Les relations entre musulmans et non-musulmans

Mar 12, 2019 par

Osman Nuri Topbaş

Assalamoualaykoum Cheikh.

La mondialisation est une réalité de notre temps. L’homme d’aujourd’hui vit dans des sociétés cosmopolites dans lesquelles cohabite une variété de religions.

Tous les jours, des femmes et des hommes de culture, de religion et de mode de vie différents entrent en contact au travail, au marché, dans la rue, etc.Ma question est donc la suivante : Quels principes les musulmans doivent-ils observer dans leurs relations avec les non-musulmans ?

La réponse se trouve dans le Saint Coran :

« À vous votre religion, et à moi ma religion ».[1]

Ainsi donc, après que notre cher Prophète () eut émigré à Médine, l’une de ses premières actions fut de rédiger la « Charte de Médine » qui établissait – de droit – une fraternité confessionnelle entre musulmans des deux villes, et un lien de citoyenneté entre musulmans et non-musulmans de Médine. Il invita ainsi à la paix par l’établissementet le respect du droit de chacun. En d’autres termes, le Prophète () interdit toute forme d’injustice et d’oppression envers les non-musulmans. D’ailleurs, de la même façon que les musulmans sont nos frères en religion, les non-musulmans sont nos frères en humanité. Notre religion ordonne le respect de l’être humain – quelle que soit sa religion – de son vivant etaprès son décès. Lors d’un voyage, le Prophète () trouva sur son chemin les dépouilles d’un homme. Immédiatement, sans chercher à savoir s’il s’agissait d’un musulman ou non, il ordonna à ses Compagnons d’inhumer le défunt dans le plus grand respect.

Dans l’histoire de la civilisation islamique, on ne compte plus les exemples de justice et d’équité vis-à-vis des non-musulmans. Ainsi, à l’époque du Calife ‘Umar (ra), AbûUbayda ibn al-Djarrah (ra) – le chef des troupes musulmanes – s’entendit avec les chrétiens de Homs (Emèse). Ces derniers lui cédèrent la ville en retour de la protection de leur vie, de leurs biens, de leurs remparts, de leurs églises et de leurs moulins.

Après la conquête de Damas par les musulmans en 635, l’église Saint Jean le Baptiste fut conservée comme telle et il fut entendu qu’un quart des lieux soit converti en mosquée. De plus, quand Mu’awiya– qui devint le premier calife omeyyadeen 661 – voulut complètement la transformer en mosquée, il dut faire face à de nombreuses contestations et dut abandonner son idée. Abdul Malik ibn Marwan (cinquième calife omeyyade, r. 685-705) rencontra le même rejet lorsqu’il proposa aux chrétiens de convertir l’église en échange d’une grande somme d’argent. Son fils et héritier, al-Walid ibn Abdul Malik (r. 705-715) vit lui aussi ses offres financières et autres solutions alternatives refusées. Cependant, à l’inverse de ses aînés, il décida de forcer le pas, détruit une partie de l’église, annexa l’autre à la mosquée et l’embellit.Son successeur, le calife ‘Umar bin Abdulaziz (r. 717-720),continua de recevoir un grand nombre de plaintes quant à cette conversion. Ce dernier commanda de rouvrir le dossier afin que justice soit rendue. Il fit la conclusion que le droit des chrétiens avait bien été bafoué. Il prit donc la décision de rendre aux chrétiens les parties de l’église converties en mosquée par le calife al Walid ibn Abdul Malik. Mais cette fois-ci, ce sont les musulmans qui contestèrent la décision du calife. Ce dernier organisa donc plusieurs discussions avec les responsables chrétiens. Finalement, il fut entendu que le calife accordâtun nombre important de domaines fonciers aux chrétiens afin de corriger cette injustice. Le dossier ne fut plus jamais rouvert.

Le droit islamique est un exemple de justice et de vertu. Lorsqu’il est correctement appliqué, il force le respect et l’admiration de tous les êtres humains. Ainsi, l’un des penseurs de la Révolution Française, le Marquis de Lafayette, étudia tous les systèmes juridiques connus de l’époque. Il déclara au sujet de la justice du Prophète Muhammad () : « Jusqu’à aujourd’hui personne n’a pu atteindre la justice que tu as instaurée. »[2]Un autre penseur de renom, Thomas Carlyle – philosophe et historien de l’ère victorienne – révéla des propos similaires : « Aucun roi couronné n’a égalé celui qui ne portait aucun accoutrement, Muhammad, en termes de réputation et de dignité ».

Après « l’ère du bonheur » (asr-usa ’ada, c.-à-d. l’époque du Prophète) l’une des époques les plus remarquables en termes de garantie des libertés religieuses et de conscience des non-musulmans est celle de la fondation et de l’expansion de l’Empire ottoman (début 1300 – fin 1600). Ainsi, la pratique de leur culte était respectée et il ne leur fut jamais demandé de s’assimiler à une quelconque religion ou identité Bien au contraire, les non-musulmans étaient considérés comme une « amâna », à savoir comme des communautés à protéger. Les non-musulmans démunis trouvaient refuge et soutien matériel auprès des fondations (wakf) fondées par les musulmans. À l’époque du Sultan FatihMehmed II (r. 1451-1481), les musulmans construisaient constamment des maisons aux familles pauvres chrétiennes, en guise d’aumône (sadaqa).

L’amiral Khayr ad-Dîn Barberousse (n. 1478 – d. 1546) organisa l’émigration des Juifs espagnols exposés aux massacres chrétiens de la Reconquista vers Istanbul. Le peuple stambouliote les considéra comme des opprimés (madhlum), assura leur survie quotidienne et garantit leur protection. En d’autres termes, ils reflétaient le regard tendre du Créateur sur Ses créatures. C’est de part cette bénédiction (baraka) que de nombreux non-musulmans de l’époque se convertirent volontairement à l’Islam.

Le Sultan Murad Ier (r. 1362 – 1389) ne força aucun Albanais à se convertir lors de la conquête du Kosovo. Il envoya au contraire des pieux musulmans d’Anatolie vivre dans cette région. Les Albanais eurent ainsi le temps d’apprécier le comportement exemplaire, la sagesse des paroles et la pureté de l’état spirituel de ces musulmans. Avec le temps, près de 90% des Albanais devinrent musulmans.

De même, lors de la conquête de la Bosnie, le Sultan Fatih Mehmed II n’assassina aucun chrétien sous le prétexte de répandre l’Islam. À l’image de son prédécesseur, il envoya dans cette région des familles anatoliennes qui vivaient pleinement et intelligemment l’Islam. C’est en vivant parmi ces personnes courtoises, élégantes et au visage radieux,que les Bosniaques finirent par embrasser l’Islam. L’appel à la religion d’Allah doit donc refléter le principe de « Amr bi’l-maruf, nahy ‘anil munkar » (l’invitation au bien, la désapprobation du mal) et non la contrainte. À ce propos, Allah déclare clairement dans le Coran :« Nulle contrainte en religion ! … »[3].

De fait, une personne qui entre en Islam par la force risque de devenir hypocrite et non pas croyante. L’important en Islam est bien la conquête des cœurs. Une foi (îman) qui n’est pas nourrie par le témoignage du cœur n’a aucune valeur. C’est pour cette raison que l’Islam reconnaît la liberté de conscience. La question d’être ou de ne pas être musulman revient pleinement à la volonté et au consentement de chacun. De même qu’il revient pleinement aux musulmans de respecter les injonctions et les interdictions divines.

Ô combien la justice instaurée par les Ottomans devait être grande pour que les peuples chrétiens voisins demandent aux troupes musulmanes de les délivrer du joug de leurs rois tyranniques. D’où cette expression répandue pendant longtemps en Pologne : « Tant que les chevaux ottomans n’auront pas bu l’eau de la Vistule, ce pays ne connaîtra ni liberté ni indépendance ».

L’État ottoman était véritablement envié par les autres peuples.

Un autre exemple fameux est l’échange dans l’église Sainte Sophie entre l’aristocrate chrétien Grand-duc Notaras et le Patriarche orthodoxe de l’époque. En effet, lors de la prise de Constantinople par les troupes ottomanes en 1453, l’aristocrate demanda l’aide du Patriarche. Ce dernier aurait répondu :« À la toque de cardinal, je préfère voir à Istanbul le turban des Turcs ! ».

Le passage du Sultan Fatih Mehmed II devant la cour de justice est un autre exemple qui révèle l’équité des rapports entre musulmans et non-musulmans sous l’ère ottomane. En effet, le Sultan fut appelé à comparaître devant la cour de justice en raison d’une plainte déposée par un architecte chrétien. Le qadi (juge) Hızır Bey – que le Sultan avait lui-même nommé – le jugea coupable et donna raison à la plainte de l’architecte. Lors de la lecture du jugement, le juge déclara que le bras du Sultan devait être coupé. Le padischah, qui était l’un des monarques le plus puissant du monde, accepta la sentence dans le silence et l’acceptation : « Le jugement chari’i est honorable (Hukmşer’-i şerîfindir!) ». Devant cette scène d’une exceptionnelle justice, l’architecte tomba en larmes et s’écria : « Je retire ma plainte, j’accepte votre sacrifice ! ».

Ainsi, dans l’histoire, quand la justice islamique triomphe,elle fascineles êtres humains quelle que soit la confession.

L’Islam ne cesse de captiver aujourd’hui. En janvier 2013, l’université d’Harvard a affiché sur les murs de sa faculté de droit une sélection des plus grands textes de droit et de justice. Parmi eux, était affiché le verset du Coran suivant :

« Ô les croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Allah l’ordonne, fût-ce contre vous- mêmes, contre vos père et mère ou proches parents. Qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux, Allah a priorité sur eux deux (et Il est plus connaisseur de leur intérêt que vous). Ne suivez donc pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice. Si vous portez un faux témoignage ou si vous le refusez, [sachez qu’] Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. »[4]

Ainsi, la justice que l’Islam établit n’est pas circonscrite aux seuls musulmans mais s’étend bien à toute l’humanité. Lorsque ce système est véritablement mis en pratique, « l’état spirituel du musulman » (hâl) et son « invitation à l’Islam » (tabligh) ne font plus qu’un. L’Islam fascine alors les non-musulmans et une atmosphère de guidance s’installe.

La responsabilité revient donc à nous, musulmans, de vivre pleinement l’Islam et de faire profiter aux autres les beautés de ce joyau.

Qu’Allah nous permette d’être de ceux dont la main, la langue et le cœur profitent à la communauté de Muhammad ().

Amin.

[1]Sourate Al-Kâfirûn (Les Infidèles), verset 6.

[2]Kâmil MİRAS, Tecrîd-i Sarîh Tercemesi, IX, 289.

[3]Sourate Al-Baqara (La vache), verset 256.

[4]Sourate an-Nisa (les femmes) verset 135

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