Le voile de la femme musulmane dans l’espace public

Mar 13, 2019 par

Ismaël Tiendrebeogo

Beaucoup de choses se sont dites sur le voile islamique depuis que la France a choisi d’en légiférer le port dans l’espace public. Cette législation, qui se voulait une barrière contre l’intrusion du religieux dans l’espace laïc, du moins nous en assurait-on, est devenue le prétexte pour certains d’exprimer franchement leur haine contre les valeurs musulmanes. On a vu par exemple une école refuser qu’une mère accompagne son enfant parce qu’elle était voilée. Cette décision, décriée par beaucoup de personnes, y compris non musulmanes, a été pourtant entérinée par un tribunal administratif de Montreuil. Pour ces juges, « si les parents d’élèves participant au service public d’éducation bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur leur religion ou sur leurs opinions, le principe de neutralité de l’école laïque fait obstacle à ce qu’ils manifestent, dans le cadre de l’accompagnement d’une sortie scolaire, par leur tenue ou par leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques ».

Dans une tout autre affaire, Marlène, une retraitée française de 63 ans, après avoir enseigné l’anglais, a arraché le voile d’une musulmane dans un magasin en France, le 24 février passé. Celle-ci, sans se plaindre a remis son voile en place. Mais « retrouvant sa victime quelques instants plus tard dans le même magasin avec le voile remis en place, la retraitée lui a alors expédié un coup de poing, l’a griffée et mordue à la main, selon le rapport de police lu à l’audience. Une amie qui portait un voile ne couvrant pas le visage, venue au secours de la victime, a aussi été agressée. » (http://www.lexpress.fr/). Elle a été condamnée à deux mois avec sursis.

Plus récemment, au Canada, Rosemarie Creswell, en août 2010, une autre femme, qui a aussi arraché le voile d’une musulmane, dans le centre Sheridan au Canada, a été condamnée par le juge Ian Cowan à un travail d’intérêt communautaire dans une mosquée…

Toute cette intolérance procède sinon d’une malveillance au moins d’une incompréhension sur le foulard musulman. D’abord, elle est une prescription divine (sourate 33, 59 ; 24, 31) et a caractérisé toutes les grandes traditions religieuses.

En effet, s’agissant du christianisme et sous la plume de Paul, nous lisons que « toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef ; car c’est exactement comme si elle était rasée. Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre ! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile ! L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. » Cor. 11, 1-16). Sur la même question, la religion juive n’est pas en reste. En effet l’Ancien Testament, par ailleurs partagé par les chrétiens, mentionne le voile en plusieurs versets du livre de la Genèse (Gn 38: 14-16 ; 24, 65; 29, 23-25 ; 38,14.19), mais aussi dans le Cantique des Cantiques. Ainsi, Rébecca, voyant Isaac, se couvre la tête de son voile. Et le fiancé du Cantique des Cantiques affirme : « Tes yeux sont des colombes à travers ton voile » (Ct 4, 1). La femme non voilée est en revanche comparée à la prostituée : « Découvre tes cheveux, retrousse ta robe, découvre tes cuisses », dit le prophète Isaïe (47, 2) pour humilier Babylone, ville maudite.

Au-delà des grandes religions monothéistes (islam, judaïsme et christianisme), les grandes civilisations, comme la civilisation sumérienne, évoque le voile. « Nous pouvons trouver des traces du voile dans « L’exaltation d’Innana », œuvre attribuée à Enheduana et écrit vers – 2350. Innana est le nom sumérien de la déesse Ishtar, déesse voilée, envers qui on rendait un culte au moyen d’hiérodules (des esclaves attachées à un temple, souvent à des fins sexuels, une sorte de prostitution sacrée). On en trouve aussi la trace dans le Code Hammourabi, écrit vers -1730. Vers -1090, nous trouvons une trace écrite émanant du roi Assyrien Teglath-Phalasar Ier qui impose le port du voile aux femmes mariées dont les hiérodules. Pour lui, « Les femmes mariées qui sortent dans la rue n’auront pas la tête découverte. La concubine qui va dans la rue avec sa maîtresse (l’épouse) sera également voilée. La hiérodule (prostituée sacrée attachée au service d’un temple, ndlr) qu’un mari a prise sera voilée dans les rues. Et celle qu’un mari n’a pas prise ira la tête découverte. La prostituée non sacrée ne sera pas voilée ; sa tête sera découverte. » » (www.critique-islam.com ou www.questionsenpartage.com)

« Le port du foulard est rendu obligatoire dès le VIIe siècle avant J.-C. par le roi d’Assyrie, soit dix siècles avant l’avènement de l’islam. » (http://survivreausida.net/a5750-livres-d-ou-vient-l-histoire-du-voile.html).

Le voile a donc caractérisé toutes les spiritualités et les grandes civilisations. Ainsi et encore de nos jours, les musulmanes ne sont pas les seules à porter le voile, au-delà même des religieuses catholiques, on peut citer des juives. Pourtant la question du voile ne se pose que contre les musulmanes. Pourquoi seul le voile islamique est-il au-devant de la scène ? Malveillance voulue ou incompréhension feinte, à l’heure des technologies de l’information et de la communication ?

La cause de cette incompréhension sur le voile islamique est à rechercher dans la lecture des règles islamiques au travers de la compréhension qu’avaient de la bible certains orientalistes et intellectuels. Paresse intellectuelle de comprendre chaque spiritualité dans sa logique propre ou malhonnêteté intellectuelle servant à biaiser l’analyse ? Pour certains de ces intellectuels, le voile de la musulmane serait inacceptable car il signerait son infériorité et sa soumission vis-à-vis de l’homme. Or aucun des textes de l’islam ne donne au voile cette signification. Le seul verset qui explique la raison du voile indique seulement que c’est « afin qu’elles soient plus vite reconnues et ne soient pas l’objet de vexation » (Sourate 33, verset 59). Peu des contempteurs du foulard islamique connaissent cette explication coranique du voile et préfèrent transposer, pour combler leur ignorance, ce qu’ils en savent de la bible qui indique ceci : « toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef » aussi doit-elle se voiler pour ne pas offenser son chef, c’est-à-dire l’homme, qui est « l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme ».

On aura compris que de toutes « les écritures monothéistes – la Bible hébraïque, le Nouveau Testament et le Coran – seule la première lettre de Paul aux Corinthiens (11/2-16) justifie le port du voile par les femmes en l’appliquant aux rapports qu’ont les hommes et les femmes à Dieu », comme l’écrit Rosine Lambin, dans Paul et le voile des femmes (http://clio.revues.org/index488.html). L’islam ne fait donc pas du voile un signe d’infériorité de la femme ou de préservation contre une offense au mari. Il est juste un signe distinctif des croyantes, qui obéissent aux injonctions divines de leur plein gré, car n’y a « nulle contrainte en matière de religion » (Sourate 2, verset 256).

Pourtant ce fut la contrainte que l’on mit en avant lorsque l’affaire, politisée, du voile se fit jour en France en 1989 : ses contempteurs jurèrent ne combattre le voile que parce que son port serait imposé à la jeune musulmane. Argument faux s’il en est, puisque les sœurs Levy, qui furent les premières victimes de l’intolérance pour port du voile, avait un père juif et une mère non pratiquante, qui n’ont pas pu, vraisemblablement imposer le port du voile à leurs enfants.

Malgré toute la fumée autour de la question du voile, se pose même la question de la liberté de culte reconnu à tous, sans distinction suivant la race, la religion… La question du voile de la jeune musulmane, telle qu’elle est posée en France et en Belgique, dans une certaine mesure, se résume en ces deux questions : peut-on interdire à toutes les musulmanes le port du voile sous le prétexte que certaines d’entre elles sont contraintes à le porter ? Une prescription religieuse peut-elle être interdite alors qu’elle n’affecte ni l’ordre public ni la sécurité nationale ni la santé publique sans remettre en cause la liberté religieuse garantie par la Constitution ?

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