L’amour excessif du monde

Mar 13, 2019 par

Dr Suleyman Derin

Le siècle dans lequel nous vivons est une période où le matérialisme a atteint son paroxysme. De plus en plus, la valeur de l’homme qu’on lui donne est proportionnelle à ses richesses, au point d’en effacer sa dimension spirituelle. Les moyens de communication incitent constamment l’homme à plus de consommation ; dépenser sans compter est devenu l’unique objectif, que la dépense soit nécessaire ou non. Plus les besoins augmentent, plus les individus cherchent des solutions pour gagner davantage. Ainsi, les sociétés dans lesquelles ils vivent étudient la manière dont elles vont pouvoir exploiter d’autres pays. C’est pour cette raison que l’islam conçoit l’amour du monde et les désirs éphémères comme étant la vraie base de tous les péchés. Ainsi, parmi les sciences islamiques, la mystique (tasawwuf) enseigne la manière dont l’homme va pouvoir arracher cet amour à sa racine afin de s’en débarrasser.

Selon l’Imam Rabbanî, l’homme le plus chanceux dans le monde est celui qui s’est affranchi des charmes et des décadences de ce monde au bénéfice de l’au-delà. Aimer le monde et aimer Allah sont en effet deux sentiments contradictoires :

« Sache que celui qui est parvenu à la délivrance est celui qui a épargné son cœur de l’affection de ce monde pour se remplir de l’amour d’Allah. L’amour de ce bas monde est la base de toutes les erreurs et des péchés ; et cesser de l’aimer est l’essence de toutes les adorations. Un hadith nous révèle la chose suivante : « Allah n’aime pas le bas monde. Depuis qu’Il l’a créé jusqu’à maintenant, Il n’a jamais eu de considération à son égard. » (Bayhaqî, Shuabul Imani n°10501) Les caractères fondamentaux du monde et ceux qui y sont attachés ont été bannis et maudits. Dans un hadith, il est dit (Tirmidhî, n° 2322) : « Le monde est maudit. En dehors de l’invocation, tout ce qui se trouve dans le monde est maudit. » (Lettre n°197)

Selon l’Imam Rabbanî, le monde évoqué dans le hadith susmentionné désigne toutes sortes de choses mondaines qui détournent l’homme d’Allah. Ainsi, ce n’est pas le monde lui-même qui est maudit, car tout comme les autres faveurs, s’il est utilisé dans le chemin d’Allah, le monde est pour nous un champ pour l’au-delà. Malheureusement, lorsque l’homme considère les moyens matériels, il oublie la plupart du temps le véritable but de sa vie dans le monde, il oublie Allah. L’Imam continue ses propos de la manière suivante :

« Les corps de ceux qui invoquent Allah sont exceptés de cette malédiction, toutes leurs cellules étant remplies de Son invocation. C’est pourquoi ceux qui invoquent Allah ne connaissent pas la malédiction. On ne peut les considérer comme serviteurs du monde (Ahl al-Dunya). Car le monde empêche le rappel d’Allah en distrayant l’homme. Le monde n’est autre que patrimoine et propriété, situation et rang (dans la société), gloire et célébrité. Dans le verset suivant, Allah nous ordonne de nous éloigner des serviteurs du monde : « Ecarte-toi donc, de celui qui tourne le dos à Notre rappel et qui ne désire que la vie présente. » (Sourate 53, An-Najm, verset 29) (Lettre n°197) »

 

Selon l’Imam Rabbanî, l’amour de ce monde est l’ennemi de l’âme humaine. Ceux qui sont passionnés par ce monde ne peuvent se libérer de ce désordre et se préparer pour l’au-delà. Alors que le monde est le champ à cultiver pour l’au-delà, ceux-ci ne l’utilisent pas pour y semer (de bonnes actions), ils la laissent infertile. Ils cumulent des marchandises à ne savoir qu’en faire et ne les utilisent dans le sentier d’Allah que pour préparer leur futur capital. » (Lettre n°197)

L’Imam Ghazalî nous a également soumis un principe qui nous oriente dans ce qui peut manifester une affection au monde. Conformément à cela, si un homme détient un quelconque potentiel mais qui refuse de s’en servir à sa juste mesure, cela signifie qu’il aime ce monde (qu’il y est attaché). Une telle personne a certainement oublié le véritable but de la vie sur terre.

Selon l’Imam Rabbanî, ce comportement est contraire à l’âme du croyant ; il lui fait oublier qu’il va devoir rendre compte à Allah. Il compare ceux qui cherchent à prendre un peu plus plaisir des choses éphémères de ce bas monde à des moutons cherchant à brouter un peu plus d’herbe en attendant leur tour chez le boucher.

« Que mon frère sache que l’homme n’est pas venu au monde pour quelques morceaux savoureux et gras ; qu’il n’est pas non plus venu pour arborer des tenues fantaisistes. Il n’a pas été créé pour manger et boire, ni pour se promener et se distraire. Allah a créé l’homme pour qu’il soit humble, soumis et conscient de son statut de serviteur faible et nécessiteux. D’ailleurs, c’est cela (la signification de) la vraie soumission. » (Lettre n°206)

Selon l’Imam Rabbanî, dans la perspective de l’au-delà, l’homme doit fournir des efforts pour multiplier par centaines la graine qui lui a été mise dans la main et dans ce monde. Si nous prenons conscience du fait que toute grâce en nous est une consigne, nous saisirions l’opportunité de l’éterniser. Par contre, tout avoir qui n’est pas dépensé dans le chemin d’Allah est comme une graine qui s’abîme sans avoir été ensemencée.

Il faut comprendre « valoriser ce bas monde » par « travailler pour l’au-delà et semer les bonnes graines ». Grâce à l’ensemencement d’une toute petite graine conformément à la réalité du verset coranique : « Car Allah multiplie la récompense à qui Il veut (…) » (Sourate 2, al-Baqara, verset 261) des fruits à l’infini pourront être récoltés. Cette grâce dans l’au-delà sera consécutive aux bonnes actions accomplies quotidiennement dans le monde d’ici-bas. (Lettre n°214)

 

Quelle joie pour celui à qui Allah a accordé l’honneur de pouvoir œuvrer dans le bien. Sans nul doute qu’Allah a fait de ce monde d’ici-bas le champ de l’au-delà. Malheur à celui qui a consommé toutes ses graines, qui ne les a pas plantées lors des semailles, qui n’a su récolter sept cents pour une, qui n’a su préparer ses provisions pour le Jour où le frère va fuir son frère et la mère son fils. Méritant la colère du Seigneur, la seule chose qu’il aura gagnée est la perte de ce bas monde et de l’au-delà ; il ne restera pour lui uniquement du regret dans les deux mondes. » (Lettre n°214)

Selon l’Imam, puisqu’aimer les bienfaits éphémères est une entrave à toute sorte de bienfaisance, ce type d’amour est donc une maladie cachée. Alors comment l’homme peut-il diagnostiquer cette maladie ? À ce sujet, l’Imam soumet également un test qui est censé nous mettre personnellement à l’épreuve. Selon l’Imam, un fidèle musulman doit créer l’équilibre du monde entre la fortune et la pauvreté. Si Allah accorde la fortune à Son serviteur, ce dernier doit Le remercier et par conséquent utiliser cette fortune dans Son chemin. Par contre, s’Il le soumet à la pauvreté, il doit être satisfait de son état et ne pas se plaindre. Il est très difficile pour l’homme d’acquérir seul ce genre de maturité spirituelle. C’est pourquoi un fidèle musulman doit impérativement côtoyer des personnes pieuses et fidèles et doit chercher à tirer profit de leurs états spirituels :

Pour que l’homme ait cette allure, il est nécessaire qu’il soit élevé au milieu des Rapprochés d’Allah. Si tu as la foi pour participer au prêche (sohbet) de l’un deux, sache que c’est un grand bienfait de la part de ton Seigneur. Donnes-y tout ton intérêt et toute ton attention. » (Lettre n°214)

Ces paroles prononcées à cette époque par l’Imam pour les Rapprochés d’Allah sont également valables pour ceux qui vivent aujourd’hui parmi nous. Pour franchir cette difficile épreuve du monde, nous devons être permanemment auprès d’eux afin d’en profiter. Avec l’espoir de pouvoir suivre les conseils précieux de l’Imam Rabbanî…

 

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