Les cadeaux du Hajj

Mar 12, 2019 par

Prof. Dr Hasan Kamil Yılmaz

Le hajj (ou grand pèlerinage) est tout un processus d’adoration sacrée visant à bâtir ou à reconstruire son propre monde d’affection. Célébré à Mina, c’est une pratique durant laquelle on s’habille en tenue de hajj ( la toge de couleur blanche) et qui consiste à visiter la maison d’Allah (Ka’ba), à accomplir le rite spirituel de ‘Arafat et à se défendre également contre la force vexatrice de Satan en le rejetant à travers les pratiques spirituelles qui consistent à lui jeter des pierres. Selon Mawlana Rumî, parvenir à un degré d’affection vitale relatif au Propriétaire de la Ka’ba est plus important que la visite de la Ka’ba elle-même. Ceux qui découvrent la Ka’ba et atteignent al-Masdjid al-Haram accomplissent le hajj physiquement en faisant des circumambulations autour de la Ka’ba. Mais le chemin du véritable hajj, c’est le rapprochement vers le Propriétaire de la Ka’ba ; en d’autres termes, c’est la sensibilité en Allah. De la même manière que le jeûne n’est pas une adoration consistant seulement à s’abstenir de manger, de boire ou de se défendre de tout rapport sexuel, et s’il existe une « taqwa » (crainte pieuse) dans son fondement ou dans son essence, le hajj également n’est pas un voyage d’adoration consistant simplement à visiter La Mecque et Médine. Parce que les prières, le jeûne et le hajj accomplis sont les témoins des engagements dans les univers éternels de ce monde.

Le hajj, en termes de temps, est un voyage spirituel qui part de la période du bonheur jusqu’à la période d’amour « davr-i-halil Ibrahim ». Face aux interdits de la tenue blanche (la toge), l’individu doit bien se contrôler. Au hajj, se vêtir de la tenue blanche, c’est s’écorcher du vêtement de l’ego et de la vie [1] ; c’est se couvrir du vêtement de la pauvreté (s’éloigner du matérialisme). Concevoir la toge sous cet angle permet de se sauver de l’ego et de la vie. Mais combien sont-ils ceux qui se vêtent de la toge animés de ces sentiments ?

La personne qui prend le chemin du hajj en abandonnant pour un temps sa maison, sa famille, ses enfants et la ville dans laquelle il vit, dans le but de visiter la Ka’ba et d’y effectuer des circumambulations, de monter à ‘Arafat et de s’arrêter à Muzdalifa dans le but également de se rendre à la Masdjid Nabi, portant son visage face à la qibla du Seigneur, entre [2] dans la maison d’Allah et parvient à la sécurité. C’est un lieu où les vivants, les plantes, la nature et l’environnement sont en sécurité. Voilà pourquoi celui qui s’y rend parvient à la sécurité.[3]

Ceux qui se sont salis avec les souillures du péché, ceux qui se sont peints avec les peintures du monde, l’invitation divine les appelle à courir dans ces lieux et à proclamer: « Labbayk : à Tes ordres mon Seigneur ». Toutes ces personnes, dans leur désir de contempler le visage de leur Bien-aimé, tournent comme des hélices autour de Sa maison en faisant revivifier les amours qui tourbillonnent. Les serviteurs amoureux du Seigneur, par une quiétude légitime à l’obéissance, accomplissent de longs voyages pour venir au hajj. Ils dépensent leurs biens et leur énergie pour parvenir à la Ka’ba. Elle est, sous leurs yeux, constituée de quatre murs. Elle n’est pas un bâtiment de couleur noire à ceinturon transparent couvert de noir puisque les croyants éclairés par la lumière de l’affection de la foi ne voient pas la maison d’Allah comme étant insignifiante. Elle est, pour eux, emplie totalement de spiritualité et, pour ce fait, elle est à même de nourrir leurs cœurs de sa quiétude et de sa grâce. En surmontant les troubles et les obstacles, ils accompliront leur hajj tout en assurant le sentier de l’amour du Seigneur au fond de leurs cœurs malgré les difficultés de tout genre ; c’est l’adoration vénérable visant à restituer une affection de la Ka’ba.

La Ka’ba, de nature, consiste en un lieu de culte. Quant à la question relative à la manière dont elle a pris cette qualité de maison d’Allah, c’est le témoignage clair d’une formation de la clarté du Seigneur dans le cœur de « l’homme parfait » (insan kamil), d’une clarté de foi qui justifie la raison de son mérite d’être « la maison d’Allah ». Cependant, l’une est la formation du serviteur et l’autre celle du Seigneur. Les hommes se rendent à la Ka’ba pour des besoins d’ordre temporel et aussi pour l’au-delà. Quant au cœur de l’homme parfait, il est à chaque moment à l’intérieur de la Ka’ba parce que sa porte est toujours ouverte à son cœur.

Dans le Mathnawî de Mawlana Rumî, en particulier dans un récit rapporté par le sultan des savoirs Bayazîd Bistamî, la visite de la maison d’affection et la visite de la Ka’ba située à La Mecque sont considérées comme deux œuvres équivalentes. En effet, pour des raisons liées au hajj et à l’omra, Bayazîd Bistamî avait emprunté le chemin qui menait directement à La Mecque. Partout là où il allait, il rendait visite à tous les saints de la ville, cherchait à rencontrer les awliyas-Allah (les amis d’Allah) et les savants purs de cœur.

Dans une certaine ville, il croisa un vieil homme à la posture courbée et de petite taille. Bayazîd vit sur le visage de ce dernier une clarté de perspicacité et une lumière évidente dans ses expressions. D’ailleurs, les yeux de ce dernier ne voyaient pas mais étaient aussi clairs que le soleil. Bayazîd s’assit sous la sérénité de ce père lumineux et lui demanda son identité et sa situation. C’est ainsi qu’il apprit, à travers les réponses qu’il reçût de sa part, que le vieil homme était issu d’une famille pauvre et très accablée. À son tour, ce dernier demanda à Bayazîd quel était le lieu de sa destination. « À la Ka’ba » répondit-il. Le vieil homme lui demanda encore : « Qu’as-tu prévu pour tes dépenses éventuelles lors de ce voyage ? » Bayazîd lui répondit : « Je possède deux cents dirhams. »

Le vieil homme courbé saisit l’immense pureté de cœur de Bayazîd et s’adressa à lui en ces termes : « Si tu me laisses avec toute la fortune que tu avais prévue pour ton hajj, tu arriveras au hajj et à l’omra ; entre Safa et Marwa, tu deviendras pur et tranquille comme si tu avais déployé beaucoup d’efforts. Avec le bienfait adressé aux serviteurs et au Seigneur, tu plongeras dans un service pur. »

En réalité, si l’homme ouvre l’œil et regarde bien au sein du peuple, il percevra la lumière du Seigneur. La Ka’ba est un édifice en pierre construit par Ibrahim (a.s) et Ismail (a.s) ; en revanche, le cœur de l’homme est une œuvre du Seigneur, mais l’édifice a été construit sous Son ordre. Celui qui reconnait un serviteur, grâce à la sensibilité de son cœur, parvient à percevoir Allah ; de ce fait, il parvient également à répondre aux besoins de ce serviteur.

C’est avec ces pensées que Bayazîd laissa l’argent qu’il possédait devant le vieil homme et annula le voyage qu’il avait entrepris pour aller au hajj. Comme un cube en or, il avait bien rangé les propos du vieil homme dans ses oreilles et, selon l’expression de Mawlana, la valeur de Bayazîd atteignit un degré élevé grâce aux invocations (douas) du vieil homme. Il devint brillamment vertueux et bénéficia d’une position élevée dans la société. [4]

Il y a ici un acte très important qui mérite un éclaircissement. Celui-ci porte sur le voyage qu’entreprit Bayazîd pour se rendre au hajj, lequel, loin d’avoir été un acte fard (à caractère obligatoire), n’en était pas moins une « nafila » (à caractère surérogatoire). Bayazîd devait préalablement accomplir le « hajj fard » (le pèlerinage obligatoire). Cependant, concernant le hajj nafila, on peut l’annuler au moment du voyage en mettant de côté l’argent prévu pour les dépenses et l’utiliser pour d’autres services. Ici, il faut noter que Mawlana Rumî, dans le but de pouvoir souligner sérieusement l’importance d’un sujet, a toujours voulu attirer l’attention sur la revivification du cœur tout en comparant ce dernier à la Ka’ba. En général, ce cas précis est un domaine négligé par les hommes. Pourtant, le cœur de l’homme est au-delà de la neuvième planète, au-delà également du trône et du tableau rempli d’écrits divins. S’il est surtout ruiné, il devient alors un cloître insensible à Allah. Pour réparer un tel cœur, vivre sous la purification du Seigneur est plus précieux que le hajj et l’omra, car les trésors et les cadeaux du Seigneur résident dans les cœurs dévastés. Du reste, les hommes renferment également leurs trésors dans des ruines. [5]

L’évolution spirituelle de l’homme, le dépassement de l’égoïsme, l’abandon de l’orgueil et de l’arrogance sont dépendants de la nature des cœurs. Les cœurs (ou les affections), en s’édifiant, jaillissent d’une source de sagesse, s’inspirent à la vie à partir du langage et deviennent un souffle d’inspiration grâce aux aides, aux invocations (douas) et aux soutiens que reçoit le cœur de l’homme.

Le chemin honorable de la Ka’ba est rempli de peines ; dans cette charge, le montant physique et moral est d’une valeur très élevée. Dans la souffrance et les difficultés, les voyageurs-pèlerins, avec leurs corps souffreteux et leurs organismes épuisés, parviennent au chemin de la joie, de la tranquillité et de l’agrément. Tous ceux qui atteignent La Mecque et qui accomplissent leur hajj en effectuant des circumambulations autour de la maison d’Allah doivent s’orienter de la Ka’ba physique vers la Ka’ba spirituelle parce que la circumambulation autour de la Ka’ba physique est conçue pour purifier les souillures de la Ka’ba du cœur. Quant à celui qui mutile la Ka’ba du cœur, en l’occurrence la maison d’Allah, même s’il part à la Ka’ba un millier de fois, ses visites ne seront en aucun cas approuvables.

Mawlana Rumî, qui a consacré beaucoup d’efforts de réflexion à propos de ce sujet précis, se découvrit dans l’appel suivant :

« Ô tous ceux qui partent au hajj ! Où êtes-vous ? Ce que vous cherchez est ici. Venez ! Votre amour n’est pas loin, il est avec vous comme le mur qui vous sépare du voisin et il est même beaucoup plus proche que cela. Quelle est l’importance alors de se promener dans les déserts du moment où la tâche est devenue si aisée ? Qu’est-ce qui a accompli cela pour la descendance humaine ? Si tous ceux qui se rendent à la Ka’ba parvenaient à distinguer la beauté de grand amour, ils comprendront à ce moment ce qu’est Al-Haram (l’Enceinte sacrée à La Mecque) et le sens du voyage vers la Ka’ba. Ils en comprendront le sens et parviendront à découvrir son Propriétaire. Si les hommes se rendent à la Ka’ba et parviennent à voir l’édifice en pierre sans y découvrir son Propriétaire, il n’est plus question d’évoquer les obligations liées à la maison et même au hajj. Cette maison est accueillante, agréable et sainte. Cependant, son Propriétaire est Saint et Élevé plus que toute autre chose. » [6]

Quiconque entre dans un jardin de roses y sortira avec un bouquet de roses. Dans la Ka’ba, celui qui, pour des raisons liées au hajj, entre dans le jardin de roses du Seigneur y retournera avec des qualités marquées sur son visage, des manifestations divines dans son comportement et des cadeaux précieux entre ses mains. Les plus précieux cadeaux qui viendront de là-bas seront entre autres le discernement, la moralité de Muhammad (s.a.s), l’obéissance scrupuleuse, la justice sensée, la clarté bimodale, le savoir éminent et l’intellection d’une culture charitable.

Dans tous les cas de figure, ils demeurent les cadeaux les plus acceptables qui doivent être apportés du hajj, car les autres cadeaux tels que les dattes, l’eau de zam-zam, les chapelets et les bonnets sont des matières de valeur éphémère. Mais quant aux autres, ils demeurent des cadeaux qui feront vivre une grâce emplie de perles dans les affections du croyant.

[1] Şefik Can, Dîvân-i-Kebîr Seçmeler, III, 191

[2] a.e, I, 123

[3] Voir Coran, Al-Imran, 3/97

[4] Mathnawî, II, b..2207-2214

[5] Dîvân-i Kebîr Seçmeler, III, 430

[6] a.e, I, 435-436

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