Les seuls jours qui nous restent…

Mar 13, 2019 par

Djemaâ Belfort

« Dieu vous a créés ! Puis Il vous fera mourir. Tel parmi vous sera reconduit jusqu’ à l’âge le plus vil, de sorte qu’après avoir su, il arrive à ne plus rien savoir. Allah est, certes, Omniscient et Omnipotent. » (Sourate Les Abeilles n°16 ; verset 70)

De jour comme de nuit, cette femme me surveille. Elle me verse même de l’eau dans mon verre en plastique. Cette femme a même enlevé tous les poignets des fenêtres. Matin et soir, elle garde les clefs sur elle, toutes les portes sont fermées.

Chaque matin, cette femme me douche, m’essuie, m’habille. Me remet la brosse à cheveux dans la main et me demande de me coiffer. Je m’exécute avec des gestes saccadés. Elle me parfume et me met une protection pour adulte. Ma toilette finie, elle m’installe dans son salon, rapproche la table, me sert mon café accompagné de mes petits pains que j’aime tant. Je tiens à peine debout ; je tremble sans cesse. Des fois je tombe plusieurs fois par jour. A midi, elle me sert des aliments que je peux manger facilement. Les fruits, elle les a remplacés par des compotes ; du riz au lait ; des yaourts.

Chaque jour je suis différente : je peux dormir toute la journée et rester éveillée toute la nuit. Un autre jour, je serai très agitée et rien ne peut m’apaisée. Des nuits je parle ou je chante, à tue-tête. Mais chaque jour m’apporte aussi son lot de peur, d’angoisse inexpliquée. J’ai peur…J’ai des hallucinations diurnes et nocturnes …

Je n’ai aucune notion ni du jour, ni du temps, ni de l’heure qui passe…

Chaque nuit, je suis différente : je n’ai plus de sommeil profond. Je suis capable de me lever plusieurs fois par nuit ; cette femme vient me rassurer en chuchotant ; me change si c’est nécessaire. S’il m’arrive de réclamer à manger dans la nuit, cette femme me donne ce qu’il faut.

Cette femme garde aussi les enfants de ses voisins…A mon avis, elle devrait se marier et avoir ses propres enfants …

Sortir. Cette femme ne sort jamais. Ne reçoit personne. Et moi, je veux tous les jours sortir. Je veux tous les jours partir. Tous les jours je la supplie de me laisser partir. Je veux rentrer chez moi. Elle ne veut jamais m’ouvrir la porte pour que je puisse partir. Je ne veux plus rester chez cette femme. Je ne sais pas qui elle est. Je ne connais pas son prénom. Qui est – elle pour me garder ainsi, je ne la supporte plus ? Ces derniers temps je l’insulte. Je la méprise. Je la regarde de travers. Je la maudis, du matin au soir. Je la déteste. Cette femme ne dort ni le jour, ni la nuit …Elle compte les étoiles…

Ainsi parle, ma mère âgée de 77 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ma mère vit chez moi. Elle ne me reconnaît plus. Chaque jour, elle m’appelle d’un prénom différent. Chaque jour je peux être une personne différente qu’elle a connue (sa belle-sœur, sa tante, sa voisine etc.…). Elle ne se rappelle plus de moi : son unique fille… Elle pense que mes enfants sont des enfants que je garde et me conseille d’aller me marier…

Le jour je veille sur elle.

Je déteste la nuit : j’ai peur qu’elle crie ou hurle brusquement ; que les bruits du voisinage ou venant de l’extérieurs ne l’effraient.

Je peux tout supporter chez ma mère sauf les pires moments où elle est démente : elle peut entreprendre un circuit obsessionnel qui démarre de son lit, se dirige vers la porte d’entrée, puis s’en va aux toilettes et s’en retourne vers son lit. Son marathon peut durer des heures et des heures. Sans s’arrêter elle déambule. Sans s’essouffler. Elle se déshabille aussi sans cesse… A l’usure des nerfs…

La maladie d’Alzheimer a tout pris à ma mère : son autonomie ; son bon sens ; sa personnalité. Cette maladie est la prison de ma mère. Il me reste plus que l’ombre de ma mère chez moi.

Quelques moments de lucidités peuvent lui être donnés, alors je les reçois comme des cadeaux…

Mais ma mère ne reviendra plus, elle et moi, nous avons arrêté d’échanger nos confidences. La mère et sa fille ne se parlent plus…

Lorsque je remplace ses petites mains en l’aidant à se lever, à se laver, à s’habiller ; elle me dit :

« Que Dieu bénisse tes parents… »

Tous nos jours sont de plus en plus difficiles. Si différents. Si durs.

Elle malade. Manque de repère.

Moi fatiguée. Manque de sommeil.

Rien ne presse maintenant.

Ce sont les seuls jours qui nous restent…

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3 Commentaires

  1. Samia

    Salamalikoum
    C’est en pleurant que j’ai lu votre post car je vis exactement la même chose exactement .

  2. Je suis également très touché par votre écrit . J’ai perdu ma maman il n’y a même pas 1 ans de cette maladie après 10 d’accompagnement avec l’aide de mon père . Aujourd’hui c’est lui qui est atteint de cette maladie mais je reste fort et place pa confiance en Allah 🤲❤️

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