas valable uniquement pour toute lecture coranique, mais également pour l’ensemble des activités que les croyants entreprendront.

La simple formulation de l’istiâze, énoncée avec le bout de la langue, ne suffit pas pour obtenir l’aide et la protection de Dieu. En effet, il existe quelques conditions préalables pour que l’istiâze prononcée par le musulman soit licite. Parmi celles-ci, croire en Dieu et posséder une foi forte sont des points où il faut particulièrement insister ; dire de simples paroles sans vraiment croire à la puissance divine ne pourront pas protéger efficacement le croyant.[3] Lorsque celui-ci énonce l’istiâze, toutes les cellules de son corps doivent se joindre à sa supplication.

Hudâi, le fameux maître soufi de l’ordre Jalwatiyya, offrit de nouvelles perspectives aussi loin que les diverses interprétations ésotériques du verset sont concernées. Il disait que lorsqu’on cherchait refuge auprès de Dieu, le cœur doit être présent avec la langue, et l’état (hâl) doit être en cohésion avec les propos. En d’autres termes, lorsqu’un croyant désire une chose interdite par Dieu (haram), l’istiâze d’une telle personne n’est pas réellement sincère. Hudâi pense que l’ego (nafs) de la plupart des gens coopère avec Satan. D’où le fait que le croyant aurait tout intérêt à détruire cette coopération entre Satan et son ego. Toujours selon Hudâi, cette entreprise n’est seulement possible qu’en augmentant sa connaissance de Dieu (ma’rifa).

Abû Saîd bin Al-Kharrâz a vu une fois Satan en rêve et a voulu le frapper avec son bâton. Satan lui dit : « Je n’ai pas peur de ton bâton mais seulement des lumières de la connaissance divine qui brillent dans le cœur des gnostiques (ârif).[4]

Par cette explication, Hudâi insinue que lorsque la langue n’accompagne pas le cœur vers une recherche sincère de la protection de Dieu, formuler l’istiâze n’est pas acceptable. Avant même d’exprimer le désir de se réfugier en Dieu, la première chose à savoir est de connaître la nature de l’ennemi duquel il faut s’échapper. En insistant notamment sur ce point, Al-Fakr Al-Razi montre que cette petite phrase recouvre des milliers de significations différentes.[5]

Ces dangers, et en particulier les maux cachés qui conduisent vers des chemins d’égarement et éloignent de la pure voie de la législation islamique (sharia), restent toujours un sujet d’étude pour les soufis. Ces dangers sont de deux sortes : les premiers sont d’ordre physique et les seconds d’ordre spirituel. Malheureusement, la majorité des gens ne connaissent que les premiers et s’efforcent uniquement de se protéger contre leurs mauvaises influences. Ils semblent oublier qu’un être humain possède aussi une dimension spirituelle et que celle-ci affronte également n’importe quel danger. Ces derniers sont infiniment plus dangereux que les premiers. Le plus grand dommage que peut engendrer un danger physique est de causer la mort. Puisque chacun devra mourir un jour, quelle importance de vivre dix ou vingt années de plus que les autres. Qu’est-ce que dix ou vingt années d’existence supplémentaire à côté de l’éternité des années qui s’écouleront dans la Vie Future. À ce propos, Dieu dit dans le Coran :

 

« Du ciel, Il décide par ses décrets de toute chose sur terre. Puis tout remonte vers Lui en l’espace d’un jour dont la durée est de mille ans selon votre calcul humain. » (Coran 32/ 5)

Ainsi, un jour de châtiment est capable de durer des milliers d’années. C’est vraiment amusant de réfléchir au fait que, d’une part, des gens dépensent des milliers d’euros ou de dollars pour soulager leurs petites blessures et que, d’autre part, ils ne font pratiquement rien pour se protéger des maladies néfastes pour l’âme. Chercher refuge auprès de Dieu est le plus court chemin pour se préserver de telles maladies. Le musulman doit comprendre que Satan est un ennemi puissant et que son but est de détruire l’espérance du croyant en la Vie Future. Satan est jaloux de l’homme et veut emmener celui-ci jusqu’en Enfer. Néanmoins, Ismail Hakki pense que « les satans » dans ce contexte introduit aussi la notion de toute chose susceptible de détourner l’homme du droit chemin. De ce fait, Dieu nous informe par le Coran que Satan existe bel et bien et qu’il agit sans cesse dans la vie des hommes en s’efforçant de les corrompre et de les emmener dans des voies de perdition. Il tente aussi d’introduire des mauvaises intentions dans le cœur des croyants. Après que Moïse eut frappé puis tué l’Egyptien, il s’exclama :

 

« Ce meurtre est l’œuvre de Satan, ennemi juré des humains, qu’il égare manifestement ! » (Coran 28/15)

Même un grand prophète comme Moïse (sur lui la paix) commit une erreur à cause de la tromperie de Satan. Par conséquent, il faut rester très attentif afin de ne pas tomber facilement dans ses pièges.

Les soufis insistent toujours sur la nécessité absolue de se diriger vers Dieu et de se réfugier en Lui. Lorsqu’un serviteur du Dieu se réfugie au sein de la toute-puissance divine en prononçant la formule de l’istiâze, Dieu vient immédiatement à son secours car, dans cette voie, le serviteur admet sa faiblesse et accepte la force et la puissance de Dieu.

Dans les hadiths suivants, on peut s’apercevoir de la manière dont le Prophète Muhammad (pbsl) cherchait constamment refuge auprès de Dieu. Il conseilla sans cesse à sa communauté de faire de même afin de lutter contre les mauvaises pensées qui assaillent les croyants comme les maux liés à la vieillesse, à la misère, à la lâcheté, à la nuisance des mauvais voisins et des ennemis, au stress, au châtiment de la tombe, à l’Enfer, aux dangers de la richesse, à la paresse, aux dangers provenant des hommes et des djinns… La liste n’étant pas exhaustive. Le Prophète (pbsl) désire porter cet enseignement afin que les croyants sachent que le fait d’aller vers Dieu en Lui demandant aide et protection leur assurent la préservation de leurs personnes contre tous les maux. Croire à la puissance de Dieu et refouler l’ego. Par contre, il faut faire en sorte de ne pas tomber intentionnellement dans les pièges de Satan et, après avoir pris ces précautions, il ne suffit pas de croire qu’elles seront en mesure d’assurer une quelconque protection. En effet, Dieu est le principal acteur qui se trouve derrière tous les voiles de la connaissance et c’est seulement Lui qui détient la force de protéger.

Al –Bara’ Bin Azib (que Dieu l’agrée) a dit :

Le Messager de Dieu (pbsl) me demanda de réciter cette formule avant d’aller me coucher : « Allahumma aslamtu nafsi ilaika, wa wajjahtu wajhi ilaika, wa fawwadtu amri ilaika, wal-ja’tu zahri ilaika, raghbatan wa rahbatan ilaika, la malja wa la manja minka illa alaika. Amantu bikitabikal-ladhi anzalta, wa nabbiyikkal-ladhi arsalta. » (Ô Allah ! je me soumets à Toi, je tourne ma face vers Toi, je te confie mes affaires et m’engage à me tourner vers Toi par crainte et désir de Toi, m’attendant à Ta récompense et craignant Ton châtiment. Il n’y a pas d’autre refuge que Toi ni aucune garantie loin de Toi mais avec Toi. Je crois au Livre que Tu as révélé et au Prophète que Tu as envoyé.)

Le Messager de Dieu a dit : « Quiconque récite ces paroles et meurt pendant la nuit, il mourra dans la vraie religion. Dans le cas où il demeure vivant jusqu’au matin, il obtiendra une récompense. » (Hadith rapporté par Bukhâri et Muslim)

De même, Umm Salama (que Dieu l’agrée) a dit :

Toutes les fois où le Prophète (pbsl) sortait de chez lui, il disait :

 

« Bismillah, tawwakkaltu ‘alallah. Allahumma inni aûdhu bika an adilla aw udalla, aw azilla aw uzalla, aw azlima aw uzlama, aw ajhala aw yujhala ‘alayya. » (Au nom d’Allah, je m’en remets à Allah ; O Allah, je cherche refuge auprès de Toi afin de ne pas me détourner du droit chemin, pour ne pas chuter ou être une occasion de chute, pour ne pas commettre l’injustice ou être une cause d’injustice, pour ne pas commettre le mal ou être une cause de mal.) (Hadith rapporté par Abû Dawûd et Tirmidhî)

Les rapporteurs de ce hadith ont ajouté :

« Un démon dira à un autre : comment peux-tu t’occuper d’un homme qui a été guidé, défendu et protégé ? »

Les invocations citées dans ces hadiths montrent à quel point la confidence, la foi en Dieu, la demande de sécurité contre les artifices de Satan sont des aspects importants de la religion musulmane car, comme le démontre le hadith suivant, Dieu promet Sa protection. Cependant, pour obtenir cette protection divine, nous avons besoin d’être aimé de Dieu ; en d’autres termes, nous devons mériter Son amour en accomplissant de bonnes actions.

Abû Hurayra (que Dieu l’agrée) a relaté : le Messager de Dieu (pbsl) a dit :

« Dieu (qu’Il soit exalté) a déclaré : « Qui est l’ennemi de Mon adorateur pieux, Je lui déclare la guerre ! Il n’y a pas une chose par laquelle Mon adorateur se rapproche de Moi que ce que Je lui ai prescrit comme obligation. Et Mon adorateur ne cesse de se rapprocher de Moi par les pratiques surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main avec laquelle il saisit et son pied par lequel il marche. S’il Me demande, Je lui donnerai et s’il cherche refuge auprès de Moi, Je le protégerai. » (Hadith rapporté par Bukhâri)

Nous avons tous besoin de recevoir des leçons à travers ces exemples tirés de la vie du Prophète (pbsl) et de rechercher constamment refuge auprès de Dieu contre les tentations de Satan car Il est le seul vrai protecteur.

Que Dieu nous protège des turpitudes des hommes et de Satan.

Amin.

[1] Bursevî, I.Haqqi, Rûh al Bayân, (Asar pub. Istanbul, 1389) v.1 p.5 (10 volumes).

[2] Kutub Seyyid, Fizilal ilKur’an, traduit en turc, I. Hakki Senguler, M. Emin Sarac, Bekir Karliga (Istanbul, 1968) v.9 p.243.

[3] Âlûsî, Shihâb al-Din, Rûh alMa’âni ; Beyrouth, 1985, v.14 :230.

[4] Hudâi, Majalis alNafais, manuscrit rassemblé par l’auteur. La même histoire est aussi relatée par Haqqi cf :Bursevî, I. Haqqi, Rûh alBayan, v .1 p.5.

[5] Al-Fakhr al-Razi, Al tafsir alKabîr, Tahran, Dar al Kitab al-Ilmiyya, n.d.v.1, p.4.

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