Du ressentiment (envers les personnes)

Mar 13, 2019 par

Kevser Atar

Avoir du ressentiment signifie être vexé, être déçu, ne pas parler, c’est être blessé, couper toute relation.

De façon générale, c’est une sortie de conduite menée hors des situations où toute attente reste sans réponse.

Selon l’intensité de la désolation, l’individu peut avoir du ressentiment contre lui-même ou ses amis, voire même contre le monde entier et cette réaction peut durer plus ou moins longtemps.

Parmi les raisons qui expliquent le choc et le chagrin de l’homme, il y en a trois qui sont fondamentales : les maux, les erreurs et les vérités.

Ces trois facteurs originellement liés à la problématique du ressentiment sont liés les uns avec les autres.[1] Par exemple toute vérité est à même de nous blesser ; mais quand elle est dite de manière vexante et sous forme de réprimande, cela peut se transformer en mal et blesser pour finalement faire l’objet d’un ressentiment. De même, nous pouvons être exposés à un mal que nous méritons ; mais bien que nous le méritions, cela provoque inévitablement le mal et le mécontentement en nous. Enfin, les erreurs peuvent faire apparaître en même temps à la fois des maux et des vérités.

Le mécontentement est le plus trompeur des sentiments. Cela est dû à son pouvoir dissimulateur et à son habilité à couvrir les sentiments comme la générosité, la sympathie, le respect et la dévotion. Un exemple où la déception utilise ce masque est lorsque l’on montre en apparence un faux sentiment d’amour et de respect à quelqu’un alors que notre for intérieur le boude.

La capacité de l’homme à pouvoir supporter les douleurs trop intensives est liée à la qualité qu’il dispose à pouvoir changer la couleur de ses sentiments tel un caméléon. Le mécontentement nous permet de rendre supportables les douleurs en les rationalisant d’une manière ou d’une autre.

Quelle que soit la situation à laquelle nous devons faire face, ce double sentiment (intérieur et en apparence), en opposition l’un à l’autre, n’est pas digne de la personnalité du musulman.

La durée maximale du ressentiment

Un hadith dit : « Ne rompez pas les liens d’amitiés qui vous unissent, ne vous tournez pas le dos les uns aux autres, ne vous haïssez pas, ne vous enviez pas et soyez frères, ô esclaves de Dieu ! Il n’est pas licite (halal) qu’un musulman se fâche contre son frère musulman au-delà de trois jours » (Bukharî, Adab, 57 ; Voir aussi Muslim, Birr, 23)

Notre Prophète (pbsl) a défini la durée maximale du ressentiment à « trois jours ». Le choix a été de trois jours afin de laisser le temps de la réconciliation, que celle-ci ne soit pas trop difficile. C’est parce que la colère et la rage font partie de la nature humaine qu’il est toléré de rester fâché pendant un délai court, le temps de soulager son sentiment de colère.

Un musulman cherchant à vivre conformément à l’islam se montre sensible à ses recommandations et ses interdits. Pour une telle personne, ces recommandations et interdits sont placés devant son ego et ses propres vérités, alors qu’au contraire la personne qui a du ressentiment donne plus d’importance à son ego qu’à l’islam.

Selon un récit rapporté par Abû Hirach as-Sulamî (que Dieu soit satisfait de lui), notre Prophète (pbsl) a dit : « Quiconque reste fâché plus de trois jours consécutifs, puis rend l’âme ira en Enfer. » (Abû Dawûd, Adab, 47)

On évoque aussi dans un autre récit la possibilité pour ces personnes d’aller au Paradis après avoir été châtiées un certain temps en Enfer. Il est dit aussi que ces mêmes personnes entreront au Paradis « sans se rencontrer entre elles ». (Ibn Hibban)

Réconcilier les personnes victimes de ressentiment

 

Notre Prophète (pbsl) a dit : « Il n’est pas permis à un musulman de fuir son frère plus de trois nuits successives. Ainsi ils se rencontrent et chacun d’eux tournent la tête de côté. Le meilleur des deux est celui qui salue le premier. » (Bukharî, Adab, 62 ; Tirmidhî, Birr, 21)

Un autre hadith stipule qu’il est préférable que les deux fâchés se réconcilient entre eux, sans intermédiaire, et ce justement grâce aux salutations mutuelles ; le meilleur des deux étant celui qui se précipitera le premier pour la réconciliation.

Le Prophète (pbsl) a dit : « Les portes du Paradis sont ouvertes tous les lundis et les jeudis. On absout alors toute personne n’associant rien à Dieu sauf celle qui a quelque animosité à l’encontre de son frère. On dit alors : “ Remettez l’absolution à ces deux-là jusqu’à ce qu’ils se réconcilient”. » Dans une autre version : « Les œuvres sont exposées tous les lundis et tous les jeudis. » (Muslim, Birr, 36)

Toutefois si le ressentiment dure, prend une dimension égocentrique et dépasse à cet effet le délai mentionné dans le hadith, cet ordre de Dieu à l’encontre des croyants est appliqué :

 

« Les croyants ne sont que des frères. Établissez la concorde entre vos frères, et craignez Allah, afin qu’on vous fasse miséricorde. » (al-Hujurat 49/10).

Et dans un hadith :

« La prière dite « nafila » est une pratique plus vertueuse que le jeûne et l’aumône ; et rétablir le lien entre deux personnes et l’arranger, car le ressentiment détruit la religion à partir de sa racine. » (Tirmidhî)

Et dans un autre :

« N’est pas menteur celui qui dit des paroles précieuses afin de réconcilier deux personnes. » (Bukharî, Sulh, 2 ; Muslim, Birr, 101)

La meilleure et plus précieuse aumône (sadaqa), c’est de réconcilier deux personnes en jouant le rôle de « médiateur ».

Selon un récit rapporté, lorsque Moïse (Moussa, sur lui la paix) posa la question suivante à Dieu le Très-Haut : « Ô Seigneur ! Quelle rémunération offres-Tu à ceux qui réconcilient les personnes qui ne se parlent plus ? » Dieu lui répondit : « Je leur accorderai le salut au Jour de la Résurrection et confiants de ce qu’ils craignent j’accomplirai tous leurs rêves d’espoir. »

 

Les personnes contre lesquelles il n’est pas interdit d’avoir du ressentiment

 

Le mécontentement ressenti à l’égard des rebelles, des pécheurs et des injustes est légitime et autorisé, parce que les interdits sont établis à l’encontre des personnes qui se fâchent sans raison valable.

Par exemple on peut avoir du ressentiment envers quelqu’un qui se rebelle afin qu’il revienne dans le droit chemin. Bukharî, dans la même lancée, évoque l’exemple de Ka’b ibn Malik, Murâra ibn Rabî et Hîlal ibn Ummaya qui, volontairement, ne participèrent pas à la bataille de Tabuk ; situation tellement critique que, pendant cinquante jours sous les ordres du Prophète (pbsl), aucun musulman n’adressa la parole à ces trois Compagnons précités. Personne ne leur adressa la parole. Personne ne leur adressa de salutation, n’en obtenant pas non plus d’autrui ; aucun sourire, ils furent totalement marginalisés. Par la suite, brisés par la solitude, ils commencèrent à regretter leur attitude et finirent par se repentir. Au bout du compte Dieu leur pardonna et fit descendre un verset (at-Tawba, 118) à leur sujet. Après la descente dudit verset, les trois Compagnons, dont les relations avec les autres croyants s’étaient interrompues, purent réintégrer leur communauté de foi.

En bref, alors qu’il est légitime de bouder les pervers et les innovateurs, il est plus difficile de légitimer ce sentiment vis-à-vis du non-croyant, parce que le non-croyant, en raison de sa mécréance, pratique une infamie plus sévère que le pervers en raison de sa perversité. Le pervers et l’innovateur croient quand même à l’unicité de Dieu.

C’est pour ces raisons que certains savants analysent le ressentiment sous deux points :

  1. Le ressentiment issu du cœur
  2. Le ressentiment issu de la langue

Le ressentiment à l’encontre du non-croyant relève du cœur et marque également l’abandon de l’amour, de l’entraide et de la solidarité. Dans ce cas, avoir du ressentiment de sorte à cesser tout dialogue avec le non-croyant n’est pas légitime parce qu’ici le ressentiment ne lui fera pas renoncer à son incroyance. Par contre tel n’est pas le cas pour le rebelle. Voyant le désaccord de l’autre, dans la plupart des cas, le rebelle se corrigera. (Il n’y a aucun inconvénient à parler aux non-croyants avec l’intention d‘ordonner le bien et de condamner le mal (“amr bil ma’ruf wa nahy al munkar”).

Les raisons qui ont poussé le Prophète à interdire le ressentiment prolongé

 

Le Prophète (pbsl) a interdit aux fidèles de se tourner le dos, de se moquer les uns des autres et de se haïr. (Bukharî)

Cela montre clairement que c’est en connaissance de cause des éventuels désaccords pouvant exister dans la société islamique que le Prophète (pbsl) a ordonné aux musulmans de ne pas se bouder plus de trois jours. À cet effet, le Prophète (pbsl) a voulu notifier que si les fidèles se boudaient plus de trois jours, cela amènerait inévitablement des sentiments de haine et de rancune et occasionnerait naturellement des querelles internes.

Dans la société islamique, les musulmans constituent un seul corps et embrassent collectivement et dans l’unité la religion de Dieu. C’est ainsi que ceux qui se comportaient en opposition avec la communauté étaient immédiatement exclus. Les fidèles aiment, ou n’aiment pas, pour l’amour de Dieu.

En conclusion, celui qui se conforme au chemin droit du Messager de Dieu (pbsl) est obligé de laisser les comportements ignorants, grossiers et fanatiques. Les musulmans qui suivent cette voie n’auront jamais de ressentiment entre eux.

Que Dieu le Tout Puissant nous permette de faire partie des croyants qui entretiennent un amour constant avec Son Messager (pbsl).

Amin !

 

 

[1] Le mot « ressentiment » est celui que nous avons choisi parmi tous ceux qui lui sont proches sémantiquement (discorde, trouble, fâcherie, brouillerie, mésentente…). [NDLR]

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