D’une pratique irréfléchie à une pratique réelle

Mar 12, 2019 par

Dr Adem Ergül

« Les actes constituent une simple transcription de l’aspect extérieur ; quant à l’âme qui les anime, elle est le secret de la sincérité. » (Ibn Atâ Allah al-Iskandarî)

Afin que nous puissions adopter un bon mode de vie, pour la vie sur terre et en préparation de la mort, Allah le Très-Haut n’accepte pas les œuvres réalisées pour leur aspect extérieur, effectuées pour le regard de l’autre. Au contraire, cette catégorie d’actions ne fait que nous éloigner de Lui et attiser Sa colère. Quelle grande faillite serait-ce si durant toute notre existence les pratiques, les adorations et l’obéissance que nous avons réalisées ne pesaient rien sur la balance divine. C’est partant de ce constat que les bien-aimés d’Allah, clairvoyants et intelligents, insistent sur le fait que l’effort principal de l’homme doit consister à être sincère et que pour y parvenir, il doit corriger ses intentions.

La sincérité (al-ikhlâs), c’est pouvoir exposer une attitude dévouée et sincère, sans hypocrisie ; c’est rechercher uniquement la satisfaction d’Allah dans nos rapports avec Lui ou dans toutes les œuvres que nous réalisons en Son nom, sans haine de son ego ni quête de désirs éphémères.

Un acte pieux n’est pieux que sous deux conditions :

  1. L’intention doit être sincère ; seule la satisfaction d’Allah doit être recherchée.
  2. L’acte doit être conforme au Coran et à la Sunna.

Si l’une de ces conditions venait à manquer, l’acte ne peut être considéré comme pieux et, par conséquent, ne serait pas agréé par le Seigneur.

L’intention est le produit du cœur. En d’autres termes, le cœur est la source principale dans laquelle nait l’intention. Lorsque la source est impure, il est impensable qu’en naissent des intentions sincères. C’est la raison pour laquelle il est dit que « tant que le cœur n’est pas pur, l’intention ne peut être véritable. Et tant que l’intention n’est pas véritable, l’acte ne peut être pieux ». Le cœur peut devenir pur uniquement en se dévouant au Seigneur et en s’éloignant de maladies spirituelles telles que la négation, l’associationnisme, le doute, la haine, la jalousie, l’orgueil et l’hypocrisie. Accéder à ce degré signifie se préparer à affronter un sérieux combat spirituel. On peut qualifier ce chemin de « méthode éducative à suivre ». L’existence même de la mystique (tasawwuf) est de permettre au serviteur d’atteindre la véritable sincérité et, de ce fait, d’acquérir un cœur pur, tel que voulu par Allah.

L’Imâm Rabbanî nous démontre cette vérité en expliquant le sens du terme « mystique » :

« La mystique est un voyage de la législation musulmane (Shari’a) de son aspect apparent vers sa véritable imprégnation (au croyant). » C’est-à-dire que le Coran et la Sunna attendent de l’homme qu’il gagne une dimension profonde dans sa foi et dans ses œuvres, un engagement de son corps et de son cœur, en ne restant pas basé uniquement sur une pratique imitatrice et extérieure. Il s’agit donc d’accéder à la certitude dans sa foi, d’accomplir la loi islamique, en toute sincérité et en pleine conscience (de la présence divine en tout lieu et en tout temps), dans un monde de sentiments et de médiation, de se vouer corps et âme au Seigneur et à la Vérité, afin de se sauver de l’immaturité et de parvenir ainsi à acquérir une pleine maturité.

Le sage Imâm Rabbanî a dit : « Tant que le cœur n’aura pas atteint la certitude, les actes seront une transcription irréfléchie (machinale), les prières et les jeûnes resteront d’apparence. » Avec cette expression, l’Imâm Rabbanî veut attirer l’attention sur la faiblesse de l’intention et le défaut de sincérité. Cela ne signifie pas que ces actes n’ont aucune valeur. En effet, notre Seigneur, qui recouvre toute chose par Sa miséricorde, attribue une certaine valeur à nos actes, même s’ils n’ont pas atteint la valeur maximale qu’Il leur a destinée. Disons qu’à ce moment-là, la dette est tout simplement réglée. Ce n’est donc pas de cette manière que nous pourrons nous rapprocher d’Allah et gagner Sa satisfaction. Pour acquérir la sincérité ou se la faire octroyer, il est indispensable que nous soyons constamment dans un état de prière, psalmodiant notre demande auprès de notre Seigneur.

La sincérité est proportionnelle au degré de soumission du serviteur. La sincérité des serviteurs d’Allah et des véridiques purifie les différentes traces d’hypocrisie dissimulées ou exhibées et éloigne les désirs de l’ego. Les intentions de cette catégorie de croyants est de parvenir à obtenir la récompense promise et consécutive aux œuvres pies, de se protéger de la punition divine et par conséquent d’une triste fin. Les serviteurs ayant atteint ce degré ne peuvent donc pas se reposer sur leurs œuvres.

Quant à la sincérité des croyants épris d’amour et d’amitié pour Allah, elle ne repose pas sur la recherche de la récompense de leurs œuvres et de leurs adorations, ni sur la crainte d’être puni par un quelconque châtiment. Ceux qui ont atteint ce degré ont comme objectif principal la vénération du Seigneur et la quête de la grandeur de l’honneur divin. Cependant, à ce stade de sincérité, il existe encore une part d’œuvres réalisées pour son propre ego. Ainsi, on retrouve des signes de ce stade dans les supplications de Rabia al-Adawiyya : « Seigneur, je ne T’ai pas adoré par crainte de l’Enfer ni par désir du Paradis qui ne sont tous deux qu’un signe de Ta puissance. »

Le troisième degré de sincérité correspond à celui des savants et des rapprochés d’Allah. Ceux qui atteignent ce niveau ne visent pas d’objectifs à titre personnel. Ils adorent uniquement de manière permanente Celui qui possède tout, le Tout-Puissant, à travers leurs comportements, leurs gestes, quelque soit la situation, sans subir une quelconque force, ni puissance, ni perte de richesse.

Les adorations des croyants épris d’amour et d’amitié pour Allah sont réalisées pour le Seigneur ; celles des savants et des rapprochés d’Allah sont accomplies avec Lui. Alors que les œuvres effectuées pour Allah permettent de gagner de bonnes actions, les œuvres faites avec Allah permettent quant à elles de se rapprocher de Lui. Alors que les actes réalisés pour Allah permettent d’accéder à la réalité de l’adoration, œuvrer avec Allah octroie une conscience pure. Alors qu’œuvrer pour Allah est une qualité inhérente aux adorateurs, œuvrer avec Allah est une qualité inhérente à ceux qui désirent leur Seigneur.

Certains maîtres spirituels ont dit : « Il faut se permettre de retrouver la santé, de s’éloigner des peurs infondées et des désirs de son ego grâce à un acte pur et sincère. »

Le niveau de sincérité est proportionnel à la connaissance de soi-même (marifat al-nafs) et à la connaissance d’Allah (marifatullah). Muhammad Es’as Erbili l’a exprimé ainsi dans ses vers : « Si tu deviens l’ami (d’Allah), l’œuvre la plus faible deviendra telle une montagne. » Les rapprochés d’Allah ont réussi à percevoir la définition du terme « néant » et à effacer leur personnalité. Des œuvres, qui ont l’air petites en apparence, prennent de ce fait une tout autre dimension auprès d’Allah.

D’ailleurs, le Messager d’Allah a dit :

 « Sois sincère dans ta vie religieuse, peu d’œuvres te suffiront. »

La sincérité détient un secret qui protège son possesseur, l’enrichit, lui permet la rencontre de l’éternel. C’est un très beau cadeau offert par le Seigneur à certains de Ses serviteurs. Tout en cherchant à être sincère, nous ne devons pas perdre de vue que cet effort consiste surtout à atteindre une sincérité mature et que pour acquérir cette faveur, nous devons constamment être en état d’imploration, humblement et en toute discrétion. Enfin, nous devons avoir la décence de ne pas présenter à notre Seigneur des œuvres basées uniquement sur leur aspect extérieur, mais nous devons connaître le comportement à adopter pour les présenter de la plus belle des manières, vivantes, car sincères.

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