Le grand passage

Mar 13, 2019 par

Musa Belfort

Al-Fitra ou la disposition naturelle de l’homme

 

« Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam et les fit témoigner sur eux-mêmes : ‹ Ne suis-Je pas votre Seigneur ? › Ils répondirent : ‹ Mais si, nous en témoignons… › – afin que vous ne disiez point, au Jour de la Résurrection : ‹ Vraiment, nous n’y avons pas fait attention. » (Coran 7/173)

Aussi bien développée dans l’exégèse classique que mystique, l’interprétation de ce verset coranique est le suivant : Il y eut un premier passage dans nos existences : celui de notre création avant notre naissance. Nos âmes ont été créées par Dieu et ont témoigné de Sa Seigneurie. Avant même cette création, et de toute éternité, nous étions tous dans la pensée de Dieu, c’est-à-dire que Dieu nous a aimés, voulus et créés. Nous sommes en quelque sorte le fruit de Son désir.

Après la création de nos âmes vint le « premier grand passage » : celui de notre naissance ici-bas ; issus du ventre de notre mère, nos jours sur terre sont comptés et voici qu’un temps d’épreuves, de joies et de peines nous est proposé.

Prescience de Dieu, nous avons en quelque sorte une mission sur terre, continuez à respecter l’engagement que nous avons formulé avant notre naissance sur terre. En d’autres termes, s’engager à adorer Dieu, à croire en Lui et à Lui obéir en tous points, car Dieu dit dans le Coran : « Je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent. » (Coran, 51/56)

Notre passage sur terre : vivre entre la crainte et l’espoir

 

Comme je l’ai déjà dit, nos jours sont comptés, les êtres humains sont donc dans un temps d’épreuves où ils devront croire et agir en conséquence. En créant l’homme, Dieu a mis dans son cœur la pensée de l’éternité et c’est à quoi il aspire fondamentalement. Avoir réussi sa vie signifie pour le musulman avoir saisi l’opportunité de L’adorer comme il se doit et avoir accompli les œuvres adéquates. Et le passage vers l’éternité se déroulera à travers la mort physique, mais la mort, en islam n’est pas une fin en soi.

La Mort

Notre mort, disait Jalal ud-Dîn Rumî, c’est « nos noces avec l’éternité ». Après avoir cru en Dieu et accompli les bonnes œuvres, l’heure du « grand passage » est arrivée. Comme le stipule le Coran :

 

« A Dieu est le retour », « Il fait sortir le vivant du mort ». Il vous fera mourir puis Il vous ressuscitera et vous serez ramenés à Lui[1] », comme Il fait revivre la terre morte. Il ne convient pas de dire de ceux qui sont morts en témoignant de « Lui » : « Ils sont morts. » Non ! Ils sont vivants[2]. »

 

« Toute chose est périssable, sauf la face de Dieu. » (Coran 28/88). Toutes choses s’anéantiront et seront détruites. Les cieux, la terre et le reste. Mais la mort du croyant, bien qu’elle soit en apparence une mort et un anéantissement, on ne l’appelle pas la mort car la mort appelle à la Résurrection, au Jugement Dernier et à l’éternité (paradis et enfer) selon les œuvres accomplies en ce bas monde.

Puis viendra la récompense suprême du juste à qui Dieu dira : « O toi ! Âme apaisée ! Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée[3]. » Réalité énoncée dans la tradition soufie et mystique par Jalal ud-Dîn Rumî dans ce fameux distique :

Debout, amis, partons. Il est temps de quitter ce monde.

Le tambour résonne du ciel, voici qu’il nous appelle.

Vois : le chamelier s’est levé, il a préparé la caravane et veut s’en aller.

O voyageurs, pourquoi dormir ?

Devant nous, derrière nous, s’élèvent le tintement des clochettes, le tumulte du départ.

À chaque instant, une âme, un esprit s’envole, là où n’est plus de lieu.

De ces lumières stellaires, de ces voûtes bleues du ciel, sont apparues des figures mystérieuses, qui révèlent des choses secrètes.

Un lourd sommeil est tombé sur toi des sphères tournoyantes : prends garde à cette vie si légère, méfie-toi de ce sommeil si lourd.

Âme, cherche le Bien-aimé (Dieu), ami, cherche l’Ami.

O veilleur, sois sur tes gardes : il ne sied pas au veilleur de dormir.

 

Le grand passage, en islam, n’est donc pas une fin en soi. Le croyant s’y prépare, mêlant la crainte de désobéir à Dieu avec l’espoir de gagner Sa satisfaction. C’est, pour lui, mourir en ce bas-monde comme l’a dit le Prophète Muhammad (pbsl) : « Mourez avant de mourir ».

 

[1] Coran 3/14 ; 29/57 ; 6/95 ; 2/28.

[2] Coran 2/154.

[3] Coran 89/27-28.

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