Les musulmans dans la société actuelle

Mar 13, 2019 par

(Interview réalisée auprès d’Osman Nuri Topbaş Efendi)

Islam Magazine : Maître, aujourd’hui dans notre société, et parmi la population musulmane en général, nous percevons un problème majeur, celui du vide spirituel et de la dépression…. Que pensez-vous de ce sujet et quelles peuvent être les solutions envisagées ?

Osman Nuri Topbaş : Allah le Très-Haut a créé l’homme en un ensemble unique, à travers un fond et une forme. Ceci étant, afin qu’il puisse être en paix et heureux avec lui-même, il a besoin que ces deux notions soient en équilibre et en harmonie. Si l’une de ces notions venait à manquer, l’autre ne signifie plus rien. S’il y a le moindre excès dans l’une, l’autre reçoit un grand dommage. Aujourd’hui, il y a un excès en tout dans ce monde consumériste.

Ce déséquilibre, cet abus des moyens techniques, des programmes de télévision et d’Internet qui passent des messages négatifs dans nos vies, un environnement en désordre et un dégoût de la vie, tout cela nous entraîne malheureusement vers un vide spirituel. Il y a encore plus important : en effet il y a des personnes qui, sans s’en rendre compte, vivent cet état dans leur vie, ce qui augmente davantage la gravité de la situation. Nous voyons apparaître une ère moderne marquée par l’ignorance. Aujourd’hui, nous vivons la même période préislamique que celle précédant l’ère islamique, mais sous un autre visage, une sorte de packaging plus moderne. Le vide spirituel et la dépression poussent les gens vers le profit d’intérêt en enterrant au plus profond d’eux-mêmes des valeurs comme la bonté et la compassion.

Ce qui nous révèle ceci :

D’un côté nous voyons l’émergence d’individus irresponsables possédant un intérieur vide spirituellement (bonté et compassion) et rempli d’intérêts négatifs… et de l’autre côté nous voyons des êtres humains qui détiennent une conscience encore intact, mais qui sont confrontés au même danger que les précédents et qui ont la notion de leur responsabilité spirituelle…

Tout le monde a plus ou moins conscience de ce vide intérieur et de la gravité de cette crise. Il le sente, mais son diagnostic est faux quant au fait de combler ce vide et son application est mauvaise. Aujourd’hui, l’homme est dans une insatisfaction totale où le fait de posséder la plus luxueuse voiture ou d’être présent dans une salle de concert d’où s’échappent des décibels à forte dose  ne parvient pas à combler ce vide intérieur, ceci étant une réalité de plus en plus dramatique.

La solution :

L’éducation religieuse.

Si le corps de l’homme a besoin de nourriture pour vivre, le c?ur lui a besoin de nourriture spirituelle pour survivre. Il ne peut être satisfait qu’avec le spirituel. Un verset du Coran stipule :

« Ceux qui ont cru, et dont les c?urs se tranquillisent à l’évocation d’Allah… » (Ar-Ra’d, 13/28).

Pour faire accepter cette vérité divine aux individus, il est nécessaire d’avoir des personnes de qualité baignant dans un climat spirituel, comme pour tout métier où il est nécessaire d’avoir le bon connaisseur. Il n’est certes pas facile d’être une telle personne et d’éduquer ces personnes-là. Mais voilà, il n’y a pas d’autre alternative pour combler ce vide spirituel. Même si on ne parvient pas à les éduquer, le fait de se trouver là et de faire tout son possible pour essayer de changer les choses peuvent contribuer à à apporter une certaine sérénité et un bonheur certain.

Mawlânâ Jalal-ud-Dîn Rumî nous raconte un événement relatant cet état d’esprit :

« C’était la nuit. Je sors de la maison. Je marche à la campagne. Je vois un homme se promener torche à la main :

Je lui demande ce qu’il cherche dans le noir.

L’homme répond :

« Je cherche « l’homme ». »

Je lui rétorque :

« C’est triste ! Tu te fatigues pour rien… Moi j’ai quitté mon pays et je ne l’ai toujours pas trouvé. Rentre chez toi. Dors, mets-toi à l’aise. Ta recherche est vaine parce que tu ne le trouveras nulle part. »

L’homme me regarde d’un air triste et répond :

« Je sais que je ne le trouverai jamais, mais le fait d’essayer de combler ce manque me procure le plus grand bien ! »

Prenez bien garde à ceci :

Si dans le domaine du matériel on assouvit toutes nos envies, on voit apparaître alors une grande insatisfaction et une grande insatiabilité. Même si dans le domaine du spirituel on n’arrive pas toujours à atteindre le but qu’on s’est fixé, on ressent tout de même un bonheur et une satisfaction certaine. D’un autre côté, les gens admirent ceux qui possèdent une personnalité et une moralité. Ils imiteront les personnes qui possèdent ces caractères-là. L’histoire est témoin que les théories humaines et les philosophies sont éphémères ; ça vient et ça part alors que les prophètes sont dans une continuité certaine.

En conséquence, même si Aristote a posé les bases de la philosophie de la moralité en introduisant un certain nombre de lois et de règles, vous ne verrez personne suivre ses directives parce qu’elles sont éloignées de la Loi divine ; ceci parce que le c?ur des philosophes ainsi que leurs mots et leurs idées ne sont que le fait de l’homme et non d’une révélation. Tous leurs différents systèmes ne sont guère sortis des salles de conférence et des livres qu’ils ont écrits. Notons à ce sujet que pour remplir le vide spirituel et combattre la dépression, il est impératif d’user de nourriture spirituelle…

Islam Magazine : Maître, vous avez parlé d’éducation religieuse. Or, dans le Coran, Allah dit que « celui qui est le plus élevé d’entre vous est celui qui possède la plus grande piété ». Par conséquent, Allah nous rappelle le fait que la mesure qui permet d’apporter une valeur à l’homme, c’est bien sa valeur spirituelle. Que doit faire le musulman d’aujourd’hui pour approfondir cette piété « crainte d’Allah »? En matière d’éducation religieuse, quelles sont les bases concernant l’enseignement de la piété dans nos vies ?

Osman Nuri Topbaş : De nos jours la piété est une qualité religieuse très importante. Il est donc important qu’un musulman soit pieux tout en craignant Allah parce que nous vivons une époque où avoir la foi, c’est comme tenir des braises ardentes entre ses mains. La crainte d’Allah nous permet de nous protéger de l’érosion que subit la morale. Il est impératif d’entretenir cette piété pour que notre foi et nos bonnes actions ne s’évaporent pas. Du commerce à la vie de famille, de la rue à l’école, s’il existe le moindre souci dans un de ses domaines, on peut dire que la solution pour résoudre les maux, c’est bien la piété.

Le Coran dit clairement à ce propos :

« … Et quiconque craint Allah, Il lui donnera une issue favorable. » (At-Talâq, 65/, 2).

Et ceci encore :

« … La bonne fin est réservée à la piété… » (Tâ-Hâ,20/132).

Un homme vint auprès de notre Prophète (pbsl) et lui dit :

« Ô Prophète ! Je suis sur le point d’entreprendre un voyage, peux-tu me dire quelque chose en guise de prière ? »

Notre Prophète répondit :

« Qu’Allah t’apporte la piété. »

L’homme répondit :

« Quelque chose d’autre ô Prophète ! »

Il répondit :

« Qu’Allah pardonne tes péchés. »

L’homme à nouveau :

« Que mon père et ma mère te soient sacrifiés ô Prophète, quelque chose d’autre !»

Notre prophète (pbsl) répondit :

« Qu’Allah te permette d’accomplir de bonnes actions là où tu seras. » (At-Tirmidhî, Deawat, 44/3444)

Notre Prophète (pbsl) nous enseigne à travers ce hadith des leçons de base en matière de piété.

Fuir les péchés et faire des bonnes actions, quel que soit l’endroit où l’on est…  Donc il faut globalement :

– S’éloigner des péchés, des erreurs, du manque de sincérité, et des routes tortueuses…

– embrasser de la manière la plus juste le chemin des bonnes actions, de la bonté en général, rendre service…

La notion de piété d’après le soufisme, c’est le fait de purifier son c?ur de tous les désirs terrestres en lui faisant prendre conscience qu’il est surveillé par les « caméras invisibles d’Allah ».

Islam Magazine : Concernant la moralité de notre Prophète, quels conseils adresseriez-vous aux musulmans pour qu’eux-mêmes l’acquièrent ?

Osman Nuri Topbaş :  Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthman, ‘Alî (qu’Allah les agrée) ont été de grandes figures de la moralité prophétique ainsi que tous les Compagnons par ailleurs. Ils furent semblables aux étoiles parce qu’ils ont su rallier leur comportement sur celui du Prophète (pbsl), s’étant élevés à un degré tel que l’esprit même ne saurait l’imaginer.

Leur mental même est devenu esprit. Chacun deux a été une lumière et un guide pour l’humanité entière. L’important dans le chemin de la foi et du salut, c’est de s’aligner sur le comportement du Prophète (pbsl) parce que notre foi, notre morale et la droiture de notre voie ne peuvent être enjolivées qu’en prenant exemple sur la moralité du Prophète (pbsl). Le c?ur qui atteint cette maturité est comme une étoile qui brille et le c?ur qui en est démuni est comme une pierre sèche. Le mental qui n’atteint pas ce degré se noiera dans le gouffre de l’idiotie.

Il ne faut pas oublier que pour l’homme, la foi, le savoir, la terre, les cieux, l’ascension, les connaissances divines et toutes les autres connaissances n’ont qu’une seule porte et cette porte ne peut s’ouvrir que si nous nous imprégnions de la moralité de notre Prophète (pbsl). Et cette porte ne peut s’ouvrir que si nous avons su nous approprier la morale de notre Prophète (pbsl).

Mais si notre état, que ce soit la raison, le c?ur, ou notre perception ne ressemble en rien à celui de notre Prophète (pbsl), on sera alors condamné à rester dans les bas- fonds. Ceux qui ne le comprennent pas et qui le renient totalement sont ceux qui n’ont pas su s’approprier sa grande moralité pour leur plus grand malheur. Abû Jahl lui aussi disait :  » Tu es Muhammad le véridique », mais comme il n’a pris en lui aucune des qualités morales de notre Prophète (pbsl), il n’a pas fait acte de foi. C’est pour cette raison que le seul chemin, qu’il s’agisse de la raison, de la perception ou du c?ur qui conduit à notre Prophète (pbsl), c’est pouvoir se sacrifier pour lui, tout en lui ressemblant. Celui qui se soumet avec amour à l’unique soleil parmi toutes les étoiles, son c?ur sera aussi lumineux que le croissant de lune.

Se soumettre à lui avec amour, c’est remplir sa vie de sa grande moralité. Se soumettre à lui avec amour, c’est se diriger vers la voix du salut. Se soumettre à lui avec amour, c’est suivre ses commandements et s’éloigner de ses interdictions. Se soumettre à lui avec amour, c’est prendre de lui les valeurs du c?ur. Se soumettre à lui avec amour, c’est refléter sa Sunna à tous les niveaux de notre vie.

Il faut nous demander ceci :

Est-ce que notre foi est la même que celle du Prophète ?

Est-ce que notre culte est le même que celui du Prophète ?

Est-ce que nos prières et nos jeûnes sont les mêmes que ceux de notre Prophète ?

Respectons-nous la parole donnée comme le Prophète ?

Est-ce que nous sommes généreux, faisons le bien, aidons comme le Prophète ?

Est-ce que nos jours et nos nuits sont comme ceux du Prophète ?

Islam Magazine : Maître, il y a encore quelques décennies, la vie des musulmans était bien difficile. Malgré cela, ils avaient une vie bien remplie à la fois physiquement et moralement, notamment parce qu’ils étaient assidus aux prêches et à la lecture. Dans le monde d’aujourd’hui, les occupations et les excuses sont davantage mises en avant. Que ce soit le travail relais ou le travail de jour ou pour d’autres raisons matérielles, ou bien parfois parce que l’on vit une existence insouciante, on néglige souvent de combler nos nuits. Pour contourner cette réalité, que nous conseillez-vous de faire ?

Osman Nuri Topbaş :

Chaque instant de la vie revêt son importance. Le jour et la nuit ont chacun un sens et une grâce bien particulière. Le Créateur a donné au jour et à la nuit des attributs bien particuliers. Pendant notre passage sur terre, il est primordial de préparer nos cœurs autant le jour que la nuit pour pouvoir atteindre un bonheur éternel. Dans notre monde où l’on voit augmenter l’immaturité, la maturité s’avère obligatoire. Dans un monde où l’homme est éloigné de la vérité, il est impératif qu’il se rapproche de son Seigneur. Et surtout la nuit… Le jour, avec ses occupations et ses préoccupations quotidiennes, il ne peut vivre correctement sa spiritualité car il a besoin d’embellir son cœur et d’approfondir ses sentiments. Le moment idéal est bien la nuit. La nuit est l’occasion unique pour que le jour soit le plus bénéfique. Par conséquent, notre Créateur a donné une valeur particulière à la nuit et y a installé des secrets innombrables. Notre Créateur nous interpelle ainsi dans le Coran :

« Et par la nuit et ce qu’elle enveloppe ! » (Al-Inshiqâq, 84/17).

Allah jure que dans la nuit il y a des secrets, qu’il s’y trouve une certaine vérité que notre cœur ne peut voir qu’à travers la fenêtre que notre Seigneur ouvre pour nous.

En général, les révélations descendent la nuit. Les premiers rêves véridiques à teneur prophétique ont bien souvent lieu au cours de la nuit, car c’est pendant la nuit que l’inspiration spirituelle est la plus intense.

Notre Prophète (pbsl), cause de toute la création et suscité pour toute l’humanité, fut reçu par son Seigneur, ayant voyagé en pleine nuit et ayant vu les vérités du monde de l’au-delà au cours de l’événement dit de l’Ascension (Miraj).

Quiconque est conscient de la valeur spirituelle de la nuit sait que ceux qui se privent de cette spiritualité seront fatigués et léthargiques le matin et incapables profiter de toutes les contingences de la journée. Ceux qui sont ignorants des bienfaits de la nuit, comment peuvent-ils profiter de la journée ? Chaque personne qui désire recevoir le salut dès l’aube est contraint d’entrer dans cette sphère spirituelle et divine qu’est la nuit.

Un homme demanda à Ibrahim Ibn Adham :

« Donne-moi un remède car je n’arrive pas à me lever la nuit pour prier. »

Ibrahim ibn Adham lui répondit :

« Ne te rebelle pas le jour contre ton Seigneur et tu verras que la nuit c’est Lui qui te lèvera pour que tu puisses être en Sa présence. Être la nuit en sa présence est un grand privilège, un grand honneur. Les pécheurs ne peuvent aucunement bénéficier de cet honneur ! »

Al Hasan al Basri rapporte ceci :

« Se lever la nuit pour prier et invoquer est difficile pour quiconque est écrasé par le poids de ses péchés. »

Si tu veux profiter de la nuit, il faut d’abord commencer par formuler la demande de pardon (istighfar), puis l’affirmation de l’unicité d’Allah (tawhid) et enfin les invocations apportées à notre Prophète (pbsl). Cela continue lorsqu’on se baigne dans le rappel d’Allah (dhikr). Le dhikr que l’on pratique dès l’aube, dans les moments précis où le serviteur rencontre son Créateur, est une occasion unique et un besoin essentiel pour pouvoir restaurer son c?ur. Si notre corps a besoin de nourriture matérielle, notre c?ur a besoin aussi de nourriture spirituelle pour vivre. Notre Créateur donne davantage de valeur au dhikr réalisé à l’aube.

Bayazid al Bistami rapporte ceci :

« Je n’ai rien conquis avant que mes nuits ne deviennent jours. »

La mère du roi Sulaymân (sur lui la paix) lui donna le conseil suivant :

« Mon enfant, ne dors pas trop la nuit, parce que si tu dors trop la nuit, le Jour du Jugement dernier, tu seras appauvri. »

Si l’homme vit dans une telle conscience, il aura su combler sa vie d’ici-bas et (parallèlement) sa vie dans l’au-delà en l’embellissant, en la rendant plus belle, étant digne de la grâce divine.

Seigneur, accorde-nous Ta grâce…

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