L’espace de vie dans la société islamique

Mar 13, 2019 par

Mustafa Eren

À l’époque du Prophète Muhammad (pbsl), il était remarquable de constater que toutes sortes d’activités à caractère social se concentraient dans les mosquées et qu’à ce titre les fonctions de la mosquée étaient extrêmement étendues. Comme ces fonctions formaient un ensemble et étaient liées entre elles, nous allons tenter de les analyser par catégorie.

  1. Les fonctions de l’État

L’islam par nature forme un ensemble indivisible avec la religion et la gouvernance. Ces deux domaines ont l’imam pour autorité et se rejoignent dans le même bâtiment (la mosquée).

Selon cette logique de séparation du pouvoir développée depuis quelques siècles, les fonctions de l’État dans le système islamique, même formées de législatif, d’exécutif et de judiciaire à ses débuts, il était question de l’union des pouvoirs. Rajoutées aux trois domaines susmentionnés, des fonctions liées à la finance et au contrôle étaient également en œuvre. En outre, la survie de la religion ainsi que le prêche aux non-musulmans faisaient partie des fonctions de l’État.

1a. Le pouvoir législatif

Le Coran, première source de l’islam, était graduellement révélé dans la mosquée où les versets y étaient également détaillés par le prophète lui-même (pbsl). À ce sujet, l’événement relatif au changement de qibla (direction) dans la mosquée qui eut lieu en pleine prière reste un exemple illustratif. Alors que tous se trouvaient dans l’impasse, le verset révélé à ce moment-là (al-Baqara, 2/144) constitua une direction et un indicateur pour le Prophète (pbsl) et sa communauté. Dans ses prêches, le Messager de Dieu (pbsl) mettait de l’ordre dans la vie sociale de sa communauté.

1b. Le pouvoir exécutif

L’administration de l’État islamique autour des principes d’équité, à savoir les négociations politiques et les débats d’exercice se faisait à la mosquée. Celle-ci devenait alors un espace réservé aux activités politiques et religieuses.

Le bay’at, à la fois processus d’élection et acte d’allégeance d’origine purement islamique, a connu son application à la mosquée. Quand Abû Bakr (que Dieu l’agrée) eut prononcé son prêche (khutba) et que des vœux de fidélité lui furent adressés subséquemment, il prit à ce titre la tête de l’administration. Le bay’at fut également pris de la même manière à l’époque de ‘Umar et de ‘Uthman (que Dieu les agrée tous deux). Le conseil de guerre siégeait dans la mosquée ; des décisions y étaient prises et publiées. Le fait que la mosquée fût l’espace (ou le centre) du culte et de l’administration des affaires publiques entraîna les responsables musulmans à bâtir immédiatement des mosquées dans les lieux qu’ils conquéraient. Durant le règne des Omeyyades, les débats et les importantes décisions se tenaient et se prenaient dans les mosquées.

1c. Le pouvoir judiciaire

Sa’d 38/26, verset révélé alors que le Prophète (pbsl) était toujours présent à La Mecque, avait formé le noyau de l’organisation judiciaire de l’islam. Néanmoins l’arrangement légal et étatique du mécanisme judiciaire des désaccords n’était possible qu’avec l’autorité d’un État puissant alors qu’à La Mecque l’islam n’avait pas encore connu une dimension étatique structuré. Le Prophète (pbsl) formait les cadres et le personnel tandis que l’Hégire fut à l’origine de l’instauration de l’État islamique avec toute son organisation administrative.

Le Prophète (pbsl) réglait à la mosquée la plupart des procès qui lui parvenaient. Qasanî Mergina Tarablusî et Ibn Maja Khulafa Rachid tâchaient d’inscrire les procès qui se déroulaient au sein de la mosquée et tenus en leur présence.

  1. Le service adoratif

La mosquée présente également d’importantes fonctions du point de vue de la nature du lieu où se pratique le service adoratif (ou cultuel). Le mot « mosquée » (arabe masjid) exprime la notion de « lieu » ou « d’emplacement » propice à la pratique de la prosternation (soujoud). Ce mot est utilisé dans le Coran pour désigner particulièrement la Masjid al-Haram[1].

Dans le récit relatif aux Compagnons de la Grotte (Ashab al-Kahf), le mot masjid désigne un mausolée sacré.

Masjid, étymologiquement parlant, est le temple ouvert à tout le monde, aux musulmans comme aux non-musulmans ; traditionnellement, c’est le nom que l’on donne au lieu de culte des musulmans. Le rassemblement des grandes masses humaines (le vendredi et les jours de fête) se nomme « jama’a » ou bien « musalla » pour les endroits extérieurs.

Durant les dix derniers jours de Ramadan, le Messager de Dieu (pbsl) pratiquait la retraite pieuse (ihtikaf). Il s’agit d’une pratique religieuse conseillé aux hommes et effectuée à la mosquée. Étant donné que le Prophète (pbsl) n’a jamais effectué cette pratique autre part qu’à la mosquée, cette indication est sans conteste un signe attestant que l’ihtikaf, en tant que pratique religieuse, ne doit pas se faire chez soi.

La lecture du Coran et l’évocation de Dieu (dhikr) effectuées à la mosquée demeurent les plus beaux actes d’adoration.

  1. Les aides sociales

Le soutien mutuel et la solidarité des fidèles se déroulent à la mosquée. Une partie de la zakat et des aumônes (sadaqa) y est déposée dans des coffres appelés « Bayt al-mal ».

Plus tard, des magasins furent bâtis autour des mosquées et attribués gratuitement aux ouvriers pauvres afin que, s’occupant d’œuvres artistiques, puissent ajuster leur situation économique.

Près de la mosquée qu’avait bâtir Ibn Tolun au Caire se trouvait un hôpital doté d’une pharmacie. Le médecin y consultait ses patients tous les vendredis. De même, tout près d’une certaine mosquée bâtie par les dirigeants de l’État turc, on pouvait constater la présence d’un centre de cure thermale, un asile d’aliénés et un endroit où était servie la soupe populaire. En outre, des aides alimentaires y étaient distribuées.

  1. La fonction d’orientation religieuse et éducationnelle

La diffusion d’informations relatives à l’actualité faisait partie des fonctions de la mosquée. Une fois, le Messager de Dieu (pbsl) fit la khotba du matin jusqu’au soir et à cette occasion diffusa des enseignements en rapport avec les évènements qui auront lieu jusqu’à la fin des temps.

  1. Le mariage

C’est à la mosquée que le Messager de Dieu (pbsl) célébra le mariage de sa fille Fatima avec ‘Ali. À cet effet, il y convia le peuple par l’intermédiaire de Bilal et fit la lecture de la houtba en étant tout debout quand le masdjid de son extérieur à son intérieur débordait des compagnons. De même, il abrogeait également le mariage à titre exceptionnel au masdjid par voie de « Lian ».

  1. Les fêtes

Les fêtes étaient célébrées d’ordinaire à la mosquée.

  1. Les lieux de détention

À l’époque du Messager de Dieu (pbsl) et des quatre califes bien-guidés, il n’y eut guère de lieux de détention particuliers ; en revanche, la mosquée a joué ce rôle. En effet, le Messager de Dieu (pbsl) y avait attaché au mur un certain Susama ibn Usal qui était accusé de meurtre. De même, une certaine Suffina bint Hatem, de la tribu Yay, fut placée en garde à vue dans l’espace réservé aux femmes.

  1. Un lieu d’accueil pour les visiteurs

Quand une femme devenait musulmane, elle était hébergée dans un pavillon à l’intérieur de la mosquée et c’est ainsi que cela se passait avec la communauté Ukl lorsqu’elle devenait musulmane pour la première fois. Au sein de la mosquée étaient organisés des repas ; des poèmes y étaient récités (dans le cadre de l’islam), des causeries et des compétitions littéraires y étaient également proposées.

De la même manière, à toutes les personnes qui ne disposaient pas de lieux où s’abriter ou bien même celles qui en avaient un, permission leur était donnée d’y faire la sieste. D’ailleurs, il n’y avait aucun problème à ce que les sans-abris puissent rester permanemment à l’intérieur de la mosquée.

  1. Les travaux éducationnels

À côté de la mosquée se trouvait originellement la souffa ou les élèves célibataires y apprenaient le Coran, à lire et à écrire et recevaient les enseignements relatifs à la Tradition prophétique, jusqu’à prendre toutes les potentialités d’une université.

La souffa est un lieu ayant l’aspect à la fois de terrasse et de muraille dont le haut est couvert et les côtés ouverts. C’était un lieu où étaient regroupées des personnes provenant de divers coins d’Arabie et qui étaient venues à Médine pour motif religieux. En un mot, c’était un asile pour réfugiés. Ces hommes et ces femmes se consacraient à l’éducation coranique et aux actes d’adoration la nuit et suivaient le Messager de Dieu (pbsl) comme une ombre la journée. C’est ainsi qu’ils menaient leur vie. Afin d’éviter de tomber dans la paresse, ils travaillaient de façon à subvenir à leurs besoins les plus nécessaires. Les combattants de la foi qui attendent de l’ordre pour ces guerres collectives dont l’inspiration et le savoir proviennent du prophète, furent des enseignants formés pour envoyer à enseigner l’islam.

Pendant que les Muhajirrun (Immigrés) s’occupaient du commerce et les Ansar de l’agriculture, les riches venaient aussi en aide aux Ashab al-Suffa qui seulement ne s’intéressaient qu’au savoir et aux adorations, le Messager de Dieu (pbsl) faisant personnellement préparer leur repas. Des noms tels qu’Abû Hurayra, Ibn Mas’ud, ibn ‘Umar, Bilal, Handhala, Abû Dharr, Suhayb, Salman, Sa’d ibn Abi Waqqas sont connus de la communauté suffa. Ces élus, atteignant le nombre de quatre cents individus, ainsi que ceux qui se mariaient hors de la communauté (souffa) restaient obligatoirement hors cadre.

En effet, le verset (Bakara II/273) qui explique les devoirs et les modes de vie des anges déclare que ces derniers ne désirent pas le bonheur chez qui que ce soit en cas de besoins. (Il n’est pas question des anges dans le verset coranique mentionné !)

Encore dans le même sens, il est sans inconvénient de concevoir que dans les masdjid construits à Médine par la suite et dont le nombre était 10 au temps du prophète, des enseignements ont été faits.

Par la suite, en plus de contours de Basra, Kufe et de Damas, lors de la fondation   de la ville de Médine Achab Souffa a joué un rôle très important.

Depuis l’avènement de l’islam, le modèle Temple-école a continué jusqu’à la période des Omeyyades ainsi que celle des Abbassides. Et bien que les établissements d’enseignement fussent orientés vers d’autres structures, cette démarche se poursuivit les siècles qui ont suivi.

Dans les mosquées où les activités éducationnelles étaient intensives, l’on constatait régulièrement la présence de bibliothèques, mais en aucun cas cette présence relevait d’une pratique obligatoirement requise.

La mosquée qui répond à tous les besoins de l’existence grâce à toutes ses unités de service était en tout point semblable à une cité annexe (koulliyya). Seul le chef de l’État ou les gouverneurs avaient le droit de diriger cette cité. Le leader était désigné par le chef de l’État en fonction de son niveau spirituel.

Le Messager de Dieu (pbsl), quant à lui, n’eut pas à construire des bâtiments séparés pour la réalisation de toutes ses activités, ayant tout centralisé à la mosquée. De là, on aperçoit qu’il tenta d’expliquer à sa communauté que la religion et les mondes forment un ensemble inséparable.

Changements et évolutions dans les fonctions

 

  1. Dans le domaine administratif et judiciaire

 

‘Umar (que Dieu l’agrée) avait fait construire un bâtiment du nom de « Rahaba » ou « Batiha » juste à côté de la mosquée. Les historiens parlent régulièrement du palais de justice (daru’l kaza) établi à l’époque du calife ‘Uthman. Le calife Omeyyade, afin de contrôler les procès à Muawiya, a fait construire un bâtiment. Comme c’était le système de l’union des pouvoirs qui dominait dans l’État à cette époque, la gestion des travaux administratifs demeurait également inévitable.

Alors que la majorité des Hanafites et des Malikites disent qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que la mosquée fasse office de tribunal, les Chafiites quant à eux partagent le point de vue que les femmes en état de menstruation et les idolâtres ne peuvent en aucun cas pénétrer à l’intérieur de la mosquée, donc anormal qu’elle fasse office de salle de tribunal. C’est d’ailleurs pour cette raison que ‘Umar ibn Abdulaziz avait interdit de faire des mosquées des lieux de jugement.

  1. Dans l’exécution des peines carcérales

 

Le Messager de Dieu (pbsl) avait mis en détention des captifs de guerre d’origine juive dans la maison de la fille de Harith et non dans la mosquée. Alors que ‘Umar (que Dieu l’agrée) eut l’idée d’acheter une maison à La Mecque qui serait utilisée comme prison, c’est ‘Ali (que Dieu l’agrée) qui la fit bâtir, devenant ainsi le premier centre de détention. Celui-ci fit ériger un premier bâtiment nommé Nafi, mais comme n’étant point solide et ne répondant pas aux divers besoins, il en fit bâtir un second plus ingénieux nommé « Mahis ».

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