Les éléments de crise dans la civilisation occidentale

Mar 13, 2019 par

 

 

Yacouba Sawadogo

 

Connu pour ses travaux sur les relations internationales, l’histoire des civilisations, la philosophie de la société et de l’histoire, le professeur Ahmet Davudoğlu, après avoir déclaré « nous nous confrontons à une crise civilisationnelle », regroupe « les éléments de ladite crise » en cinq points ou échelons.

 

1 – Sous la rubrique « l’insécurité et l’aliénation ontologique », Davudoğlu souligne que l’objectif le plus élémentaire de l’homme est ontologique, c’est-à-dire l’obtention de la liberté et de la sécurité relative à la protection de son existence et qu’en cela les systèmes politiques et économiques ne gagneront leur légitimité que dans la mesure où ils pourront les réaliser. Il déclare « rétréci l’espace de sécurité et de liberté ontologique de l’homme appelé « dragon moderne », décrit aussi comme « Léviathan sociopolitique » et organe de légitimation ayant pour dessein de réaliser cet objectif. En référence à cela, notons qu’à chaque fois que l’Europe élargit son espace de recherche de liberté et de sécurité ontologique, l’espace de sécurité et de libertés des autres sociétés rétrécit. Cependant le changement atteint au niveau nucléaire dans le domaine de la technologie de guerre et de la faiblesse dans l’émotion morale, sans vouloir imposer une volonté antagoniste, est susceptible d’occasionner à la fois une mortalité massive et un traumatisme psychologique au sein des générations futures. À côté de cela, les démarches pragmatiques entrepris par les lobbies de l’industrie de la guerre pour provoquer des conflits dans un contexte de mécanisme rationnel de profit-perte lié à l’économie libérale restent une réalité qui saute aux yeux.

 

2 – Au deuxième échelon des éléments de crise, Davudoğlu porte « la science  et la relativité épistémologique » au centre du débat. Selon le paradigme moderne, la vérité finale peut être obtenue au moyen d’une théorie du savoir qui prend l’homme au centre (de tout). La trichotomie « raison-science-progrès » relative au Siècle des Lumières constitue l’icône du paradigme moderne. En conséquence, cette thèse est aujourd’hui confrontée à trois défis sérieux, dit encore Davudoğlu. Premièrement, la science elle-même réfute l’objectivité et la justesse de ses propres résultats. Deuxièmement, l’épistémologie postmoderne a séparé les réalités entre le contenu de la théorie et les théories elles-mêmes, elle a secoué l’idée de certitude fondée sur la théorie. Troisièmement, l’éveil religieux marqué après les années 1960 et surtout dans les années 1980 a rouvert le chemin aux sources métaphysiques relativement à la théorie du savoir.

 

3 –   Au troisième échelon, Davudoğlu évoque « le déséquilibre de l’évolution matérielle et morale ». Partant du caractère dépendant du mécanisme de la civilisation occidentale, il parvient au résultat selon lequel avec le temps les mécanismes ont réduit à néant  toute sensibilité morale ; la dictature invisible des mécanismes institutionnalisés par le moyen de valeurs intermédiaires prend sous son contrôle chaque aspect de notre vie et cet état conduit à des déséquilibres en matière d’évolution matérielle-morale. Davudoğlu souligne à propos que l’oeuvre phénoménale du christianisme qui, en se transformant intérieurement, a assuré l’adaptation des transformations au sein de la civilisation occidentale. Il appuie dans le même sens que la force politico-économique et technologique du non-décèlement d’un cadre laïc de moralité non-théologique augmente le risque de persécution.

 

4 – Au quatrième échelon, toujours selon les propos de Davudoğlu, un autre signe de la crise est le « déséquilibre écologique » auquel est confronté la civilisation occidentale. La situation actuelle est la suivante : « le processus de domination de la nature entrepris par l’homme dans le but de maximiser sa liberté, y compris sa sécurité, est devenu pour lui une menace quant à la nécessité minimale de sécurité ontologique dont il a besoin… le désastre actuel de l’environnement est le résultat de l’utilisation irresponsable des ressources manufacturées par les forces capitalistes. »

 

5 – Enfin au cinquième échelon, le monopolisme culturel auquel est confronté la civilisation occidentale. Davudoğlu dit à ce propos : « Le caractère hégémonique de la civilisation moderne occidentale n’est pas prêt à cohabiter avec la culture authentique. » À cet effet il démontre dans les termes suivants le danger que cela peut représenter : « Le caractère unique et universel du mode de vie occidental supprime toute la diversité de la culture authentique… si la question de survie des civilisations et des cultures authentiques n’est pas prise dans un cadre global de théorie et de pratique, l’espèce humaine perdra sa mémoire du point de vue civilisationnel et culturel et son mode de vie se trouvera sous la domination des sociétés multinationales qui visent à instaurer une culture de consommation unique.

 

Ainsi donc, alors que notre existence réelle et nos pensées sont formées à travers le Léviathan moderne des lignes de communication et des forces économiques qui surpassent les frontières nationales, notre monde est devenu le musée abritant de gigantesques civilisations et cultures disparues.

 

[1] Les opinions pertinentes du professeur Ahmet Davudoğlu ont été tirées de son article intitulé “ la civilisation occidentale et le christianisme : de la crise à la transformation” paru dans le neuvième numéro de la revue “Divan”.

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