Une visite, trois prodiges

Mar 13, 2019 par

Jeudi 17 avril 1983,

Dans ma classe de Coran, plus précisément lors d’un cours portant sur la ʿaqīdah[1], nous étions en train d’étudier les miracles (mu’jizah), les prodiges (karamat) et les phénomènes merveilleux (istidraj) en islam. Notre travail consistait surtout à éclaircir et interpréter la notion de miracle telle qu’elle a été attribuée au Prophète Muhammad (que la Paix d’Allah et Son Salut soient sur lui), ainsi qu’aux autres prophètes (sur eux la paix). Au fil du cours, nous abordâmes aussi des exemples de prodiges véhiculés par les saints[2]. Cependant, afin que mes élèves saisissent bien mon propos, il me fallait leur donner un exemple vivant, concret. Un étudiant me demanda d’ailleurs à juste titre :

« Il existe encore de tels saints présentant des prodiges de nos jours. Pourrions-nous leur rendre visite.»

Tout excités, ses camarades s’empressèrent de lever deux mains au lieu d’une seule, afin de montrer leur approbation et leur envie :

« Maître, ces saints, où pouvons-nous les rencontrer ? » disaient-ils, sur un ton insistant.

Je leur répondis :

« L’ami proche d’Allah à qui vous rendrez visite n’habite pas loin du tout,  à seulement cent mètres de l’école, en un lieu tout proche. En sortant du cours je vous y enverrai. Vous pourrez ainsi comprendre de façon vivante ce que signifie l’apparition de prodiges (kashfa al karamat)

Impatients, les étudiants rebondirent :

«Dans ce cas Maître, allons-y tout de suite ! »

Je les calmai alors :

« Soyez patients, à chaque tâche sa méthode et son temps approprié. Quand le cours sera fini je vous indiquerai le lieu où vous pourrez le rencontrer. Mais commencer une affaire avant d’avoir pu terminer la première n’est pas sage. La vertu consiste au contraire à effectuer chaque chose en son temps, sans négliger l’importance d’aucune d’entre elles. »

Terminant le quatrième chapitre, nous entamions la cinquième et dernière leçon. Dans ce cours nous évoquions les directives d’Allah concernant le port du voile, plus précisément les questions relatives à son port par la femme dans le Coran. Nous interprétions ensemble ce sujet à l’aide de versets coraniques et de hadiths du Prophète (sur lui la Paix d’Allah et Son Salut). Dans ce cadre, je leur dictai ce poème dont je ne connaissais l’auteur:

Le hijab est ta vertu, ô femme musulmane,

Coiffée de ton voile tu proclames ton nom au monde,

Qu’est-ce donc cette patrie enrobée de toutes parts :

« Le voile de la femme fait vivre ce peuple. »

Toi aussi préserve ce secret, ô conquérante des âmes,

L’attachement pour ton voile, l’histoire de mon peuple.

Mère, tu le deviendras, fontaine de générations,

les obstacles tu briseras, vers la lumière son papillon.

Tu es le sceau de ma patrie, la prunelle de nos yeux,

Qu’Allah le Très Haut te protège des regards pernicieux.

L’heure de la pause était arrivée. J’avais une promesse à tenir à mes étudiants. Je leur annonçai donc qu’ils iraient rendre visite à la Grand-mère[3] de Pamukova[4] – l’élevée et célèbre Grand-mère Fatma (qu’Allah préserve son précieux secret). Je leur demandai de plus qu’ils lui transmettent mes sincères salutations ainsi que toute ma déférence. Puis en guise de consigne, j’enjoignis mes élèves de bien prêter attention aux faits extraordinaires qui pourraient survenir lors de leur visite et de prendre des notes de la discussion qu’ils auraient avec elle. C’est ainsi que nous nous séparâmes, nous donnant rendez-vous au lendemain matin.

Le lendemain, dès le premier cours, les étudiants étaient dans un état différent à celui habituel. Brûlant d’impatience, ils voulaient raconter à la classe leur rencontre de la veille. Je répondis aux quelques élèves qui voulaient révéler de leur visite :

«Regardez mes enfants, c’est maintenant l’heure de notre cours de Coran. Par conséquent, nous allons être occupés. Quand le cours finira, à la pause, nous reparlerons de ce sujet. »

Nous pûmes ainsi commencer la leçon. Quarante-cinq minutes plus tard, aucun élève ne sortit de la classe pour prendre sa pause. Parmi eux, j’avais une étudiante qui avait su rester sage et calme face à cette situation inhabituelle, une fille qui savait dire justement et poliment ce qu’elle pensait. Une de mes filles qui aujourd’hui a fortement besoin de nos «Fatiha », ayant rendu l’âme suite à un tremblement de terre[5]. Lors de la pause donc, elle raconta cette histoire à la classe:

« Mon Maître, après s’être séparés hier soir nous nous sommes rendus auprès de notre Grand-mère Fatma. Nous la saluâmes et embrassâmes sa main. Elle nous  indiqua l’endroit où nous pouvions nous asseoir. C’est alors qu’elle prit la parole :

« Soyez les bienvenues, rossignols du Saint Coran ! » nous complimenta t-elle par ses premiers mots. Elle poursuivit :

«Peux-tu ouvrir ton cahier ma fille et nous lire le poème intitulé «le hijab est ta vertu » que vous a dicté votre Maître. »Nous étions interloquées. Nous commençâmes à nous regarder l’une l’autre. Il faut dire que notre Maître nous avait dicté ces vers une demi-heure avant seulement. Je me disais à moi-même :

« Voilà donc un premier prodigue… » J’allai à la page du poème et le récitai. Ce qu’elle apprécia fortement.

« Bravo ma fille, Masha Allah » me félicita t-elle.

Puis elle reprit :

« Ma fille, mon état spirituel (hâl) vous intrigue, et c’est précisément pour cette raison que vous êtes venues me rendre visite. Les miracles et les prodiges que vous a expliqués votre Maître sont des grâces divines. Par la toute puissance d’Allah, les prophètes présentent des miracles. Quant aux saints soumis à Lui, ils présentent des prodiges. Mon jeune enfant, tout provient de la puissance d’Allah. En ce qui nous concerne, nous ne sommes rien… »

« Voilà donc un deuxième prodige…» me dis-je encore une fois. Elle avait en effet expliqué les événements de la veille comme si elle y avait elle-même participé. Après un court moment de silence, elle nous confia :

« Ma fille, pourquoi ne m’avez-vous pas transmis les salutations et la déférence de votre Maître à mon égard ? Il vous avait pourtant demandé de me les transmettre à votre arrivée. De plus, ne vous avait-il pas demandé de prêter attention aux faits extraordinaires qui pouvaient survenir lors de votre visite, et de prendre des notes de la discussion que vous auriez avec moi ? C’est pourtant dans ce dessein ma fille, qu’il t’a choisie comme porte-parole du groupe.

« Et voilà donc le troisième prodige…» pensai-je.

Notre Grand-mère, madame Fatma, me demanda alors si nous avions d’autres questions à lui poser. À cet instant précis, aucune question ne me revint en mémoire. Grand-mère Fatma me reprit alors immédiatement :

« Ne voulais-tu pas savoir comment j’étais parvenue à la découverte du prodige ? ». Elle prononçait ces mots et de mon côté j’essayais de retenir mes larmes. Je finis par pleurer.

Je lui avouai alors: « En effet madame, ma question était exactement celle-ci. Au mot près.» Notre Grand-mère Fatma poursuivit:

«Écoute bien ma fille, c’est en vivant modestement que je suis parvenue à cet état. Si tu souhaites obtenir la satisfaction d’Allah et t’épargner Sa colère, tu dois abandonner tes passions et désirs charnels. J’ai ainsi fait beaucoup d’efforts afin de devenir totalement soumise à mon Seigneur (Rabb). C’est en m’appropriant les principes inculqués par ma mère que je suis parvenue à protéger mon âme à jamais :

« Il existe deux stations opposées à l’ombre de cette voie majestueuse.

L’une est de devenir l’esclave de son âme, l’autre est de parvenir à l’âme Sultane[6].» me livra-t-elle un jour.

Ainsi, de toute ma vie je n’ai jamais laissé entrevoir ne serait-ce qu’une seule petite partie de mes membres, de mon corps ou de mes cheveux, aux personnes que je pouvais légalement marier (na-mahram)[7].

De plus, j’ai toujours pris mes repas parmi les miens, en famille. Il y a une sagesse de l’imam ‘Ali – qu’Allah l’agrée – qui m’a énormément influencée : « Quiconque souhaite apercevoir l’enfer dans ce bas monde, qu’il regarde le visage de celui qui a abandonné sa famille, s’est dressé contre ses domestiques, et qui a pris ses repas seule.»

Depuis que j’ai entendu cette parole, je n’ai plus jamais mangé seule. Lors des repas, je partage les prescriptions d’Allah avec ma famille. En leur recommandant le bien et en leur transmettant de belles paroles, je les rends heureux. Certes, servir sa famille reste le plus grand bien et l’aumône la plus généreuse que l’on puisse faire.

Avant même d’entendre l’appel à la prière (adhan), je fais mes ablutions dans l’intention d’effectuer la prière qui suit. Bien évidemment, je prends soin de suivre scrupuleusement la tradition (Sunna) du Messager d’Allah (sur lui la Paix d’Allah et Son Salut) et l’éthique observée par les pieux. En effet, quiconque meurt en état d’ablution, meurt en état de martyr. Je me rappelle donc en permanence les mots bénis du Messager d’Allah (sur lui la Paix d’Allah et Son Salut) afin de me tenir prête et de pouvoir mourir en état d’ablution. Ainsi, Je sors et me promène avec les ablutions, je me couche et m’endors avec elles. Et lorsque l’adhan retentit, je réponds et me conforme à l’appel.

Je dois aussi te relater l’histoire de Zoubeyt Hatoun. La famille de Zoubeyt Hatoun était la famille la plus chère à Haroun Rashid[8]. Un jour, Zoubeyt Hatoun aperçut quelques cheveux d’une fille. «Je ne peux supporter de voir les cheveux de cette fille! » s’écria-t-il, tout en lui rasant ses cheveux.

Couvrir ses cheveux dans l’intention d’obtenir l’agrément d’Allah et de se conformer à Son ordre est la plus noble des vertus.

Ma fille !… sache que tu peux atteindre en quarante jours la station spirituelle (maqam) que les croyants n’atteignent qu’en quarante ans. Pour cela, deviens une femme digne, en s’appropriant sa pudeur et sa vertu ; fais ta prière, respecte et suis ton mari, sois satisfaite de ce que tu possèdes ; fuis les excès et le gaspillage et ne dis jamais à ton mari «que de défauts n’as-tu pas? » Ne sois pas ingrate, ne présente pas à ton époux un visage soucieux et renfrogné, mais réconforte-le plutôt  par un visage souriant et de belles paroles. Rapproche toi de lui lors de moments difficiles, lorsqu’il est chagriné ! Invoque Allah le Très Haut pour lui. Sois heureuse et satisfaite de ce qu’il t’apporte, en ne te plaignant jamais. L’obéissance de la femme à son mari est certes équivalente à celle du serviteur envers Allah.

Dans un hadith rapporté par Ibn Hibbân, le Messager d’Allah (que la Paix d’Allah et Son Salut soient sur lui) nous dit ceci : « Si la femme s’acquitte de ses cinq prières, si elle jeûne son mois de Ramadan, si elle préserve sa chasteté et si elle obéit à son mari, alors elle entre au Paradis par la porte qu’elle veut ».

Dans un autre hadith le Prophète (sur lui la Paix d’Allah et son Salut) nous fait le rappel suivant :

« Voulez-vous que je vous indique le meilleur trésor pour un homme ? C’est la femme pieuse. Quand tu la regardes elle te réjouis, et quand tu lui ordonnes elle t’obéis et elle préserve en ton absence sa personne et tes biens ». (Rapporté par Abû Dawûd et Nasa’î).

La femme heureuse et reconnaissante envers Allah le Très Haut et son mari, lorsqu’elle nettoie les affaires de ce dernier, Allah le lui inscrit comme une bonne action (hâsanat) et lui pardonne mille péchés parmi ses péchés passés. Toutes les créatures des cieux et de la terre implorent Son Pardon spécialement pour elle. Le Tout Miséricordieux l’élève de mille degrés au Paradis.

Ainsi, le fil que tisse la femme, le vêtement qu’elle coud, le plat qu’elle cuisine, l’enfant qu’elle met au monde et le bébé qu’elle allaite, sont comme un gaz pour l’ennemi. Et tant qu’elle le combattra elle se verra inscrire de bonnes actions.[9]

L’imam ‘Ali (qu’Allah l’agrée) vit un jour le Prophète (sur lui la Paix d’Allah et son Salut) pleurer. Il lui demanda alors la cause de ces larmes :

«Lors de mon ascension (Mi’raj) j’ai vu  beaucoup de femmes de ma communauté subissant le châtiment de l’enfer. Je pleure car je viens de me rappeler leur situation».

«Quelle était donc la cause de leur châtiment? » reprit l’imam ‘Ali (qu’Allah l’agrée).

« Ce qui leur a valu ce châtiment, ce sont les trahisons envers leur mari et les blessures qu’elles leur ont causées par la langue.»

Dans un autre hadith, le Prophète (que la Paix d’Allah et Son Salut soient sur lui) fit ce discours aux femmes :

« Ô femmes! Faites l’aumône des biens et ornements qui vous sont chers, car je vous ai vu former la majorité des réprouvés de l’Enfer».
Les femmes demandèrent : « Et pourquoi cela,
ô Envoyé d’Allah? »

« Parce que vous vous plaignez beaucoup et que
vous êtes ingrates envers vos époux.»
répondit-il. (Rapporté par Al- Bukharî, Iydayn 7).

Et dans une autre version:

Selon Ibn ‘Umar, le Prophète a dit: « O femmes! Faites l’aumône et demandez beaucoup à Dieu de vous absoudre car je vous ai vues (en rêve) formant la majorité des habitants de l’Enfer». L’une des assistantes lui dit: «Pourquoi formons-nous la majorité des habitants de l’Enfer?». Il dit: «Vous maudissez trop souvent et vous ne reconnaissez pas les bienfaits de votre mari.» (Version Riyad as-Sâlihin).

L’être humain – homme ou femme – doit se maîtriser dans toutes ses affaires et actions; se parfumer avec les arômes du Coran ; s’approprier l’éthique que détenait le Prophète (sur lui la Paix d’Allah et Son salut); se souvenir de la mort à chaque souffle ; méditer sur la peur de la tombe et sur la violence, la terreur de l’apocalypse, afin de se préparer au Jugement d’Allah le Très Haut.

«Mes chers enfants, les véritables prodiges sont ces principes que je viens de citer, lorsqu’ils sont pleinement vécus et qu’ils réforment l’être humain en un serviteur d’Allah soumis et sincère. Qu’Allah nous facilite et nous vienne tous en aide.

Allez donc transmettre mes salutations à votre Maître, ô jolis rossignols du Coran. Qu’Allah accroît vos bonnes habitudes. Assalamu aleykum.»

Loin d’imaginer au prodige,

quand tu embrasses la main d’un cheikh.

Et par écouter ses sagesses,

délaisser tout autre que Lui.[10]

[1] « aqīdah» : Fondements de la croyance religieuse en Islam. Équivalent de «credo » dans le langage théologique judéo-chrétien.

[2] « saint »: serviteur totalement soumis à Lui ; ami proche d’Allah.

[3] Dans la langue turque, les diminutifs faisant référence au père, à la mère, à la grand-mère… et qui précèdent le prénom de la personne, sont très fréquents et dénotent du respect et de l’attachement que l’on donne à notre interlocuteur ou à la personne que l’on évoque lors d’une discussion. (NDT).

[4] Pamukova est une ville située au nord-ouest de la Turquie, dans la région de Marmara. (NDT).

[5]  En Islam, il est fortement recommandé de réciter la sourate al-Fatiha (première sourate du Saint Coran) pour l’âme de tout frère ou sœur décédé. (NDT).

[6] « âme Sultane » : c.-à-d. ici une âme anoblie et purifiée, résultat de l’éducation effectuée par le croyant(e) sur ses passions et désirs charnels (via) l’application des volontés d’Allah, en matière d’obligations religieuses et d’interdits. L’auteur évoque entre autres, le bon comportement, la pudeur, la prière, les ablutions etc. (NDT).

[7] « personnes que je pouvais légalement marier » (na-mahram) : c.-à-d. tout homme en dehors du grand-père, du père, du frère, du fils, du petit-fils, de l’homme impubère (l’enfant) etc.

[8] Haroun ar-Rachid : le cinquième Calife de l’empire Abbasside (763-809, calendrier grégorien). (NDT).

[9] « comme un gaz pour l’ennemi » : Figure de style (comparaison, métaphore) dans laquelle le «gaz» renvoie à un moyen et «le combat de l’ennemi » à une fin. Tels nos efforts déployés (moyens) dans la lutte contre notre ego (fin), ou les bonnes actions effectuées (moyens) dans la recherche de l’agrément d’Allah (fin). L’auteur ayant laissé à chaque lecteur la liberté d’interprétation (NDT).

[10] « tout autre que Lui (Allah)»: traduction du terme arabe «mâ-siwâ».  En langage soufi, «mâ-siwâ» désigne «tout ce qui est autre qu’Allah». «Terk-i mâ-siwa» désigne quant à lui, «l’abandon de tout ce qui est autre que Lui» ou plus précisément «rompre tout intérêt avec tout ce qui est autre que Lui», Ferit Devellioğlu, Osmanlıca-Türkçe ansiklopedik Lûgat, 2001, p.583, Aydin Kitabevi.
À ce sujet: «Il existe deux formes d’amour: métaphorique et véritable. L’amour, la dépendance et la dévotion à tout autre chose ou créature dans l’univers »autre que Dieu » (ma siwa Allah) est considéré comme la forme métaphorique, tandis que l’amour exprimé envers le Seigneur de l’univers et l’inclination vers Lui est considéré comme la forme véritable.» Osman Nûri Topbas, Le secret de l’amour divin, 2010, p.17, Erkam éditions. (NDT).

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