L’islam serait-il la nouvelle religion de l’Amérique ?

Mar 13, 2019 par

Mehmet Lütfi Arslan

En Amérique, la liberté religieuse est plus avancée que dans n’importe quel autre pays du monde. La position neutre de l’État envers les croyants est aussi liée au rôle joué par la vision de la société à l’égard de la religion. Peut-être est-elle la société la plus matérialiste du monde, elle est en même temps l’une des sociétés les plus religieuses qui soit. D’un côté le taux de fréquentation dans les églises où le volume élevé des dons versés aux organismes de bienfaisance est devenu véritablement un secteur industriel, d’un autre côté le tableau réalisé à chaque occasion par les recherches publiques montre à quel point la religion joue un rôle important dans la vie des Américains. Cela pour deux raisons. L’approche de l’État à la religion et aux croyants n’est pas négative. Nul n’y voit sa carrière, son travail ou tout traitement bloqué en raison de son identité ou de sa pensée religieuse. En d’autres termes l’État n’a pas, comme en Turquie, une fonction négative apte à briser les liens de la vie avec la religion. Et si tel était le cas, nul n’aurait le souci de s’afficher croyant ; au contraire être croyant (ou bien autrement dit être religieux) est comme un droit d’humanité qui légitime la possibilité de revendiquer des droits différents.

La structure plurireligieuse et multiculturaliste constitue la deuxième raison. La société américaine est une société qui tire sa force des différences. Comme l’a dit un Américain : « Dans cette société disposant d’une « culture nomade moderne indispensable à la survie de la tolérance et de l’égalité », démarrer sur les bases de la différence est en réalité le chemin le plus sain pour tout le monde. »

Noam Chomsky : « plus conservatrice que l’Iran »

 

Le respect envers chaque religion dans cette mosaïque de différentes religions peut laisser percevoir par conséquent l’aspect évolutif des libertés religieuses, mais il faut noter que la religiosité de la société américaine porte un sens plus profond. Selon des recherches effectuées, 94% des Américains croient en Dieu ou en un Être suprême qu’ils nomment de différentes façons. 66% croient que la religion est en mesure de trouver la solution à tous les problèmes contemporains, du moins à la majorité d’entre eux. Les 33% restant ont vécu au minimum une fois dans leur vie une expérience spirituelle dans laquelle ils ont donné de l’importance aux croyances religieuses[1]. Qui plus est, il y a des gens qui commentent de différentes façons le fait que la religion occupe une place importante. Selon le linguiste Noam Chomsky, l’Amérique est plus conservatrice que l’Iran. Certes, quand Chomsky, adoptant la métaphore, utilise l’affirmation selon laquelle la population est exploitée par de grands hommes d’affaires ou des politiciens qui utilisent un langage à connotation religieuse, il ne s’arrête pas à cela ; la suite de ses propos est impressionnante : « Quelles sont les idées considérées comme les plus éclairantes, les plus vertueuses ? C’est indubitablement aller à l’église, écouter les sermons, faire tout ce qui y est dit et se taire.[2] » Même si cela ne plait pas à Chomsky, c’est exactement ce que font près de 50% des croyants américains qui fréquentent les églises. Et c’est pour cette raison qu’il est nécessaire de prendre au sérieux l’aspect religieux de cette société.

Parce que c’est le matérialisme…

Comment se fait-il que des gens aussi religieux puissent constituer en même temps la société la plus matérialiste du monde ? Cela peut paraître étrange, mais on trouve toujours dans ladite société un motif religieux qui repose sur le concept de « morale puritaine ». Weber a utilisé ce concept quand il expliquait le fait que le protestantisme et devenu la manivelle du capitalisme. Travailler selon la conception selon laquelle les règles rigides du travail et la nette distinction de séparation entre vie privée et vie publique dont dispose la société américaine sont un moyen sûr pour parvenir à la satisfaction de Dieu. Bien plus, il s’agit là de la seule source de dignité et la seule mesure pour accomplir tout acte responsable. Cette conception qui a profondément influencé les premiers Américains a vêtu la vie des générations qui ont suivi, à savoir des travailleurs au service du capitalisme isolés de leurs racines religieuses. De même, quand les Américains se présentent aux autres, ils font généralement référence à ce concept.

Un preneur pour chaque marchandise…

Dans cette société où le matérialisme possède des références religieuses, les institutions et les courants religieux sont très dynamiques en leur état. Dans la mesure où chaque croyance s’octroie à la fois une zone d’action et un partenaire, cette vitalité ne se limite pas seulement aux institutions de l’église classique. Employant une expression plus juste, nous dirions que la vision religieuse de la société américaine est active au point que les doctrines de l’église ne peuvent y pénétrer. Si le terme est religieusement acceptable, il s’agit d’un marché si dynamique qu’à chaque fois toute marchandise trouve preneur. Surtout les vendeurs qui tout d’abord se rassurent quant à la priorité de leurs clients et stylisent la marchandise en fonction de ce paramètre, ceux-ci s’avèrent très populaires. Le meilleur exemple de cette réalité, c’est la popularité que le courant New Age s’est construit. Dans un style selon lequel sa doctrine convient parfaitement à l’individualisme et prenant en compte le résultat de recherches effectuées sur l’ensemble de toutes les croyances orthodoxes en fonction de leurs diversités, le courant New Age est devenu la troisième croyance du pays avec un pourcentage de 20%. Sans doute qu’il y a derrière cette réalité la part de l’insatisfaction des doctrines religieuses, en l’occurrence celles des églises, et des attentes d’une société marquée par des changements réévalués et des standards élevés. C’est pourquoi la multiplication des appels aux différentes croyances dans cette société n’est pas chose inconcevable.

L’islam : la nouvelle religion de l’Amérique

Voici donc que l’analyse d’un écrivain américain, Michael Wolfe, est tout à fait intéressante. Selon son opinion, les valeurs fondamentales et attentes que les Américains cherchent de nos jours, ils peuvent les trouver dans cet islam qui progresse de façon spectaculaire. Avec son potentiel et ce qu’il promeut, l’islam devrait être la future nouvelle religion du pays. Selon cet écrivain qui est parvenu à ce résultat en ayant comparé les valeurs fondamentales de la société américaine avec les règles générales de l’islam, tenant compte du fait que chaque américain eût examiné l’islam en dépassant ses préjugés généraux, il a trouvé que l’islam n’a rien de différent par rapport aux valeurs américaines actuelles. L’écrivain avance sept raisons à cela :

  • L’islam croit en un Dieu unique : les musulmans croient en un Dieu unique comme les juifs et les chrétiens et parce que cette religion fait partie de la tradition d’Abraham.
  • L’islam est démocratique dans son essence. Il défend le droit de vote, d’exercer une profession et donne droit à l’éducation. Le Coran envisage un consensus entre les croyants. Il n’y a pas de clergé au sein des mosquées. Chacun est responsable de son sort et est égal aux yeux de Dieu. En considérant les régimes du Moyen-Orient, on est en droit d’émettre des réserves à propos de cette essence, car ces régimes ne reposent pas sur des principes islamiques mais plutôt sur l’économie et l’exploitation universelle.
  • L’islam dispose d’une belle tradition mystique. La mystique est la recherche individuelle de Dieu. Si ce n’est pas dans des contrées telles que l’Amérique où regorgent tant de « chercheurs mystiques » ou autres « individualistes », où donc cette harmonie pourrait-elle être convenablement réalisée ? Ou bien parmi les enseignements de la tradition mystique, laquelle a représenté l’islam durant des siècles ? Qui a bien pu en bénéficier plus que les Américains ? Cela peut paraître étrange, mais en Amérique le poète dont les poèmes sont les plus lus est Mawlânâ Jalâl al-dîn Rûmî, celui qui a unifié avec succès et à coup de métaphores lumineuses la recherche de Dieu à travers des réalités physiques et dont on continue de parler huit siècles après.
  • L’islam, c’est l’égalitarisme. De New York jusqu’en Californie, les lieux cultuels, semblables les uns aux autres, ayant les mêmes services adoratifs, appartiennent aux musulmans. « Une nation unique sous le regard de Dieu » : maxime que les Américains utilisent pour se présenter, ou celle d’Abraham Lincoln lors de son discours de Gettysburg, « tous les hommes ont été créés égaux », constituent des propos qui ont la même base que la pensée islamique.
  • L’islam encourage cette nouvelle formule de régime alimentaire destinée aux Américains et qui repose sur la simplicité des mets quotidiens et le réductionnisme alimentaire. Le ramadan est admiré par un très grand nombre d’Américains qui, telle une discipline alimentaire, envisagent même de le pratiquer discrètement. D’autre part, le concept de viande halal (licite) est une pratique extrêmement saine et conforme aux principes relatifs aux provisions organiques qui alimentent en ce moment les débats.
  • L’islam est tolérant envers les autres religions. Durant la période médinoise, chrétiens, juifs et sabéens vécurent ensemble en paix. De nos jours, malgré les tensions existantes entre juifs et musulmans, chacune des deux religions se réclame de la tradition d’Abraham. En Amérique, les partisans des deux religions se côtoient davantage. Dans les universités existe un rapprochement entre les étudiants appartenant au judaïsme et à l’islam, des responsables planifiant même des repas en commun. Cela peut paraître étonnant, mais le premier magasin commun « halal-casher » est sur le point d’être inauguré.
  • La religion musulmane défend la liberté. Le Prophète Muhammad () a fui l’oppression exercée à La Mecque pour se réfugier à Médine. Là, il forma une nouvelle société. C’est la raison pour laquelle il n’est pas étonnant de voir de nos jours « des musulmans qui trouvent refuge dans des pays à cause des pressions religieuses.

La femme et le jihad

L’écrivain qui avance que ces sept particularités traduisent un synchronisme profond entre l’islam et l’Amérique pense néanmoins que le sujet de la femme et du jihad est mal compris. Selon lui, le jihad, c’est l’activisme qu’exercent les musulmans afin de bâtir un monde juste souhaité par Dieu. S’agissant de la femme, il avance que le Prophète Muhammad (), au cours de sa révolution, engagea une réforme qui eut pour effet d’augmenter son statut. En référence à cela, le Coran a accordé des droits à la femme en matière de mariage et de propriété. Durant les premiers temps de l’islam, les femmes ont pu bénéficier d’actes de propriété et exercer un métier (il est encore possible de voir cela dans les interprétations contemporaines). Actuellement, en Iran, le nombre de femmes poursuivant des études universitaires dépasse largement celui des hommes. Lors des dernières élections, cinq mille femmes entrèrent en compétition pour pourvoir différents postes dans le pays.

Correction

En vérité, ces réflexions indéniables, audibles, mais ne présentant qu’une partie de la vérité décrite par l’écrivain, facilitent avant tout la compréhension de savoir sur quelle base est fondée la société américaine en général et la vie religieuse en particulier. Et bien pourquoi cette société est-elle naturellement triomphaliste ? Parce qu’en observant les actions attentionnées, enthousiastes et calculées des 50% de musulmans américains, il est possible de fonder un espoir sur les attentes postulées par l’écrivain. D’autre part, ces réflexions qui se présentent comme une projection futuriste et angélique ont été programmées dans leur majeure partie en tant que projection future. Autrement dit, ces réflexions sont condamnées comme étant des idées mal intentionnées visant à influencer le présent. Cependant il parait plus juste de ne pas avoir trop recours à cette thèse. Malgré la propagande et la manipulation de médias défavorables, pourquoi doit-on mal interpréter le fait qu’un Américain sain d’esprit, au nom de son pays ou de l’avenir de sa société, espère une chose liée à l’islam ? Alors que l’islam est la seule voie de salut que Dieu a trouvée digne pour l’être humain, comment peut-on penser autrement ?

Force est de constater que nous partageons les idées de l’écrivain, mais en y ajoutant une correction : ce n’est pas seulement pour l’Amérique, mais pour l’avenir de tout individu ou de tout peuple désireux d’un retour au but de sa création que l’islam est apparu.

[1] Craig Hamilton, « The New American Spirituality », What is Enlightenment; Fall/Winter 2000, sh. 24.

[2] Noam Chomsky, « Propaganda and Public Mind », Prevailing Winds, September-December 2000, sh. 41.

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