L’esclave doté d’une haute moralité

Mar 13, 2019 par

Yacouba Sawadogo

Un sultan convoqua deux de ses esclaves à une audience afin de comprendre leur niveau intellectuel respectif ainsi que leur esprit critique. Il débuta au préalable une conversation avec le premier. Celui-ci répondit correctement aux questions posées par le sultan avec un ton soutenu alors qu’un autre aurait mis plus de temps et de réflexion pour y répondre. Le sultan était ravi lorsqu’il perçut le caractère réfléchi, intelligent et tendre de ce serviteur.

Par la suite, il appela l’autre esclave auprès de lui. Ce dernier également s’installa devant le sultan. L’haleine de l’esclave était nauséabonde et ses dents toutes noires indiquaient un manque de soins évident. Même si l’état apparent de l’esclave était repoussant, le sultan voulait néanmoins comprendre sa situation délabrée. Il commença à lui tenir ces propos :

« Reste à bonne distance de moi, surtout à cause de l’odeur écœurante qui émane de ta bouche. Avant toute chose, trouvons un remède à ton problème buccal ; tu es une personne sympathique et nous avons à notre service un médecin compétent qui te prodiguera les meilleurs soins. Te mépriser ou te dénigrer ne nous profiterait aucunement. Installe-toi et raconte-moi deux histoires afin que je puisse saisir le niveau de ton intelligence. »

Mais avant de lui laisser la parole, le sultan se retourna vers le premier esclave et lui ordonna :

« Va donc au hammam et lave-toi correctement ! »

Après le départ de celui-ci, le sultan voulait tester le deuxième esclave. Il lui déclara :

« Ton ami avec lequel j’ai eu à discuter avant toi m’a relaté de mauvaises choses à ton sujet. Je constate qu’il n’en est rien. Est-ce sa jalousie qui a parlé ? En tout cas, sa critique nous a éloignés de toi. Il nous a même dit que tu es hypocrite, injuste, impudique et voleur. Et toi, que peux-tu nous dire à son sujet ? »

Le deuxième esclave, sur ces propos, s’adressa au sultan en ces termes :

« Je ne peux pas dire de cet ami qui est sensé et véridique que c’est une personne fourbe. Au contraire, en mettant en pratique ses remarques, je peux essayer de réformer mon état tout en pensant que de pareilles fautes peuvent s’imprégner en moi. Mon sultan ! Peut-être qu’il a vu en moi beaucoup de défauts dont je ne suis même pas conscient. »

Alors le sultan lui dit :

« Puisqu’il nous a rapporté tes défauts, raconte-nous aussi les siens maintenant. »

C’est alors que le deuxième esclave lui répondit :

« Mon sultan ! Il est en vérité un bon ami à moi. Parler de ses défauts pourrait porter préjudice à l’amitié que je lui témoigne. Mais à part cela, je peux seulement faire cette remarque : son défaut selon moi n’est pas un péché mais une vertu. Cet homme est un modèle d’humanité, d’amour et de fidélité. Il est de caractère loyal, très intelligent et amical. Sa qualité première est la générosité, en effet, il vient au secours aux plus démunis. Il est tellement généreux qu’il est même capable de donner sa vie si cela s’avérait nécessaire. Ce qui caractérise le mieux mon ami de fortune, c’est l’éloignement qu’il entretient avec l’orgueil. Cet homme est sincère avec tout le monde ; il est dur qu’avec son propre égo. »

À l’écoute de cette réponse, le sultan se mit à avertir l’esclave en tenant ces propos :

« Ne te fatigue pas à chanter les louanges de ton ami, ne tente pas de te vanter au moment où tu le loues. Dès le retour de cet indigent, je le testerai et tu auras honte. »

À cela, l’esclave répondit :

« Non, je ne l’ai point vanté avec excès. Les qualités morales de mon ami sont encore plus que ce que j’en ai dit. À son sujet, je n’ai déclaré que ce que je savais de lui. Mais, ô mon sultan généreux, si vous ne croyez pas à mes paroles, que puis-je y faire ? Mon intime conviction m’oblige à tenir ce langage. »

Lorsque le premier esclave revint du hammam, le sultan l’interpella en ces termes :

« Ah ! Te voilà dans de meilleures conditions ! Puisses-tu parvenir aux grâces inexhaustibles. Mais on aurait été enchanté de te connaître si tu ne possédais pas le mauvais caractère que ton ami ici présent nous a décrit. Ainsi, sans te connaître, toute personne qui verrait ton beau visage en serait enchanté ! Te voir ainsi, si soigné, est égal aux reflets de toutes les richesses de ce bas-monde. »

Le premier esclave, surpris, demanda :

« Mon sultan ! S’il vous plait, racontez-moi un peu de ce que ce malpropre a rapporté sur ma personne ! »

Le sultan commença par dire :

« Il nous a d’abord décrit ton caractère exécrable. Il a ensuite parlé de ton comportement inégalé, qu’en réalité, tu n’es d’aucune utilité pour l’humanité. »

Alors, le premier esclave, en entendant ces paroles, sentit sa colère monter ; sa bouche commença à se tortiller de rage et son visage rougit. Ne pouvant plus se contenir, ni contrôler sa colère, toute sa maitrise fut franchie. Il déclara :

« Avant, il était mon ami ; il était inoffensif, car en tout temps il se vautrait dans la famine comme un chien qui patauge dans la boue. »

Pour dénigrer son ami, le premier esclave commença ainsi à le vilipender ouvertement tout en dévoilant une à une les difformités de ce dernier.

Sur ce, pour mettre fin à ce dénigrement, le sultan l’interrompit en portant son doigt vers sa bouche et en le corrigeant :

« À l’occasion de cet échange, j’ai pu constater la différence entre vous deux. En ce qui concerne ton compagnon, sache que c’est seulement à cause d’un manque matériel qu’il sent ainsi mauvais. Quant à toi ! Apprends que ton esprit est vil ! Puisqu’il en est ainsi ; tiens-toi loin de nous. Ton ami te sera désormais supérieur et toi, tu obéiras à ses ordres. Apprends de lui le bon comportement ; auprès de lui initie-toi au bon sens des choses et par la même occasion, éduque ta langue. Tire des leçons de sa vertu. Mets fin à ta jalousie excessive. Étant imprégné de ces mauvaises attitudes, tu es une personne malheureuse qui s’est attachée une pierre autour de la taille ; ainsi paré, tu ne pourras ni nager ni marcher. »

Voyez comment cet esclave qui témoigna des sentiments de haute moralité envers son ami put ainsi mériter le bénéfice d’une telle vertu et par là même les grâces matérielles et spirituelles. Quant à celui qui s’est enflammé de colère, emporté par sa folle jalousie, il n’a pas pris le temps de discerner la vérité et de comprendre la situation ; en conséquence, il a perdu son intégrité et a connu la déception.

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