La fonction des lettres dans le Tabligh et l’Irchad

Mar 12, 2019 par

Hasan Mısırlı

Les lettres ont joué une grande fonction dans l’invitation des hommes à la croyance en Dieu. Cette méthode de prêche a été utilisée tout au long de l’histoire et même à l’époque du Prophète (pbsl). Ce Prophète (pbsl) à qui le Très-Haut a assigné la mission de guider Ses serviteurs sur le droit chemin, a prêché de toutes les manières possibles de son vivant. Il a invité individuellement et collectivement les hommes et les femmes à rejoindre la religion d’Allah. Lorsqu’il ne pouvait pas se rendre personnellement dans un lieu pour transmettre l’Islam, il envoyait des lettres et des messagers pour accomplir cette tâche. Il utilisait une approche diplomatique en choisissant minutieusement des représentants courtois, éloquents et sympathiques, qui connaissaient parfaitement les régionsoù ils étaient envoyés. Toutes ses lettres avaient pour objectif d’inviter les gens à abandonner l’idolâtrie pour s’adonner à la croyance en un seul Dieu. Voici un extrait de la lettre qu’il avait envoyée au Padichah d’Egypte :

 

« Au nom d’Allah, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux…

De la part de Muhammad, le Messager et Serviteur d’Allah à Mouqawqis, le grand chef des Coptes.

Que la paix soit sur celui qui suit le droit chemin. Je t’invite à embrasser l’Islam. Accepte l’Islam afind’obtenir le salut. Si tu réponds favorablement à cette invitation, Allah te donnera une double récompense. Si tu le refuses, alors sur toi tomberont les péchés de tous tes concitoyens.

Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions qu’Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d’Allah. Mais, s’ils tournent le dos, dites : Soyez témoins que nous, nous sommes soumis à Allah. » Muhammad Rassouloullah (cachet)[1].

Après la mort du Prophète(pbsl), la société islamique connut un niveau de développement élevé et les citoyens musulmans vivaient dans la prospérité. Ce développement était le fruit du travail des quatre premiers califes et de leurs successeurs. Malheureusement, cela donna lieu à un excès d’amour pour les affaires mondaines car les gens avaient commencé à oublier l’au-delà. Les musulmans qui avaient gardé leur foi intacte et qui connaissaient le mode de vie exemplaire du Messager d’Allah(pbsl) subirent beaucoup d’offense à cette époque.

L’un de ceux que cette situation offusqua le plus fut Hasan al-Basrî (M. 110/728). Pendant qu’il attirait l’attention du peuple à travers la prédication, il envoyait incessamment des lettres aux chefs d’États pour les inviter au droit chemin. La lettre suivante qu’il adressa à ‘Umar ibn ‘Abdelaziz en est une illustration :

 

« Sachez que la méditation invite l’Homme à travailler de mieux en mieux et à abandonner le mal en le regrettant. Quelle que soit la durée de cette vie mondaine, elle ne peut être éternelle. Ne te laisse pas tromper par ce monde qui piège les humains à travers les illusions vaines, qui les manipule en leur donnant l’espoir d’une vie éternelle, qui est apparemment charmant, qui étouffe l’affection des humains, et qui trouble les esprits !

Ne te laisse pas tromper par ce bas-monde, car ses espoirs sont illusoires et ses espérances vaines. Les bienfaits de ce monde sont éphémères, ses problèmes sont perpétuels et ses calamités sont pénibles. La valeur qu’on a auprès du peuple de ce bas-monde n’équivaut même pas au saignement d’un moustique. C’est pour cette raison qu’Allah le Très-Haut a enlevé l’amour de ce bas-monde des cœurs de Ses prophètes et de Ses bien-aimés. La personne qui se laisse captiver par les illusions mondaine soublie que l’amour du Prophète (pbsl) pour ce bas-monde avait ses limites. »[2]

 

« Lorsqu’Allah le Très-Haut est avec toi, de qui d’autre as-tu peur ? 

N’oublie pas la mort, sache que le Jugement Dernier est devant ta porte !»[3]

Dans l’histoire, après le décès d’un des premiers guides du soufisme dénommé Hasan al-Basrî, les services du tabligh(prêche) et de l’irchad(guidance)furent dirigés par les guides volontaires précédemment appelés « Zahid et Abid » et plus tard « soufis ».

De la même façon que ces guides orientaient le peuple sur le droit chemin, les oulémas ayant le don de guidance prêchaient aussi en vue d’inviter les gens à la piété. La lettre adressée par Junayd Al-Baghdadî (M. 298/910) à son ancien élève, le calife Youssouf B. Hussayn Ar-Razî en est une illustration :

« Mon frère, à un moment où le peuple a besoin d’un savant, d’un éducateur affectueux et conseilleur, d’un prédicateur prêt à les guider sur le droit chemin, de tous ceux qui sont partis, tu es le seul qui est resté en arrière. Tu fais partie des grands oulémas et des savants les plus connus. Sache qu’Allah Ta’ala a fait un pacte avec les oulémas et les savants : Allah les a choisis pour expliquer le Saint Coran, Il leur a ouvert le sens de ce Livre céleste, Il les a honorés en leur confiant Son plus précieux objet. Il a fait un pacte avec eux pour qu’ils expliquent Son livre aux humains et pour qu’ils ne le cachent pas. Ainsi, Allah Ta’ala dit ceci : « les rabbins et les docteurs jugeaient par ce qu’ils gardaient des prescriptions de Dieu dont on leur avait confié la garde et dont ils étaient les témoins ».[4]

« Pourquoi les rabbins et les docteurs ne les empêchent-ils pas de parler en péché et de se goinfrer de gain illicite ? »[5](Al-Maida 63).

Mon frère, tu fais partie de ceux qui détiennent les informations et la science héritées de ces grands oulémas et les tâches qu’ils accomplissaient t’incombent. Par conséquent, tu as le devoir d’expliquer et de transmettre ce qu’Allah t’a confié. Ainsi, transmets la foi aux néophytes, tourne-toi vers eux et dirige-toi vers eux avec ta miséricorde. Montre-leur la compassion à travers ta vertu, guide-les sur le droit chemin à travers une bonne invitation et une bonne orientation. Sois utile à travers ta science et tes œuvres. Passe tes jours et tes nuits en leur compagnie. Partage tes connaissances avec eux. Ce sont là ce que le peuple de cette nation doit obtenir de ta part.

Mon frère, tu n’ignores rien de tout cela. Ce ne sont pas des choses que tu as négligées en restant en arrière. Je t’invite à te réfugier auprès d’Allah afin d’éviter toute erreur et tout péché. Tout ce que j’ai dit répond à la demande du verset suivant : « Rappelle ; car, le rappel profite aux croyants » (Az-Zariyat, verset 55). C’est conformément aux prescriptions divines.[6] »

        

Avant que la roue du temps ne s’arrête, il faut que les architectes du Tawhid se soient acquittés de leurs dettes et qu’ils aient assumé leurs responsabilités. Ces responsables ont indéfectiblement fait usage des invitations verbales et non-verbales ainsi que des lettres pour le tabligh. Les guides spirituels de toutes les confréries firent la même chose en écrivant des lettres aux califes et à leurs adeptes. Plusieurs soufis célèbres en raison de la teneur de leurs missives commencèrent à émerger. Le plus célèbre d’entre eux était l’Imam Rabbani. Depuis plus de quatre siècles, ses lettres ont été transmises degénération en génération et sont devenues des sources précieuses de l’irchad. Les soufis appelés « Ahl-i Kalam » sont similaires aux prophètes, c’est-à-dire à ceux qui ont reçu les livres saints. C’est pour cette raison que leurs paroles sont importantes.

Les lettres de l’Imam Rabbani ont généralement été adressées aux califes, aux néophytes et aux amis vivant aux environs de l’Inde. Ces lettres avaient pour objectif principal d’enseigner les fondements de la charia et la bienséance de la confrérie. La lettre suivante en est un exemple :

« Nous rendons grâce à Allah et transmettons notre salut à ses serviteurs les plus distingués.

C’est avec une grande joie que nous avons reçu vos lettres. Qu’Allah Ta’ala vous récompense pour cela.

Pour que chaque art puisse atteindre la perfection et pour que chaque adhésion puisse être complète, il est toujours nécessaire d’y ajouter de nouvelles idées et de nouveaux points de vue. N’avez-vous pas vu la science de la syntaxe qui existait à l’époque de Sibeveyh ? La syntaxe est véritablement devenue une science grâce à l’apport des nouvelles idées ajoutées par les générations suivantes. Ces développements ultérieurs de la syntaxe n’ont pas changé les principes syntaxiques établis par Sibeveyh, ils les ont plutôt enrichis et embellis. Les augmentations et les changements de cette confrérie visent à embellir et rendre compréhensible ce chemin. Telle que présentée dans mes missives et mes tracts, cette confrérie est la voie des compagnons du Prophète(pbsl). Je m’efforce de suivre fidèlement ses principes. Je ne peux pas accepter la moindre invention issue de labid’a(innovation) dans cette confrérie. »[7]

Il est évident que même si l’Imam Rabbani avait accepté les changements et les innovations concernant la méthode et le processus de l’irchad, il était contre l’entrée de labid’a dans la confrérie. Il s’opposait également à toute innovation pouvant entraîner la déformation de la charia.

L’un des plus célèbres et plus dignes contemporains de l’Imam Rabbani, Aziz Mahmud Hüdayi,avait adressé une lettre au Sultan MuratIII afin d’accomplir ses tâches relatives à l’irchad et d’expliquer les voies de l’amélioration et de la moralisation dans le pays ottoman. Sa lettre était la suivante :

« Mon Cher et PhilanthropePadichah !

Qu’Allah le Très-Haut vous accorde la sagesse, les connaissances, science, guidance et justice nécessaires dans l’exercice de vos fonctions, amin. Une chose me vient à l’esprit, en vérité vous le savez mieux que moi car cela ne vous est inconnu. Mais, nous voulons vous rappeler le hadith qui dit ;« la religion est un conseil » (Al-Bukhârî, Iman, 42 ; Muslim, Iman 75).

Ce qui m’est venu à l’esprit est ceci : le Messager d’Allah(pbsl) a dit : « Au début de chaque siècle, un membre de ma communauté renforcera et renouvellera l’Islam pour en extirper la faiblesse qui s’y serait installée. » (Abû Dâwûd, Malahim, 1). En outre, il est rapporté que « ‘Umar a été honoré par l’accomplissement de cettetâche à la fin du premier siècleaprès l’hégire ».

Mon cher Padichah, vous êtes à la fois un capitaine et un commandant. L’attention et l’aide de la hiérarchie sont des récompenses importantes pour la communauté. S’il pouvait exister un effort de revitalisation et de pratique conforme à l’ordonnance de la charia, aux préceptes de la confrérie ainsi qu’à la Sunna ; si les oulémas, les vizirs, les députés et d’autres serviteurs musulmans pouvaient être avertis à travers des ordres et des instructions fermes ; si les principes de l’Islam pouvaient être enseignés et appliqués en remplissant les lieux d’adoration et en interdisant les jeux et les boissons enivrantes ; si ceux qui ne font pas la prière et ne donnent pas la zakat pouvaient être sommés de le faire au risque d’être sanctionnés conformément à la jurisprudence islamique ; si les égarés, les méchants et les brigands pouvaient être rééduqués dans la mesure du possible ;et si le nombre d’oppresseurs pouvait être réduit, cela constituerait une grande miséricorde pour la communauté de Muhammad[8]

Kuchadali Ibrahim Halveti avait également écrit une lettre au calife de Bosnie dénommé Tawfiq Bosnawi. Dans cette lettre, il avertissait le calife sur le risque de se laisser détourner par les débordements mondains qui le forceraient à franchir les limites de la charia :

 

« As Salam Alaykoum… Muhammad At-Tawfiq.

Étant donné que les filles bosniaques ne sont pas vulgaires mais chastes, je peux dire que « mon esprit est paisible » car cela est la conséquence de ta présence là-bas, et cela contribuera à la prospérité des foyers d’Istanbul ».[9]

  1. Es’ad Erbili est l’un des plus grands guides soufis contemporains. En réalité, il est aussi l’un des soufis qui ont le plus fait usage des lettres afin de guider la masse sur la bonne voie. Les lettres qu’il a envoyées aux califes et à ses concitoyens ont été compilées dans un ouvrage. Cet ouvrage a été publié en deux versions avec des alphabets différents. Voici un extrait de ses lettres :

« … Comme vous le savez, un croyant fait attention dans la mesure du possible aux mots qu’il utilise lorsqu’il parle et lorsqu’il écrit. Se conformer à cette réalité est d’une grande importance. S’agissant du mot « humilité », chaque fois que je me compare à la moindre créature sur la terre, je me rends compte que je suis beaucoup plus petit. Je pense qu’une fourmi sans péché est supérieure à moi. Afin de faire profiter mes confrères, Allah le Très-Haut fait penser que votre pauvre frère est grand. Si c’est le cas, Seul Allah en connaît la raison. C’est pour cela que je Lui rend grâce. Il produit de belles mélodies à partir même de la flûte qui ne possède aucune qualité. Il est le Tout-Puissant (Al-Baqara, 20). Qu’Il bénisse toutes nos entreprises et tous nos efforts. Qu’Allah le Tout-Puissant nous accorde l’humilité face à toutes Ses créatures ! »[10]

CONCLUSION :

Il existe des milliers de guides qui ont fait usage des lettres pour inviter les hommes à croire en Dieu à traversletabligh et l’irchad ainsi que les conseils et les recommandations. Les exemples que nous avons présentés ici ne représentent qu’une goutte d’eau dans la mer. Les différentes lettres rédigées pour l’irchad peuvent être regroupées de la manière suivante :

Les lettres écrites pour inviter les incroyants à rejoindre l’Islam. Il s’agit par exemple des lettres rédigées par le Prophète(pbsl) et adressées aux États voisins.

Les lettres écrites aux chefs d’États pour leur rappeler la charia et la justice. Ces lettres sont motivées par le fait qu’il n’est pas toujours possible de faire le tabligh auprès des dirigeants d’États. En guise d’exemple, la lettre adressée au Padichah par CheikhHüdayî peut être citée.

Les lettres rédigées pour résoudre les problèmes auxquels on fait face dans la société. C’est le cas de la lettre écrite par l’Imam Rabbani.

Les lettres écrites pour avertir les dirigeants du risque de déperdition.

Même si la lettre a permis de protéger les principes de l’irchad tout au long de l’histoire, les conditions de vie des musulmans en mutation perpétuelle exigent l’utilisation de nouveaux moyens de communication pour accomplir cette tâche de nos jours. Les prédicateurs doivent désormais faire usage des moyens de communication modernes tels que la radio, la télévision et les vidéos.

[1]Cf.Les lettres du Prophète, Muhammad Hamidullah, Le Prophète de l’Islam, Istanbul.

[2] Pour la version complète de la lettre de Hasanal-Basrî, cf. Abû Nuaym,Hilyat al-Awliya’, Beyrouth, 1967, II, pages 134-140.

[3]Attar,Tazkirat al-Awliyā,Téhéran 1346, s. 37.

[4]Saint Coran, sourate Al-Mâ’ida 5, verset 44.

[5] Saint Coran, sourate Al-Mâ’ida 5, verset 63.

[6]Cf. Süleyman Ateş, Cüneyt-i Bağdadî Hayatı Eserleri ve Mektupları,İstanbul 1970, s. 129-130.

[7]İmam-ı Rabbâni, Mektûbat, İstanbul 1969, Sönmez Neşriyat, P. 490, 229.

[8]Tezâkir-i Hüdayi, Süleymâniye, Fatih Ktp, no. 2572. Les lettres écrites par Aziz Mahmud Hüdayi aux Padichahs et aux califes ont été compilées dans un ouvrage ; mais, elles n’ont été publiées cf. H.

Kamil Yılmaz, Aziz Mahmud Hüdayi ve Celvetiyye Tarikatı, İstanbul 1984, p. 116-119.

[9]Cf. Y. Nuri Öztürk, Kuşadalı İbrahim Halveti, İstanbul 1982. s. 264-265.

[10]. M, Es ‘adErbilli, Maktubât. İstanbul ts. p. 271.

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