La passion de l’uniformisation culturelle

Mar 13, 2019 par

 

Ahmet Taşgetiren

 

Le clonage génétique est une des préoccupations majeures que connaît actuellement la science moderne. Les profondeurs de l’espace et la science génétique sont les domaines à travers lesquels l’espèce humaine éprouve de profondes émotions… À la question « jusqu’où cela ira-t-il ? », les deux domaines excitent des interrogations parmi celle-ci. Dans l’un se déroule la recherche consistant à saisir l’immortalité de l’homme, et dans l’autre l’effort de détermination du secret de l’univers…

La science génétique, après le règne végétal, a également connu en matière de clonage un réel succès dans le règne animal… elle a inauguré le clonage des singes, des moutons… et de l’homme ? Dans le monde, de grands débats se font autour du thème de savoir si l’homme pourrait ou pas être génétiquement modifié ; même une fois modifié, le nouvel individu répondrait identiquement ou pas à la première, même si on obtient un individu identique, cela s’avèrerait-il bénéfique ou pas pour l’homme ?

Les premiers travaux relatifs à la science de la génétique ont vu le jour grâce aux expériences de Johann Mendel effectuées sur des petits pois. Le père des travaux modernes fut un scientifique et moine autrichien né en 1822. On révèle que les travaux dans ce domaine fournissent un service important en matière d’amélioration des espèces animales et végétales. Lors des problèmes de santé dont est souvent victime l’espèce humaine, le recours au savoir génétique est également manifeste. Et l’amélioration de l’espèce humaine ? C’est ainsi de là que relève la discussion.

Entre-temps, Hitler, ayant pour objectif de produire une race allemande pure, mit au point un « haras d’hommes » en créant une sorte de raffinerie raciale. Il a réuni des jeunes hommes allemands de race pure et des jeunes filles allemandes du même acabit et les a accouplés ; c’est ainsi qu’était entendu la reproduction des bébés allemands de race pure… La question qui dérange le monde est la suivante : « Et si par moyen de clonage génétique un Hitler sort et introduit des millions d’Hitler ? »

Le rêve de Mao était de faire également de la société chinoise une société de milliards de personnes constituée de Mao. Si un Mao était apparu et avait réussi à profiter d’une telle technologie ?

Un sérieux problème s’impose ici : l’aspect terrifiant de travail et de modification réside- t-il de l’état inadapté de cette génération modifiée ou bien de la révolte de l’homme contre le projet unique qui résulterait de la modification en elle seule ?

 

Revenons en Turquie … s’il y avait en Turquie une personne de « type idéal » et qu’elle eut été multipliée en 65 millions de personnes, est-ce que cela serait plus avantageux que cette étrange synthèse sociale étouffée par des multitudes de problèmes étouffant également le système ?

Le débat actuel en Turquie portant sur la question du clonage également discutée dans le monde entier, cherche aussi la réponse à cette question. Peut-être qu’il ne s’agit pas exactement de clonage dans toute l’acception du terme, mais d’une éducation qui vise la production d’« un seul type d’individu ». Posons-nous la question : cette éducation n’est-elle pas quelque peu analogue à l’objectif du clonage ?

La période de la République (en Turquie) a connu une politique de « typisation commune » dans deux domaines : il s’agit pour le premier d’une politique de mise en place d’une nation commune et pour le second du monisme culturel.

Durant la dernière période de l’Empire Ottoman, afin de surmonter les douleurs relatives à la dislocation de la patrie due au fort nationalisme en vogue, un processus de nationalisation sur un axe turc débuta au cours de la période de la République. À l’intérieur du pays, tout le monde était appelé à se sentir Turc. Il s’agissait de prendre le turquisme[1] comme une fierté et le ressentir dans ses propres veines comme un afflux de dignité. Même si les différentes identités ne furent pas omises, on ne pouvait pas se réaliser de manière enflammée. Cela fut la trace laissée dans les années 1970.

De même, durant la période de dénouement liée à l’Empire Ottoman, un syndrome de retard était réel tandis qu’en Occident les élites partageaient le même avis affirmant que ce fait était dû au ferment culturel et à l’idée de la religion. La République a été aussi fondée dans cette atmosphère de pensée. Pour cela, la République ambitionnait une révolution culturelle. L’éducation était la manivelle de cette révolution. Une nouvelle serait bâtie et les cadres de la République déterminèrent les formats culturels sur l’échelle laïque. À l’époque ottomane, la religion (puisqu’elle ne pouvait pas être totalement négligée), figurante aussi sur l’axe principal de la vie culturelle, avait seulement pris place autant que nécessaire à l’intérieur de ce format. Le principe de l’éducation relative au tawhid (affirmation de l’unité divine) était le cadre du transfert de ce format culturel sur la vie. L’organisation centrale avait modélisé la société d’une seule main.

Dans les deux domaines il y eut des peines et jusqu’à présent des douleurs y sont également vécues. On ne peut pas non plus dire qu’il y eut succès dans les deux domaines.

Le premier domaine, surtout en ce qui concerne la « question kurde », a été à l’origine de tensions sociales qui sont devenues par la suite de moins en moins intenses.

Le deuxième domaine, relatif à « l’Islam », a été la réaction d’une menace intérieure ; cela ayant été la source d’une tension politico-sociale qui a conduit à l’utilisation nécessaire des armes.

Il est nécessaire d’avouer que la typisation commune dans chaque domaine a également formé une base qui a rendu inquiets des millions de personnes.

Présentement, si ce sujet revient à l’ordre du jour sous forme de débat depuis huit ans  sans interruption, étant seulement un projet d’éducation, force est de constater qu’il est devenu source de tension sociale redoutable, cela est dû à l’existence de la conscience de  « typisation commune » que la République depuis le début avait tenté de réaliser. C’est presque comme si la République voulait renouveler les consciences après 70 années. Celle-ci avait comme processus une sous-conscience formulée de la manière suivante : « Je dois déterminer toute la société jusqu’aux bébés »… « J’ai un modèle de valeurs, je dois le faire porter à tout le monde ». C’est cela l’uniformisation culturelle. Ou bien la fabrication de la personnalité…

« La rénovation de la volonté », certes, est due à la persuasion des consciences amollies dans ce domaine pendant 70 ans. En sept ans, elle n’a pas eu lieu et l’on veut maintenant qu’elle ait lieu. Un savant turc qui a écrit des ouvrages en français sur le kémalisme a dit que « jusqu’ici le kémalisme a réussi à hauteur d’une proportion sociale de 70% ; 30% donc n’étant pas encore acquis, et que huit années d’éducation ininterrompue seraient nécessaires pour combler, sous prétexte de civilisation, ces 30% manquants ».  Quelqu’un d’autre a dit dans le même sens que « durant les premières années de la République, dans l’objectif de civiliser le peuple, le jacobinisme était nécessaire comme méthode, et qu’aujourd’hui il est encore indispensable ». Quand on porte un regard introspectif sur ce qui se vit depuis 1997 jusqu’à nos jours, il est possible de constater que l’inquiétude dans certains secteurs dépasse les 30%.

Alors qu’en serait-il de cette « typisation commune » après cela ? Ces fameuses huit années d’éducation ininterrompue pourraient-elles réussir son dessein ?

Similairement, le point de vue selon lequel « l’éducation religieuse » entraverait le projet de « typisation commune » domine sur la conscience de l’autorité centrale. Ce point de vue avance que l’éducation religieuse est démodée et qu’elle a donné comme résultat l’émergence de personnalités qui surmontent le prototype que le système avait envisagé. C’est à cause de cela qu’un règlement de compte existe entre l’autorité centrale et la société dans le domaine de la religion. Afin de compenser l’entrave causée par les 70 années, l’autorité centrale envisage une « réforme » de l’éducation religieuse susceptible d’alimenter la « typisation commune ».

Selon la logique de l’autorité centrale, une éducation religieuse minimale, plus contrôlée, plus canalisée, équivaut à une éducation religieuse davantage de type unique…

Seulement il n’existe pas de modelage physico-mécanique, même en travaillant dans un laboratoire isolé de toutes sortes d’influences. Il n’est pas possible d’estimer ce qui en résultera et comment les choses se dérouleront. L’opération culturelle en question… s’agissant de son laboratoire, c’est la plate-forme d’un pays ouvert aux éclats des mouvements culturels du monde entier… nous vivons dans un monde où il n’est guère possible de placer une limite au savoir. Là encore, c’est que nous vivons dans un monde où il existe un phénomène dominant dit de culture globale. Cela est une attitude qui couvre tout le monde, qui brise les résistances, qui absorbe les mondes culturels les plus conservateurs. Les cultures locales sont presque dans l’obligation de faire la guerre pour exister… toutes les institutions des pays, y compris l’État proprement dit, prennent place dans cet antagonisme à côté de leur propre culture d’origine. Voilà, vous voulez construire votre propre modèle archétypal avec les débris de cultures compilés aléatoirement de la culture du monde tout en érodant les tissus culturels locaux formés par des milliers d’années !

Au bout du compte, d’une part les tissus culturels acquis par les gènes sont corrodés et, d’autre part, apparaît une société-culture structurelle qui ne possède pas d’équipements de résistance suffisants pour lutter contre la culture globale. Il est vrai que cette opération coûtera cher à la culture religieuse. Cependant il est évident que cela coûtera beaucoup plus cher à cette société dont l’identité culturelle est brassée avec la religion.

Dans les groupes/sections de la société issus de la Turquie de l’année 1997, qu’est-ce qui a marqué fortement le caractère original ? Est-ce dans la morale, dans le savoir, dans la pensée, dans la vertu que nous portons les aspects dominants ? Sommes-nous un pays dans lequel on nous demande de savoir si « l’humanisme est mort » ? À quel point les moules de la culture globale influencent cette société et dans quelle mesure nous pouvons contribuer à la culture globale ? Lorsque vous vous isolez de la religion, croyez-vous que la garantie d’une union « éducation-enseignement » soit possible ? Même s’il est possible de couvrir de murs tout l’environnement, pensez-vous que les forces vives chargées de trouver des solutions aux problèmes de l’époque pourraient les produire ? Face à l’information télévisuelle, médiatique et mondaine, ou bien depuis l’Internet et le monde des livres que l’on ingurgite le plus simplement du monde, quel livre de sociologie, de philosophie, d’histoire ou de géographie spécifiquement formulé, peut constituer un barrage ? Voilà que Tarkan[2] à lui seul attire plus d’attention que dix politiciens ! Est-ce que le projet de « typisation commune » détenait cela dans son programme ? De quelle dimension culturelle Tarkan est-il l’expression ? Nous savons que les jeunes filles de notre pays (la Turquie) se mobilisent en masse une fois qu’elles entendent quelque sonorité découlant de Michael Jackson. Mais la question se pose : quel aspect de valeur propre ce dernier apporte-t-il à notre culture ?

Je me dis souvent que si la possibilité existait de copier Mustafa Kemal des années 1920-1930 et de déplacer cette copie sur des millions de personnes vivant à notre époque, serait-il possible de satisfaire l’autorité centrale? Ou bien il aurait dû y avoir blocage sur une question telle que : De quel Mustafa Kemal Pacha s’agit-il là ? Est-ce le Mustafa Kemal en personne, ou bien « les Mustafa Kemal Pacha » des mouvements kémalistes diversifiés par milliers en 1970 ?

Je ne sais pas si présentement dans le monde il faille jouir ou s’inquiéter du fait que le clonage de l’homme n’est pas discuté dans d’autres pays aussi vivement qu’il l’est chez nous en Turquie. Voilà donc que nous poussons nos regards tout en haut du niveau de la civilisation contemporaine… quelle joie !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Doctrine mettant en avant la culture turque.

[2] Musicien célèbre en Turquie.

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