La haute moralité et le bon exemple

Mar 13, 2019 par

Pr. Dr. Hasan Kamil YILMAZ

Le plus excellent modèle (uswa hassana) : telle fut l’une des plus importantes qualités que possédaient tous les prophètes en général et notre Prophète (pbsl) en particulier.1 Les prophètes sont les héros de leur communauté respective en matière référentielle et morale parce qu’au-delà des descriptions théoriques que l’on peut établir, les hommes apprennent davantage d’eux à travers les vertus de leur moralité et des caractéristiques qui les animent ; les hommes s’en aperçoivent et les pratiquent concrètement.

Si seul l’apprentissage théorique de ces règles suffisait, l’envoi de prophètes n’aurait pas été nécessaire. Allah le Très-Haut, par l’intermédiaire d’anges ou bien par d’autres moyens, enverrait des livres comportant les principes de la religion, du bon comportement et de la vie en général ; et les hommes n’auraient plus qu’à se conformer aux lois et aux règles prescrites afin de trouver le droit chemin. Mais Allah le Très-Haut n’a guère procédé de cette manière : Il a envoyé parmi eux des messagers pour leur servir de modèle et leur expliquer le chemin à suivre.2

Par ce verset coranique : « Et tu es certes, d’une moralité éminente »3, Allah le Très-Haut veut particulièrement attirer l’attention sur la haute moralité de l’Envoyé d’Allah (pbsl) et résume en quelque sorte l’objectif capital de son avènement : « Je n’ai été envoyé que pour parfaire la haute moralité » dira le Prophète (pbsl).4

Selon le récit transmis par Al-Ghazalî dans son fameux « Ihya » et relativement à la question « qu’est-ce que la religion ? » qu’un homme posa instamment au Prophète (pbsl) : « C’est la haute moralité » avait-il répondu. Et quand au bout de la troisième fois où l’homme posa la même question à notre Prophète (pbsl), celui-ci se tourna vers lui et lui dit ceci : « Ne comprends-tu donc pas ? La religion signifie qu’il ne faille jamais s’énerver. »5 Quand on lui posa la question : « Qu’est-ce que la malédiction ? » il répondit : « C’est le mauvais tempérament. »6

Selon le Coran et le Sunna du Prophète (pbsl), la haute moralité, c’est l’instauration de la souveraineté d’Allah au fond du cœur de l’homme, c’est « avoir au fond de soi et en permanence la crainte d’Allah ». Cela signifie aussi conclure une digne alliance avec les hommes, accomplir une haute action afin de réparer une faute, ou bien purifier un péché commis.7

À partir du verset coranique et des propos prophétiques précités, il est certes perceptible que la morale soit une question liée à la conscience qui se développe en conséquence sur l’axe de la foi et de la crainte d’Allah. Ainsi, le poète Mehmet Akif déclama les vers suivants :

Ni la science ni la conscience ne donnent à la morale cette éminence,

Le sentiment de vertu chez les hommes provient de la crainte d’Allah.

Si la crainte d’Allah se retirait du cœur,

Ni l’influence de la science ni de la conscience ne pourrait s’y installer définitivement.

La haute moralité est fondée sur le souci de la crainte révérencielle d’Allah et le bon comportement envers autrui. Comme notre Prophète (pbsl) l’a si bien dit, la haute moralité et la générosité sont les premiers traits qui seront déposés sur la Balance.8 Il a montré également que la générosité et le bon tempérament constituent le trait commun des deux valeurs qui agrémentent la dévotion.9 La générosité ne consiste pas à chercher à aider constamment tout le monde, mais à tenter de satisfaire autrui, ne serait-ce que par un sourire, une bonne humeur. Le croyant gagne en honneur grâce la religion, en noblesse par un bon caractère, en générosité par sa raison.10

Le Messager d’Allah (pbsl) a dit : « Même si les actes d’adoration du serviteur ont été peu nombreux, il parviendra néanmoins à un haut degré le Jour du Jugement grâce à sa haute moralité. »11

À propos de ce hadith, le sage Junayd a dit : « Il y a quatre choses qui, même si le savoir et les actes de l’individu sont peu nombreux, peuvent l’amener à atteindre des niveaux élevés. Ces quatre choses traduisent la maturité de la foi et sont la douceur, la modestie, la générosité et la haute moralité. »

Beaucoup sont ceux qui identifient la religion avec la haute moralité et la haute moralité avec le soufisme (tasawwuf ou mystique islamique). Abû Bakr al-Qattânî fut l’une de ces personnes. Selon lui, le soufisme, c’est la haute moralité. Celui qui se parfait quant à sa moralité en l’augmentant bénéficie des avantages qu’apporte le soufisme. Atâ a dit également ceci : « Ceux qui progressent y parviennent toujours grâce à leur haute moralité. Une moralité parvenue à sa maturité est semblable à celle de Muhammad (pbsl). Ainsi, la proximité avec Allah se réalise en suivant la voie du Messager d’Allah (pbsl) et sa haute moralité. »

Conformément à la parole coranique : « Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux »12, le fondement de la foi consiste en la crainte révérencielle d’Allah (taqwâ) et celui de l’islam en la haute moralité.

Al-Hasan al-Basrî, un éminent mystique, définit la haute moralité en ces termes : « Arborer un visage souriant, dire des paroles douces, faire du bien aux gens, s’abstenir du vice. »

Abû Bakr al­-Wasitî, quant à lui, dit à ce sujet : « Ne pas être hostile à autrui, ne pas rendre hostile autrui ; faire tout cela conscient que la connaissance d’Allah est plus étendue. »

Quant à Sahl Tusterî, il l’explique en ces termes : « Être sensible aux supplices qui sont infligés aux gens les plus faibles, ne pas répondre au mal par le mal, avoir compassion même de l’oppresseur, implorer pour son pardon et le traiter avec tendresse. »

Quant à Hallâj al-Mansûr, celui qui fut pendu et lapidé jusqu’à ce que mort s’en suive pour le fait d’avoir déclaré : « Ana’l Haqq » (Je suis la Vérité), a dit au sujet de la haute moralité : « C’est passer outre les supplices que peut vous soumettre le peuple en pensant au Créateur. »

La source du mal chez l’homme, celui qui ordonne constamment le mal, c’est son ego (nafs).13 Ce qui édifie le fondement de la haute moralité, c’est justement de pouvoir diminuer l’influence de son ego. Parce que l’ego de l’homme est encore pire que Satan et même de Pharaon. L’orgueil, la soif des choses matérielles, les désirs sensuels sont autant de traits caractéristiques de l’ego. L’état pondéré de l’ego relève de son incapacité (à nuire). En revanche, il dévoile sa véritable nature lorsque la moindre occasion lui est présentée. Comme on le dit couramment : « Si vous désirez découvrir la vraie nature d’une personne, donnez-lui de l’argent ; rendez-le fortuné ou bien accordez-lui une haute fonction ; donnez-lui le pouvoir et rendez-le puissant, puis observez le comportement qu’il arbore par la suite. Si, avec la puissance économique dont il dispose ou bien avec sa seule force, il fait du bien et se comporte excellemment, c’est une très bonne chose. Dans le cas contraire, son apparence extérieure et son mutisme proviendraient de son impuissance, et non pas en raison de la pureté originelle. »

Gageons que ce qui est important chez l’homme, c’est l’acquisition de la sensibilité au bien et à la beauté en général et également connaître le mal et le péché. La véritable bonté appartient à la haute moralité. Le péché et le mauvais comportement sont des traits qui égratignent le cœur de l’homme et y sèment le malaise.14 Par conséquent, il est nécessaire de ne pas perdre le sentiment de les combattre afin que la haute moralité ne soit pas dévoyée.

Dans son fameux Mathnawî, Jalâl ud-Dîn Rûmî compare l’homme immoral, insociable et négligent à la mule, et celui au caractère doux, doté d’une bonne nature et sociable au chameau :

La mule dit au chameau : « Ô mon bon ami, dans les collines et les vallées et dans les sentiers difficiles, tu ne tombes pas sur la tête, mais tu t’en vas gaiement, tandis que je tombe sur la tête comme celui qui a perdu son chemin. À tout moment, je tombe sur ma face, que ce soit en un lieu sec ou humide. Dis-moi quelle est la cause de cela, afin que je sache comment je dois vivre. »

Il (le chameau) dit : « Mon œil est plus perçant que le tien, en outre, il regarde d’en haut ; quand j’arrive au sommet d’une colline élevée, je regarde attentivement le bout du passage. Alors aussi Dieu révèle à mes yeux toute l’élévation et la dépression du chemin. De sorte que je fais chaque pas avec une vue claire et suis délivré du trébuchement et de la chute, tandis que tu ne vois pas deux ou trois pas en face de toi : tu vois le leurre, mais tu ne perçois pas la souffrance (causée) par le piège. »15

Ainsi donc comparaison est faite entre le chameau cheminant prudemment et le croyant à la bonne moralité, son fondement étant la sociabilité, l’harmonisation.16

Dans son Diwân i-Kabîr, Jalâl ud-Dîn Rûmî relate que le Bien-aimé ne peut être atteint sans posséder une haute moralité :

Afin de parvenir à la Lumière du Bien-aimé,

Il faut tout d’abord avoir un bon tempérament et être sociable,

Si le caractère et le comportement de l’aimant sont revêtus de toute beauté,

Il se sortira du puits dans lequel il est tombé, même si celui-ci est impénétrable.

L’amour est une ville dans laquelle se trouvent toutes sortes de beautés,

Pour préserver ses beautés une citadelle y est nécessaire,

Dans la ville de l’amour, ne laisse surtout pas entrer ceux aux mauvais aspects,

L’amoureux doit avoir un bon comportement, être croyant, être sûr et sincère.

L’amour est la nourriture du cœur, sous le poids de sa douleur,

Parvenir à l’amour, c’est enivrer son cœur.17

L’amour facilite les actes d’adoration et de soumission (à Allah) et enraye la sensation de souffrance et de douleur. La haute moralité ôte les obstacles en remplaçant la colère par la douceur. Parce que la douceur, qui est le fondement de la haute moralité, est plus tranchante que l’élément édificateur de la colère.

Le Messager d’Allah (pbsl) est le meilleur modèle dans ce domaine. Allah le Très-Haut a dit à son encontre : « C’est par quelque miséricorde de la part d’Allah que tu (Muhammad) as été si doux envers eux ! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage. »18

1 Voir Coran, Al-Ahzâb, 33/21; Coran, Al-Mumtahina, 60/4, 6.

2 Voir Coran, Al-Baqara, 2/151 ; Al-Imrân, 3/164 ; Al-Juma, 62/2.

3 Coran, Al-Qalam, 68/4.

4 Muwatta, Husnu’l hulk, 8; Ibn Hanbal, II, 281.

5 Ihyâ, III, 115.

6 Ibn Hanbal, VI, 85 ; Abû Dâwûd, Adab 123,124, hadith n°5162; Tabarâni, Awsat, VI, 38.

7 Tirmidhî, Birr, 55/1987.

8 Tirmidhî, Birr 62 (2003,2004) ; Abû Dâwûd, Adab 8 (4799) ; Ihyâ III, 116.

9 Haysamî, VIII, 20 ; Ali al-Müttakî, Kenzu’l-ummâl, VI, 392.

10 Suyûtî, alJâmiu’sSaghîr, hadith n° 6229.

11 Abû Dâwûd, Adab, 7. Voir aussi Tirmidhî, Birr, 62.

12 Coran, Al-Hujurât, 49/13.

13 Coran, sourate Yûsuf, 12/53.

14 Muslim, Birr, 14,15 ; Tirmidhî, Zuhd,52/2381.

15 Mathnawî, III, 1745-1761 (traduction. E. de Vitray-Meyerovitch).

16 Ibn Mâja, Muqaddima, 6.

17 Jalâl ud-Dîn Rûmî, Diwân i-Kabîr, I, 215 (I, 470).

18 Coran, Al-Imrân, 3/159.

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