La communauté recherchée par l’époque

Mar 12, 2019 par

Ahmet Taşgetiren

Dans toutes les manifestations, de la prière jusqu’au pèlerinage, l’égalité entre les sujets et la fraternité fondée sur cette égalité est le reflet de la réalisation de la communauté. Année 1O de l’Hégire, au lieu nommé ‘Arafat, près de Djebel Rahma, (Mont de la Miséricorde), le 9ème jour du mois de Dhul Hijja, le Messager d’Allah (sallalahu ‘alayhi wa sallam), monté sur sa chamelle nommée Qaswa, s’adressa à tout le peuple réuni :

« O vous les gens !

 

Savez-vous quel jour nous sommes ? N’est-ce pas le jour du sacrifice ? Savez-vous quel mois nous sommes ? N’est-ce pas le mois de Dhul Hijja ? Savez-vous quel pays est-ce là ? N’est-ce pas le pays sacré ? En conséquence, (sachez que) votre sang, vos biens et vos réputations doivent être aussi sacrés pour vous que le sacrement de ce jour, de ce mois et de ce pays. »

 

Souvenez-vous qu’un jour vous rencontrerez votre Seigneur et Il vous demandera des comptes sur vos actions en ce monde.

 

Sachez que je vous précéderai et que je vous attendrai devant le Bassin. Je me réjouirai de votre nombre par rapport aux autres communautés. Surtout ne commettez pas de péchés dont j’aurai honte et, après moi, ne vous égarez pas en vous combattant les uns les autres !

 

Tous ceux qui écoutent devront transmettre mes paroles aux autres, et les autres devront les transmettre à d’autres encore, de façon à ce que les derniers comprennent mes paroles encore mieux que ceux qui m’écoutent directement.

 

Mes fidèles !

 

Tous les droits (à la vengeance) découlant des homicides de la période préislamique sont désormais annulés et les premiers que j’abolis sont ceux qui découlent du meurtre de Rabia, le petit-fils d’Abdulmuttalib.[1]

QUEL GENRE DE COMMUNAUTÉ SOMMES-NOUS ?

 

Nous écoutons le Messager d’Allah et nous commençons à nous combattre violemment les uns les autres. En sa présence. Comme si nous n’avions pas entendu sa voix… comme si nous n’avions pas compris son testament établi il y a des siècles… Lui nous dit : « Nous allons rencontrer Allah » et nous, nous nous prenons à la gorge. Quel genre de communauté sommes-nous ? Lui nous dit : « Je vous attendrai près du Bassin, je me réjouirai de votre descendance et serai fier de votre beauté. Ne me faites pas honte. » Disant aussi : « Ne vous égarez pas et ne vous prenez pas par le cou (ne vous frappez pas). » Comme si nous avions soif de sang, et nous versons le sang de chacun d’entre nous. Quel genre de communauté sommes-nous ?

Comment allons-nous nous présenter devant Allah, devant le Bassin de Kawthar au moment de rencontrer le Messager d’Allah, notre visage ne va-t-il pas rougir ? Comment allons-nous rendre des comptes sur le sang versé dans les lieux sécurisés ? Comment allons-nous rendre des comptes sur les conflits mettant en scène des centaines de milliers de musulmans en terre d’Islam ?

Le Messager d’Allah effectua ce discours la 10ème année de l’Hégire et le prononça lors du pèlerinage d’adieu. Avec ce discours, c’est à nous qu’il s’adresse depuis 14 siècles. Chaque année, il dit aux fidèles rassemblés à ‘Arafat de notifier ce testament à ceux qui n’y sont pas présents. Nous écoutons depuis 14 siècles et nous versons notre sang. Quel genre de communauté sommes-nous ?

COMME LES DISPUTES LORS DE LA PÉRIODE DE L’IGNORANCE

 

Le Messager d’Allah avait émigré à Médine. D’un côté, en fraternisant les émigrants avec les Ansars, et d’un autre côté en mettant fin à une mésentente qui durait depuis la nuit des temps entre les deux clans les plus importants, à savoir les Aws et les Hazraj. Ces derniers, en oubliant les conflits qu’ils menaient, dénommés Yawm-i Buas, et qui duraient depuis 120 ans, se sont rassemblés autour du Messager d’Allah et sont devenus frères.

Cette situation dérangeait les juifs de Médine. Un jour, un juif nommé Semmas ibn Qays, en passant devant des jeunes gens des clans d’Aws et de Hazraj qui discutaient, fut gêné par les discussions qu’entreprenaient ces fidèles du Prophète. Il dit à un jeune juif qui se trouvait là-bas : « Vas-y ! Assied-toi à côté d’eux et rappelle-leur les jours de Yawm i-Buas et ceux d’avant. Puis, à ce moment, lis-leur les poèmes d’héroïsme qu’eux-mêmes déclamaient. Tant qu’ils se rassemblent entre eux, il n’y a pas de paix pour nous. »

Le jeune juif s’assit au milieu des musulmans et, tout en parlant, amena la conversation aux guerres de Buas. Les jeunes gens d’Aws et de Hazraj, en se remémorant les héroïsmes passés, commencèrent à lire des poèmes. Ensuite, ils commencèrent à s’approprier ces héroïsmes issus de la période de l’ignorance et, finalement, toutes les discussions tournèrent en dispute pour savoir qui était le plus fort. Aws ibn Kayz, membre du clan des Aws et Hubar ibn Sahr, membre du clan de Hazraj, sortirent du milieu d’eux et dirent : « Si vous le voulez, retournons à ces jours. » Le Prophète fut averti de la situation et devint extrêmement triste. Prenant à part les jeunes Ansars, il s’adressa à eux de la manière suivante :

 

« Ô les croyants ! Si vous obéissez à un groupe de ceux auxquels on a donné le Livre, il vous rendra mécréants après que vous ayez eu la foi. Et comment pouvez-vous ne pas croire, alors que les versets d’Allah vous sont récités, et qu’au milieu de vous se tient Son messager? Quiconque s’attache fortement à Allah, il est certes guidé vers un droit chemin.

Ô les croyants ! Craignez Allah comme Il doit être craint. Et ne mourrez qu’en pleine soumission. Et cramponnez-vous tous ensemble au ‹Habl› (câble) d’Allah et ne soyez pas divisés; et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous: lorsque vous étiez ennemis, c’est Lui qui réconcilia vos cœurs. Puis, pas Son bienfait, vous êtes devenus frères. Et alors que vous étiez au bord d’un abîme de Feu, c’est Lui qui vous en a sauvés. Ainsi, Allah vous montre Ses signes afin que vous soyez bien guidés. » [2]

 

LA FRATERNITÉ, LA COMMUNAUTÉ ET LE PÈLERINAGE

 

Avant ces versets (précités), il en existe qui sont relatifs à l’obligation du pèlerinage et juste après surviennent ceux qui conseillent aux musulmans de former une communauté. Feu Elmalılı Hamdi Hodja révèle l’influence de ces versets en ces termes :

« Pour se soumettre à Allah avec justesse et dans tous les cas mourir en musulman, il faut avant tout s’accrocher à la corde d’Allah, préserver sa foi et éviter de se briser. Il est entendu que le but du pèlerinage est cette unification, une occasion et un objectif. Avant tout, il faut que la foi habite dans les cœurs et ensuite vient le rassemblement des activités ; ceci étant la caractéristique du droit et de la religion d’Allah. Il est dangereux de dire : « Je peux à moi tout seul protéger ma religion ». Il est douteux que les personnes qui désirent rester toutes seules puissent se développer sur le beau sentier qui mène à la croyance et à l’islam. Face à l’oppression, l’individu perdra tout. Car « l’aide d’Allah est avec la communauté ». Et la plus grande inspiration de cette religion se situe dans l’influence de cette communauté. C’est pour cette raison que sans la communauté il restera égaré. Chaque fidèle est responsable de la manifestation de la foi. La manifestation du droit n’est possible que lorsqu’il y a un rassemblement. Si l’individu ne rassemble pas avec la communauté des fidèles sa force et ses actions, il ne pourra atteindre ni la vraie foi ni Allah. » [3]

De cette façon, Allah le Tout-Puissant et Son Messager considèrent que les fidèles le pèlerinage et la communauté se situent dans le même cadre. Aucun contrevenant à cette communauté ne peut être accepté. Les clans, les diverses races et couleurs, la puissance de l’argent, les situations ou filiations qui mettent des obstacles à la fraternité et, dans un sens large, à la communauté de l’islam seront considérés comme « les restes de l’ignorance » et seront compris comme étant « un rejet de la croyance et un retour au parjure ». Ceci signifie que toutes les vantardises qui seraient susceptibles d’ombrager la fraternité islamique est une extension d’une existence emprunte d’ignorance et reste, au demeurant, interdite par l’islam.

L’HUMILITÉ ET LA FRATERNITÉ

L’islam construit une fraternité basée sur l’esprit d’humilité. L’humilité est devant Allah comme les dents d’un peigne, ce qui signifie l’égalité absolue. Lorsqu’Allah dispose du serviteur, il ne reste plus de sens en ce qui concerne son pouvoir, sa science, ses biens et même son humanité. Les biens sont ceux qui (lui) sont offerts par Allah. La science également. Ensuite, face aux biens qui appartiennent à Allah, à Sa science, à Sa puissance et à Sa manifestation, peut-on parler de « la puissance du serviteur » ?

Dans la manifestation de l’humilité liée à la prière au pèlerinage, le « serviteur » se révèle être à égalité et cette égalité, créant la fraternité, est le reflet de la constitution de la communauté. Le serviteur qui lors de sa prière se trouve face à Allah laisse toutes les dissimilitudes de ce monde à l’extérieur. Quand il demeure dans une condition marquant la faim, cela au nom d’Allah, quand il se sépare de ses biens au nom d’Allah, il sait dans son esprit que cette séparation se révèle être une tâche. Comme s’il prenait auprès d’Allah un certain bien et qu’Allah le Tout-Puissant lui demandait d’en utiliser une partie ailleurs. Il aurait pu demander beaucoup et même beaucoup plus. Quand cela est nécessaire, il dit : « Puisses-tu offrir ta vie pour la voie d’Allah ! » Car, certes, la vie précède les biens. La célébrité, la différence de clans (de races ou d’ethnies), en est-il question dans l’éternité ? Là-bas, tout n’est qu’humilité et tout le monde est sous le même pied d’égalité. Le pèlerinage est un signe manifeste de cette fraternité et de cette égalité, réalisant cette humilité dans le cœur des fidèles partout dans le monde. Tu es un être humain. Tu es un serviteur. Quelle est la différence ? Actuellement, devant Allah, tu n’as que ta foi en guise de richesse. Si tu y parviens, sors de cette humilité. Sinon, résigne-toi à son droit. Où est donc ta souveraineté, ta richesse, ta beauté, tes serviteurs, tes hommes, ta filiation, ton clan ?… Tu es en présence d’Allah, le seul critère de richesse, c’est la foi… Si tu demeures dans cet esprit, nul besoin de discuter. Que n’arrives-tu pas à partager ? La bénédiction d’Allah ? Quelle est cette parole ? Si Allah a permis que tu sois frère avec celui qui est à côté de toi, têtu comme tu es, y a-t-il plus grande richesse ? Ne vois-tu pas qu’Allah t’a accordé Sa considération ?

Si tu parviens à partager cette richesse… Oui, à ce moment-là, tu seras une communauté. Quand Allah dira : « communauté bienfaisante », tu seras celui qui se lève, qui revit les nuits durant, la tête prosternée, récitant les versets d’Allah, vivant dans la foi, celui qui repousse le mal et accomplit le bien, tu seras une bonne communauté.[4] À ce moment-là, tu seras une force. Feu Elmalı Hoca nous délivre son regard sur la communauté :

L’Oumma désigne un groupe, un ensemble (de gens). Cette appellation est dérivée du mot « imam », signifiant une communauté respectée et suivie par d’autres communautés d’hommes. C’est-à-dire une communauté assemblée pour former un tout autour d’un imam, guidée par lui et dirigeant d’autres communautés d’hommes venant de classes différentes. Autrement dit, l’Oumma est la communauté de la grande orientation de l’islam. Par rapport aux communautés (jama’a), l’Oumma est comme l’imam par rapport aux personnes. Par conséquent, l’Oumma est une société issue de la communauté régnante.

DANS L’ESPRIT DE LA COMMUNAUTÉ

 

Ainsi, le Coran veut que nous soyons une communauté qui nous présentons dans ce cadre. C’est un groupe de personnes où « tous adhèrent et suivent » … « Un peuple sage… » Composé de fidèles… comme un mur indescriptible, un groupe de fidèles unis… la communauté de l’Islam…

Une communauté édifiée grâce aux prières, aux jeûnes, aux aumônes, aux pèlerinages… bâtie dans un esprit de soumission… tous les individus, les groupes, les affiliations, les clans qui composent la communauté se comporteront dans un esprit de soumission envers Allah et ne délaisseront jamais leurs frères qui font partie de la même communauté.

Parmi l’assemblée des hommes avec qui nous sommes lors de la prière, observons-nous leurs qualités ? Durant le pèlerinage, (la couleur de peau) de l’homme drapé de blanc influence-t-elle négativement nos sentiments ? Lorsqu’en disant : « Labbayk Allahumma Labbayk », en obéissant à cet impératif, jalousons-nous un autre croyant et le faisons-nous tomber ? C’est ainsi qu’à ‘Arafat, des millions de voix en forment une seule, les fidèles sont en communion, c’est comme la naissance d’une force, d’une communauté. Là, qu’il s’agisse du Sri Lankais, de l’Ethiopien, du Noir ou du Blanc, de l’Arabe ou du Turc, du riche ou du pauvre, du patron ou du salarié, du chef d’État ou du simple citoyen, chacun saisit l’amour de l’autre et apporte ses sentiments de fraternité. C’est comme cela que le Messager d’Allah a bâti sa communauté. Celle-ci demeure comme un seul corps composé d’individus venant de tous les horizons : Blancs, Noirs, Arabes… Cette communauté amena l’islam au-delà des siècles. Elle fut un guide pour que l’homme vive comme un être humain. Elle fut la croyance de l’humanité

Allah le Tout-Puissant a nommé ces terres « les lieux sûrs ». Depuis la création de la Terre, ces lieux représentent le cœur de l’islam. Il bat dans ces lieux. Ou alors le cœur des musulmans bat dans ces lieux. De là-bas aux terres d’islam, de là-bas à toute la Terre une brise de confiance peut se propager. Si seulement nous pouvions être une communauté digne de cette confiance… mais si notre cœur pouvait battre selon le cœur de là-bas…

Celui qui perd le sentiment de confiance, la Terre suffoquant dans l’anarchie de sa propre production, une communauté prête à transporter de là-bas le sentiment de confiance est la communauté recherchée à cette époque… 

[1] M. Zekai Konrapa : Notre Prophète, s.315, Editions Erkam, 1987

[2] Coran, Al-Imran, 3/100-103

[3] Elmalı’lı, Hamdi Yazır, Hak Dinî Kur’an Dili, c. 2, s. 1153

[4] Voir. Coran, Al-Imran, 3/104, 113-115

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