Quelle jeunesse voulons-nous?

Mar 12, 2019 par

 Ahmet Taşgetiren

Il est courant d’entendre que l’homme contemporain a un « problème » avec sa jeunesse.

Que chaque père et mère a un « problème » avec son enfant.

Si j’avais à dessiner sans retenue le profil du « jeune » et à reprendre les descriptions formulées par les parents, quelle image en ressortirait-il ?

Un consommateur de drogue ?

Un jeune qui a dérivé dans la violence ?

Un jeune qui s’en prend àson concitoyen dans la rue, prétendant s’amuser ?

Un jeune qui vole le sac des vieilles femmes ?

Un jeune en échec scolaire ?

Un menteur ?

Un drogué aux jeux d’argent ?

Un habitué des sites pornographiques ?

Un jeune qui finit par assassiner sa petite amie ?

Un jeune qui s’amuse en torturant les chats ?

Un perturbateur qui dérange ses camarades de classe ?

Un membre d’un gang ?

Cependant, qui aimerait avoir de tels enfants, des jeunes que tout le monde critique ?

Qui aimerait que ces enfants tombent dans un tel cercle vicieux, par le biais de l’école, de la rue oueds moyens de communication ?

Personne. J’en suis sûr.

Les parents du monde entier partageraient ce refus. Aucun parent ne voudrait que leurs enfants soient concernés de près ou de loin à de pareils soucis.

Dès lors, je pourrais leur poser la question suivante :

« Quelles valeurs cet enfant dit « à problèmes » possède-t-il ? »

Ou plutôt la question inverse, « quelles valeurs l’enfant dit « bien élevé » devrait-il posséder ? »

Je suis conscient que ce sujet fait grand débat. Il renvoie en effet directement à la nature de l’éducation de l’enfant et au rôle joué par l’État (notamment par le biais de l’école).

En Turquie, cette question fait particulièrement écho à la relation entre l’État et l’éducation religieuse, à l’intégration de principes laïcs par l’État et à la définition de cette laïcité, souvent interprétée comme une barrière infranchissable entre la religion et l’État.

L’ÉTAT EST-IL PRIVÉ DE VALEUR ?

La première question qui convient de poser ici est la suivante :

« L’État laïc est-il neutre ? En d’autres termes, l’État laïc s’isole-t-il de l’influence de toute religion, de toute pensée philosophique ou de tout système de pensée, quelle qu’elle soit ? »

À vrai dire, tout corps politique promeut par nature une définition propre de l’humanité. Il en est de même pour l’État laïc ou l’État démocratique. Par exemple, il est aujourd’hui courant d’entendre parler de « valeurs universelles ». Nous pouvons ainsi citer le Pacte des droits de l’enfant, le Pacte des droits de la femme, le Pacte des droits de l’homme, les accords internationaux sur la protection de l’environnement, les accords sur la protection des animaux etc.

Si de telles valeurs existent, j’en viens donc à poser ces deux autres questions :

« Qui définit le contenu de ces valeurs universelles ? Ces valeurs sont-elles totalement étrangères aux principes religieux ? »

En effet, s’il est clair que la laïcité et la démocratie ne peuvent se réclamer d’une parfaite neutralité, il convient d’admettre qu’elles produisent des valeurs. Ces dernières prennent d’ailleurs part à la formation de nos enfants, ne serait-ce qu’à travers les opinions véhiculées par les professeurs ou par les acteurs politiques.

D’où l’ineptie d’exiger de l’État qu’il n’intervienne pas dans l’éducation de nos enfants.

Cependant, cela ne signifie pas que l’État façonne entièrement la personnalité de nos enfants, d’autant plus au sein de sociétés multiculturelles où différentes convictions et croyances coexistent

À ce sujet, nous avons deux remarques à faire :

Premièrement, un tel « modelage » idéologique apparaît impossible à notre époque. Les technologies de la communication sont tellement répandues qu’il serait inconcevable d’enfermer la population dans une idéologie close.

Deuxièmement, ce type de propagande imposé par l’État reçoit généralement une forte réprobation de la part de la société. C’est l’expérience que fut la République Turque qui ne parvint pas à imposer sa vision laïque et positiviste à son peuple malgré des années d’oppression. De la même façon, l’État iranien n’est pas parvenu à imposer un tel formatage. Lors de ma visite dans le pays en 1994, j’ai demandé si 15 ans après la Révolution les idéaux révolutionnaires islamiques avaient été intériorisés ou non par les nouvelles générations. La réponse fut négative.

CE QUE PEUT ATTENDRE UN HOMME PIEUX DE L’ÉTAT

L’angoisse dans laquelle se trouvent les êtres humains quant à l’éducation de leurs enfants est une réalité, alors que dire des hommes pieux. Le devenir de l’enfant est une inquiétude récurrente et commune à tous les parents. Le cœur pressé, beaucoup d’entre eux se plaignent de l’environnement scolaire, de l’ambiance de la rue, des cybercafés et de la télévision, avec un même son de cloche : « Je perds le contrôle de mes enfants ».

Face à cette angoisse, ils attendent des réponses de la part des leaders politiques et de l’Etat. Ainsi, parmi les demandes formulées actuellement en Turquie, se trouve l’inscription de l’enseignement des valeurs spirituelles et de la santé de l’âme de l’enfant dans la Constitution ainsi que dans le Milli Eğitim Temel Kanunu[1].

Il est vrai que pour les personnes pieuses, le désir de pouvoir éduquer une jeunesse musulmane est une demande à la fois naturelle et de grande importance.

Ainsi, l’espoir exprimé par le poète turc Mehmet Akif dans son Asım’ınNesli(« La génération de la droiture », 1924) est toujours d’actualité[2]. Quand il déclare : « Sa piété (du peuple turc) n’a pas été salie et elle ne le sera pas » (« İşteçiğnetmedinamusunu, çiğnetmiyecek. »), il promeut en fait sa conception de la jeunesse idéale, à l’avant-garde de la nouvelle Turquie[3]. Le poème Asım’ınNesli fut en effet écrit comme une réponse à ce que l’auteur percevait comme l’érosion de la société ottomane (et de son identité).

C’est exactement le même but auquel aspire le poète Necip Fazıl dans son İslam İdeolocyasınıözümsemiş bir gençlik (« Une jeunesse qui a assimilé la philosophie de l’Islam »).

Ici, l’auteur conçoit la responsabilité de l’éducation spirituelle comme un « dépôt d’Allah » que les parents doivent transmettre aux enfants.

Ainsi, quelle que soit l’époque, la principale épreuve du musulman a toujours été d’éduquer son enfant loin de l’influence du Shaytan.

LES VALEURS LAÏQUES SONT-ELLES VIDES DE SENS ?

L’identité des enfants musulmans, leur caractère, devrait refléter les efforts déployés par leurs parents.

Cependant, l’État joue aussi un rôle important dans la formation du caractère de l’enfant bien qu’il ne partage pas la même estime à l’égard de l’éducation islamique.

Le principe de laïcité promu par l’État turc apparaît en effet comme un moyen d’éloigner les nouvelles générations de l’Islam.

Selon les points de vue, la laïcité est soit perçue comme le promoteur de valeurs vides de sens, soit comme un moyen d’élever la conscience humaine aux idées positivistes (ou matérialistes).

Ce conflit, qui a été imposée à la société turque dès le début du XXe siècle, perdure de nos jours.

De fait, ce conflit reflète aujourd’hui la crise que traverse la jeunesse, tourmentée entre la perte de valeurs et l’éloignement de la religion. Plus généralement, elle souligne la décomposition de la société, telle que relayée dans la tribune « faits divers » de nos journaux et bulletins d’information.

Pendant ce temps, la demande populaire en faveur de l’amélioration du système scolaire se fait de plus en plus entendre.

Dans un pays comme la Turquie, où le système scolaire touche plus de 10 millions d’enfants et de jeunes, se poser la question de la « qualité de l’homme » revient à s’interroger sur « l’avenir du pays ».

Or, il n’est pas acceptable que nos enfants soient détournés des valeurs spirituelles par un système éducatif étatique imposé à tous, alors même que le caractère de l’enfant ressort du privé. Nous savons d’ailleurs que la formation de sa personnalité intervient dès la période de la grossesse, dans l’intimité du ventre de la mère.

C’est la raison pour laquelle la société turque n’a eu de cesse de contester cette imposition de valeurs, qu’elle jugeait négative.

C’est la raison pour laquelle l’État devrait faire toujours plus d’efforts afin de promouvoir les valeurs positives de la spiritualité et par ce biais, devenir un leader mondial dans le domaine.

Quand la « jeunesse » est en jeu, le dernier mot devrait revenir aux parents.

L’éducation représente en effet la plus grande responsabilité (amana) des parents. C’est à eux de saisir l’importance de la spiritualité et transmettre la direction de la qibla à leurs enfants. Si la compassion et le contenu du cœur de l’enfant sont remis en cause, c’est naturellement vers les parents que nous nous retournons ; c’est la qualité du foyer familial en tant que lieu d’apprentissage que nous interrogeons en premier lieu.

QUELLE JEUNESSE VOULONS-NOUS ?

En tant que musulman, la réponse est évidemment une jeunesse bercée par l’Islam.

Une jeunesse qui, à l’image du grain de blé rendant joie à l’agriculteur, soit source de bonheur pour les parents. Une jeunesse qui de sa proximité au Moushab (Coran) en reflète la beauté. Une jeunesse qui suscite la satisfaction d’Allah et qui rappelle la splendeur du Messager (ﷺ) …

Une jeunesse qui s’approprie les vertus de l’humanité et qui, pleine de miséricorde, saisit le sens de la vie.

Une jeunesse qui soit source d’élixir et de guérison pour les maux de l’homme contemporain.

Un nouveau souffle, un nouvel esprit, une nouvelle contribution.

La jeunesse musulmane doit incarner l’annonce d’un rêve béni, à l’échelle de la société, du continent voire de l’humanité.

Cette espérance n’est autre qu’un cri du cœur, qu’elle soit relayée ou non par des programmes politiques, qu’elle soit épousée ou non par l’État laïc, qu’elle reçoive ou non une réponse positive de la part des grands puissants de ce monde.

Allah nous a fait don de la jeunesse et de Sa prière… Qui pourrait bien freiner la rencontre de ces deux bienfaits ?

[1]Principale source du droit turc en matière d’enseignement.

[2]Mehmet Akif Ersoy (1873-1936) est notamment l’auteur de l’hymne national turc İstiklal Marşı.

[3]Ce poème apparaît seulement un an après la proclamation de la République Turque (1923) marquant la fin de 600 ans de règne de l’Empire (Califat musulman) Ottoman.

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