L’Homme ne saurait être une créature digne s’il ne connait pas son Seigneur

Mar 13, 2019 par

Ahmet TAŞGETİREN

La “marifatullah“ (la connaissance du Divin) est employée en tant qu’une locution soufie. On la définit comme “connaitre Dieu ; détenir une science sur Dieu“. Dans le courant soufi, en plus de ces caractéristiques attribuées à ce thème “la science de l’Essence Divine, la connaissance du caché, la science du mystère, la connaissance de l’état, la compréhensiondes circonstances, le savoir du fanâ-bakâ[1], la compréhension de l’Essence, des Noms et Attributs Divins“, il détermine aussi l’accession à une connaissance particulière en adhérant à une voie spirituelle. Les soufis ont extrait ce mot des thèmes “lumière“ et “faculté“ qui sont mentionnés dans les versets coraniques suivants :

« Est-ce que celui dont Allah ouvre la poitrine à l’Islam et qui détient ainsi une lumière venant de Son Seigneur…»[2]

« Ô vous qui croyez ! Si vous craignez Allah, Il vous accordera la faculté de discerner (entre le bien et le mal).»[3]

Dans ce contexte, la compréhension des thèmes “lumière“ et “faculté“est complémentairement liée à celle de “marifatullah“ (la connaissance du Divin). C’est pour cette raison qu’il n’est pas aussi aisé de comprendre la nature de ces “connaissances particulières“ni de spécifier leur caractère particulier. En effet, la validité de ces connaissances est à la fois basée sur le Saint Coran et les enseignements prophétiques, et aussi sur les avertissements faits par les grands savants soufis. À propos du sujet, dans l’encyclopédie islamique de Diyanet[4], Prof. Dr. Suleyman Uludağ Hoca mentionna ces écrits dans son article “Marifat“[5]  :

“Le fait que les soufis admettent que la “marifat“ soit au-dessus des sciences religieuses acquises suite aux études, ne doit pas stipuler la sous-estimation de ces sciences. Pour établir l’ordre dans l’esprit des gens, certains savants soufis se sont justifiés en précisant que la supériorité de la “marifat“ par rapport aux autres sciences religieuses ne sous-entend pas la dévalorisation et l’invalidité de ces sciences. Au contraire, ils ont plutôt soumis la validité de la “marifat“ au Coran et hadiths ; c’est-à-dire, pour que la “marifat“ soit admise comme juste et vraie, elle ne doit aucunement être contraire aux enseignements véhiculés dans le Saint Coran et la tradition prophétique. Au nombre de ces savants soufis, Zunnûn al-Mısrî a affirméque la lumière de la “marifat“ ne doit pas éteindre celle de la piété, qu’on ne peut pas aborder la notion d’une science cachée contraire à la science apparente, que le savoir que Dieu inspire à Son serviteur n’outrepasse pas la limite des recommandations religieuses qu’Il nous a imposées. De même, Abû Saîd al-Harrâz a dit que toutes les sciences cachées qui s’opposent aux sentences de la charia ne sont pas admises comme principe. Pour Abû Suleyman ad-Dârânî, le Noble Coran et les hadiths doivent prouver la véracité de la “marifat“. Et enfin, Djunayd-i Bağdâdî a précisé que la “marifat“ doit tourner autour des sentences coraniques et prophétiques. “[6]

En résumé, quoi qu’il en soit, que l’homme accède ou pas à une connaissance particulière, la problématique fondamentale qu’il doit chercher à résoudre demeure la connaissance de son Créateur. Sûrement, c’est suiteà cette question qui lui tourmentait l’esprit «D’où je viens? Où je vais?» que l’homme essaya de se connaitre lui-même ; en se connaissant, il est parvenu à son Créateur ; et par la suite, il s’adonna à la recherche de la connaissance de son Seigneur. Probablement aussi, eu égard à cette expression coranique « Connait son Seigneur celui qui se connait lui-même», l’être humain s’évertua sans relâche à la connaissance de son Seigneur mais en vain, il ne put accéder à cette connaissance comme le définit ainsi le Sublime Coran :

«Ils n’ont pas estimé Allah à sa juste valeur ; Allah est certes Fort et Puissant.»[7]

Ainsi, à la suite de tous ces facteurs, les Livres saints furent-ils révélés aux hommes.Tous les Livres révélés et bien évidemment le Glorieux Coran enseignent aux hommes l’Essence de Dieu, c’est-à-dire leur Créateur de même que les recommandations de Celui-ci. L’être humain doit être une créature digne de sa création vis-à-vis du Créateur. Peut-être qu’il ne parviendra pas à connaitre dignement son Seigneur ; toutefois, il y a la moindre des choses que nous devons savoir de Lui car, Il a un droit fondamental sur nous Ses serviteurs que nous sommes. Ce droit en question, c’est de savoir qu’Il existe avant toute chose et est au-dessus de tout, qu’Il est le Commencement et la Fin. Peut-être que si nous parvenons à comprendre ce seul droit de l’Existence Divine et méditons sur le sens du rapport qui doit être établi entre Lui et nous, nous pourrons être des créatures dignes.

Mais en réalité, il n’est pas aussi simple de connaitre Dieu. C’est sans nul doute pour cela qu’il est dit dans le soufisme que le cœur est l’organe qu’il faut nécessairement et progressivement façonner et purifier, afin de pouvoir accéder à la connaissance divine. Proportionnellement à la maturité et la purification de son cœur, l’homme sera honoré par des connaissances particulières, des perceptions et privilèges spirituels. Par exemple, il a été rapporté ceci d’Abdullah b. Mas’ûd (radıyallâhu anh) :

Le Messager de Dieu nous a tellement façonnés spirituellement que nous avions atteint un degré où nous entendions les formules de louanges de Dieu récitées par les aliments que nous consommions…“Ce savoir n’est-il pas un savoir intéressant? Bien sûre, mais il faut que nous signalons ceci :

“Quelle que soit la nature de la science que l’homme détient, il doit s’accentuer sur la connaissance de son Seigneur car, la maturité de la foi est dépendante de cela. Nous nous acquitterons de nos responsabilités vis-à-vis de notre Créateur proportionnellement à la connaissance que nous détenons sur Lui. “

L’Être Suprême, en nous disant ceci «Je n’ai créé les djinns et les humains que pour qu’ils M’adorent», nous informe d’une part qu’Il est notre Créateur ; et d’autre part, Il nous enseigne la mission pour laquelle nous fûmes créés. Ceci dit, si nous ne nous soumettons pas à Cet Être, notre existence n’aurait pas de sens. Comment pouvons-nous donc ne pas chercher à Le connaitre afin de nous soumettre loyalement à Lui?

Nous devons connaitre Dieu (djalla djalaluh) et savoir les responsabilités qui nous incombent vis-à-vis de Lui. Après sa création, l’homme a été doté de ce besoin de connaitre son Créateur, que ce soit du premier homme au dernier. Nous n’aurions pas tort si nous affirmons que le Saint Coran fut révélé uniquement pour que les hommes connaissent Dieu car, toute l’aventure terrestre des humains tourne autour de leurs rapports avec l’Être Auguste. Cela implique donc cette problématique ambivalente : connaitre Dieu ou soit ne pas Le connaitre ; c’est-à-dire être digne de sa création ou ne pas l’être. Toutefois, lorsque nous évoquons la notion du connaitre Dieu, il y a bien sûr une limite ; l’homme lui-même reconnait et avoue cela. Nous ne sommes-nous pas assez évertués pour résoudre ce mystère? Oui, nous l’avons fait ; nous avons été dans une incapacité profonde face au mystère du “Qui est-Il, quel est l’aspect de Cet Être? “ Même les grands érudits du soufisme ont attiré l’attention sur cette limite dans la connaissance du Divin. Dr. Suleyman Uludağ Hoca a mentionné que le résultat auquel sont parvenus les grands savants soufis est le suivant «connaitre Dieu, c’est de savoir qu’Il est Inconnaissable» ; il nous fit donc ces précisions :

“Selon Zunnûn al-Mısrî, le premier qui parla de la “marifat“ dans son contexte soufi, il est impossible d’appréhender réellement Dieu et de Le connaitre absolument. C’est pour cela que méditer sur l’Essence même de Dieu relève d’une ignorance. La réalité de la “marifat“ est vraiment étrange (Djâmî, p. 29). D’après Bâyazîd-i Bistâmî, avouer connaitre l’Essence de Dieu, c’est faire preuve d’ignorance ; tout savoir référant à la réalité de la “marifat“ est synonyme d’étrangeté (Sulemî, p. 74). Ceci dit, les soufis qui se sont évertués à connaitre Dieu se sont contentés d’admettre que l’être humain est inapte à Le connaitre. Quant à Abû Saîd al-A‘râbî, il a précisé que la seule connaissance que l’homme peut avoir de son Seigneur, c’est d’admettre qu’Il est Inconnaissable. De même, Sahl b. Abdullah at-Tustarî dit que la “marifat“consiste pour l’homme de reconnaitre son incapacité à cerner Dieu (a.g.e, p. 230, 428). Djunayd-i Bağdâdî a résuméle sujet en affirmant cette phrase «Nul ne peut connaitre Dieu à part Dieu Lui-même». La compréhension que les soufis ont eue de ce verset coranique “Ils n’apprécient pas Allah comme Il le mérite[8]est la suivante : «Ils ne purent connaitre intégralement Dieu».“

Nous apercevons que l’être humain a d’une part vécu le sentiment de “Je dois comprendre ce que mon Créateur attend de moi ; j’ai besoin de résoudre cette problématique pour me connaitre moi-même, et c’est pour cela que je dois Le connaitre“. D’autre part, l’homme a admis cette réalité “Il y a une limite dans la recherche de la connaissance du Divin car, la balance de l’intellect humain ne peut supporter une telle lourdeur“. Vouloir comprendre la caractéristique de la Grandeur Divine, c’est s’adonner à un exercice sans issue ; toutefois, reconnaitre que Dieu est Plus Grand relève de la mission pour laquelle nous fûmes créés. En fait, il s’agit pour nous de savoir que “Dieu est au-dessus de tout ; toute chose représente un indice de la Grandeur Infinie de Dieu ; nous ne serons pas dignes de notre création aussi longtemps que nous ne reconnaîtrons pas Cette Grandeur“.

En effet, c’est toutes ces notions en rapport avec Dieu qui nous sont enseignées par le Saint Coran en long et en large. Ce qui nous incombe, c’est d’approfondir notre compréhension de ces notions. Par exemple, nous récitons quarante fois la sourate “Fatiha“ ; nous répétons donc quarante fois les expressions “Le Tout Miséricordieux, Le Très Miséricordieux“, “Le Seigneur des mondes“, “Maitre du jour de la rétribution“. Méditons donc sur l’Univers, sur nos rapports avec Le Seigneur des mondes, sur Le Tout Miséricordieux, Le Très Miséricordieux, et sur la sagesse pour laquelle Il nous rappelle quarante fois Ses Attributs à travers la récitation quotidienne de la Fatiha.Méditons aussi sur le jour dernier, sachons que nous serons conduits au plateau du Jugement Divin, imaginons notre état et la sentence qui nous sera établie par Le Maitre Absolu de ce jour. Sachons que le Jugement de cet ultime jour inéluctable appartient à Lui et qu’il nous sera dit “Ikra kitâbak“ (lis ton livre). Imaginons ce que nous devons faire afin que nos visages ne soient pas assombris à ce jour et que nous ne soyons pas du nombre de ceux qui diront “Hélas pour moi ! Comme j’aurais aimé n’être que poussière. “[9]

De même, pensons que c’est exclusivement qu’à Lui que nous devons vouer un culte, que c’est de Lui que nous devons implorer de l’assistance et demander la guidance. Encore une fois, méditons sur tout ceci ! Il est ainsi mentionné dans le Saint Coran :

C’est à Allah qu’appartiennent les noms les plus beaux. Invoquez-Le par ces noms…“[10]

Tels sont les 99 Noms et Attributs de Dieu avec Lesquels nous sommes appelés à L’implorer :

Allah, Ar-Rahmân, Ar-Rahîm, Al-Malik, Al-Kuddûs, As-Salâm, Al-Mu’min, Al-Muhaymin, Al-Azîz, Al-Djabbâr, Al Mutakabbir, Al-Khâlık, Al-Bârî, Al-Musawwir, Al-Gaffâr, Al-Kahhâr, Al-Wahhâb, Ar-Razzâk, Al-Fattâh, Al-Alîm, Al-Kâbid, Al-Bâsit, Al-Khâfıd, Ar-Râfi’, Al-Muizz, Al-Muzill, As-Samî’, Al-Basîr, Al-Hakam, Al-Adl, Al-Latîf, Al-Khabîr, Al-Halîm, Al-Azîm, Al-Gafûr, Ach- Chakûr, Al-Aliyy, Al-Kebîr, Al-Hafîz, Al-Mukît, Al-Hasîb, Al-Djalîl, Al-Karîm, Ar-Rakîb, Al-Mudjîb, Al-Wâsi’, Al-Hakîm, Al-Wadûd, Al-Madjîd, Al-Bâis, Ach-Chahîd, Al-Hakk, Al-Wakîl, Al-Kaviyy, Al-Matîn, Al-Waliy, Al-Hamîd, Al-Muhsî, Al-Mubdî, Al-Muîd, Al-Muhyî, Al-Mumît, Al-Hayy, Al-Kayyûm, Al-Wâdjid, Al-Mâdjid, Al-Wâhid, (Al-Ahad), As-Samad, Al-Kadîr, Al-Muktadir, Al-Mukaddim, Al-Muakhhir, Al-Awwal, Al-Âkhir, Az-Zâhir, Al-Bâtın, Al-Wâlî, Al-Mutaâlî, Al-Barr, At-Tawwâb, Al-Muntakıym, Al-Afuww, Ar-Raûf, Mâliku’l-Mulk, Zul-Djalâli wa’l-İkrâm, Al-Muksit, Al-Djâmi’, Al-Ganiyy, Al-Mughnî, Al-Mâni’, Ad-Dârr, An-Nâfi’, An-Nûr, Al-Hâdî, Al-Badî’, Al-Bâkî, Al-Wâris, Ar-Rachîd, As-Sabûr (djalla djalâluh).

Méditons sur chacun de ces Noms, ressentons-Les dans notre for intérieur et reflétons cela sur notre existence.Ar-Rahmân : cela signifie Celui Qui est très miséricordieux envers les croyants c’est-à-dire les musulmans et les mécréants c’est-à-dire les non-musulmans dans ce bas monde ; et Ar-Rahîm : Celui Qui est miséricordieuxenvers les croyants uniquement dans l’au-delà. Al-Jabbâr  : c’est Celui Qui accorde aux créatures ce dont ils ont besoin et aussi cela a le sens que rien d’autre que ce que Dieu a voulu n’a lieu, il n’y a pas quelques choses qui se réalise sans que Dieu l’ai voulu. Al-Mountaqim  : Il est Celui Qui accorde un dur châtiment à qui Il veut parmi les injustes et Il est Juste. As-Samî`  : c’est Celui Qui entend toute chose, Il entend les choses cachées pour nous et les choses apparentes, Il entend sans organe, Il entend sans oreille, ni aucun autre organe.Al-Basîr  : c’est-à-dire que Dieu voit toutes les choses sans comment, sans organe, sans yeux. Al-Wadôud  : Celui Qui agréé, Qui aime Ses esclaves vertueux. L’amour des mères à l’égard de leurs progénitures représente une goutte de l’océan par rapport à l’Amour de Dieu. N’eût-été cet Amour, les mères se seraient débarassées de leurs progéni  !tures ; pire, elles n’auraient même pas éprouvé le désir d’enfanter. Al-Ghaffâr  : c’est Celui Qui pardonne les péchés. Nous devons donc faire notre méa-culpa après chaque péché et implorer sincèrement Son Pardon.

En résumé, nous ne pouvons que rappelez ce verset coranique : “Wa Houwa ma’akoum ayna makountoum (Où que vous soyez, Il est avec vous)“. Efforçons-nous donc d’atteindre la perfection qui est d’adorer Dieu comme si on Le voyait, et que si nous ne pouvons Le voir, Lui nous voit. Levons nos mains pour L’implorer et sachons qu’Il est en face de nous et que nous ne pouvons rien entreprendre sans Son ordre. Sachons également que c’est de Lui que nous venons et vers Lui se fera notre retour. Tels sont les premiers pas que nous devons franchir pour espérer accéder à la connaissance de notre Créateur.

[1]Dans le soufisme, c’est un état spirituel que vit momentanément un serviteur pieux lorsqu’il accède à un certain degré spirituel.

[2]Sourate az-Zumar, verset 22.

[3]Sourate al-Anfâl, verset 29.

[4]C’est le ministère qui s’occupe des affaires religieuses.

[5]C’est l’ensemble des connaissances particulières que détient un homme dans un domaine bien précis.

[6]Kuchayrî, p. 86, 107, 129, 608.

[7]Sourate Hadjj, verset 74.

[8]Sourate al-An‘âm (6), verset 91.

[9]Sourate an-Naba (78), verset 40.

[10]Sourate A’râf, verset 180.

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