D’une société pieuse à une civilisation matérielle

Mar 13, 2019 par

À propos du concept de Medeniyet (civilisation)

Le concept de Medeniyet qui est entré dans notre vocabulaire au 19e siècle est, en arabe, issu du mot « Médina », nom synonyme de ville. Medeniyet se réfère donc à l’urbanisme d’où l’extrapolation en civilisation.

La langue ottomane, dérivée de la langue arabe, a employé ce nom, mais les Arabes ont utilisé à la place le mot « Hadara ».  Pour notre part, en tant que composante de la civilisation islamique, nous avons adopté la formulation « Hadarat al Islam ».

Par conséquent, pourquoi l’exigence de l’emploi de ce mot « dérivé » se fait ressentir depuis un siècle ? Pourquoi ce mot n’a -t-il jamais été employé ni dans la civilisation islamique ni dans aucune autre civilisation existante avant le 19e siècle ? Il nous faut rechercher la réponse dans les évolutions sociales, scientifiques et techniques dans le monde occidental et leurs projections dans le monde islamique.

Les découvertes géographiques en Europe, la Renaissance, la Réforme, la Révolution française et les échanges économiques, sociaux, politiques et scientifiques qui se sont produits à la suite de ces mouvements, expriment un concept : « Civilisation ». Ce concept est selon Cemil Meriç [1] « la première parole exprimant l’espoir que la progression de la foi illumine ces temps. »[2] Le mot a peu de temps après été traduit dans la langue ottomane en « Medeniyet (civilisation) ». Autrement dit, la « civilisation » est autant européenne que l’Europe l’est elle-même.

Il faut utiliser d’abord la notion de « civilisation occidentale » et leur valeur supérieure et leur produit puis celle des autres communautés. C’est ainsi que nous avons la composition de la civilisation islamique.

L’Islam est une religion

L’homme occidental considère sa civilisation comme étant le summum de l’humanité du point de vue du processus évolutif. L’humanité a vécu jusqu’à présente l’enfance et l’adolescence et a atteint maintenant l’âge de la maturité. Ce fait a été mis au jour par les Européens. Voilà l’index de maturité de l’humanité civilisée occidentale. L’humanité n’avait jamais atteint jusqu’à ce jour et n’atteindra plus jamais un tel niveau. Après cet entendement, la thèse de « la fin de l’histoire » est mise au goût du jour par Fukuyama.[3] À ce stade-là, la civilisation occidentale a pris une place centrale renforcée par l’étude de l’histoire de l’historien britannique Arnold Toynbee qui affirme que « l’Islam est une religion n’ayant pas su créer de civilisation ».

Ainsi donc, du point de vue de la civilisation occidentale, l’Islam n’a pas tenté de produire une telle civilisation. En conséquence la civilisation occidentale a été créée avec la mentalité coloniale et l’adoption de notions contraires à l’Islam telles que l’adoration du positivisme scientifique, l’extraction du « cordon ombilical » que représente la foi dans l’invisible et la croyance dans le rationalisme et la consécration de l’intelligence.

L’Islam, quant à lui, privilégie une vision du monde complètement différente. Fârâbî préconise une ville morale, où la vertu surplombe le fardeau, le luxe et la splendeur et non pas une civilisation bâtie sur l’exploitation, une société faisant la juste part avec un équilibre entre les riches et les pauvres et une société modeste.

C’est vrai que le sens réel de l’Islam est religieux. Le but essentiel d’une religion est que l’homme parvienne à garder très fort le lien qui le lie à Allah. C’est pour cela que l’Islam a donné aux croyants une foi pure et simple, l’amour, la servitude en pleine conscience. Un autre objet de la religion est de créer un fort lien de fraternité entre les croyants. De ce point de vue, l’Islam a connu un franc succès.

C’est ainsi que Louis Gardet, un des penseurs occidentaux majeurs, s’exprime : « Ce que le monde islamique a vécu et vit même peu, c’est qu’il a suivi le collectif et a rencontré deux événements. Tout d’abord, le lien qui unit les musulmans conscients de l’existence de ce lien et le fait de l’insérer dans la communauté ».[4]

Encore une fois, cette religion, pour ne parler que de l’aspect moral, dispose d’un système de valeurs morales qui peut ceindre toute l’humanité en l’orientant vers le bien. Les musulmans ont créé une littérature juridique très riche permettant d’assurer l’équité, les droits de l’homme et l’établissement d’un ordre social entre les humains. En ce sens, Muhammed Abed al Jabri[5] a appelé l’Islam  » Pensée de la civilisation ».

L’Islam a un passé brillant en matière d’action économique communautaire, de solidarité entre les peuples et d’instauration d’institutions à cet effet. En outre, les musulmans depuis le début ont des activités scientifiques intensives. Ils ont relu le monde grâce à la préservation de la lumière de la Révélation.

Non seulement les sciences islamiques, mais des sciences telles que la philosophie, la médecine, les mathématiques ont enregistré des progrès significatifs. Pendant ce temps, l’héritage des civilisations anciennes ont été révisées. L’Islam centré sur le monothéisme donne à l’éducation, l’architecture, l’art et la littérature leur originalité. Toutes ces activités, là où il y avait une prétendue civilisation, ont été établies de façon brillante par la civilisation musulmane. Ainsi on comprend que le jugement de Toynbee plaçant la civilisation occidentale au-dessus des autres civilisations n’est rien d’autre qu’un point de vue partisan

L’Islam, notamment l’histoire de la religion et des civilisations, ainsi que la philosophie, ont été considérés comme une occasion, avec pour base des gens vertueux, de construire une société vertueuse. L’Occident a transformé sa compréhension laïque et positiviste en sortant d’une société de technologie et composant avec les découvertes musulmanes, grecques ou d’autres civilisations.

Il n’est plus rien resté d’autre qu’un monstre

Al Jabri juge bon d’appeler la civilisation occidentale « civilisation de la technologie » parce que le plus important point qui la diffère des autres civilisations est le progrès technologique. On doit soulever ici cette analyse : les Européens qui se sont ouverts sur le monde par le biais du colonialisme et de l’impérialisme se sont aperçus après un court moment que ce qu’ils considéraient comme étant la civilisation (la mentalité de développement, la maturité morale, et toutes les subtilités du comportement, ajoutés aux œuvres d’art exceptionnelles et aux  étonnants produits techniques) se trouvaient dans les caractéristiques du panel des peuplades barbares[6]. Tout cela étant tombé dans les mains de l’Occident, il ne restait plus que le développement technologique.

Les musulmans, en dévoilant leurs activités scientifiques, les principes sociaux et les œuvres littéraires et artistiques, ont permis une avancée considérable dans l’histoire de l’humanité.  Cependant, les savants musulmans n’ont pas, comme la civilisation occidentale l’avait fait, transformés les bienfaits de la technique scientifique en moyen de simplification de la vie.

Selon Roger Garaudy, les musulmans n’ont pas trop considéré le développement technologique. Ceci a trait au fait que de nos jours la civilisation actuelle conduit l’humanité au bord du suicide à cause de la technologie, elle est responsable de milliers de catastrophes. Les savants musulmans, avec leur refus de reconnaître la technologie, en retardent le développement et ont ainsi prolongé la vie de l’humanité d’au moins deux cents à trois cents ans.

En fait, la civilisation occidentale, nichée dans la civilisation grecque, pensait différemment en matière de technologie. Selon elle, la science et la philosophie étaient un bienfait. Les individus dans la société devaient avoir une valeur supérieure pour être orientés vers sa propagation. C’est pour cette raison que les philosophes grecs utilisèrent les intérêts matériels de la science et de la philosophie et considérèrent comme une persécution les techniques de numérisation en condamnant ceux qui le faisaient. En effet, ils virent dans l’Islam une vertu exclusive, et en particulier dans l’histoire des sciences des religions et des civilisations, ainsi que dans la philosophie ; dans tout cela donc l’occasion de bâtir une société vertueuse. L’Occident a transformé sa compréhension laïque et positiviste en sortant d’une société de technologie et composant avec les découvertes musulmanes, grecques ou provenant d’autres civilisations.

En lieu et place d’une société vertueuse, Ismet Özel affirme « qu’Il (l’Occident) a apporté une civilisation matérielle» [7]. Jour après jour, nos maisons, nos rues ont été remplies de fond en comble par des amas de ferrailles, véritables cadeaux faits à l’humanité. Tout cela naturellement eut pour vocation d’investir la vie privée puis faire du monde une décharge pleine.

Mehmet Akif a fait une analogie fort intéressante : « Il n’est plus rien resté d’autre qu’un monstre ». La signification du mot civilisation qu’emploie Akif est-elle la transformation de l’expression « civilisation occidentale » en « il n’est plus rien resté « ?

Selon l’interprétation d’Ibrahim Demirci, la seule source qui inspire le discours de l’Occident est : « Technologie = Leadership ».

[1]                    Écrivain, poète et penseur turc né le 12 Décembre 1916 à Reyhanli et mort le 13 Juin 1987 à Istanbul.

[2]                   Ümrandan Uygarlığa, page 81 (en turc).

[3]                 Francis Fukuyama, né le 27 octobre 1952, à Chicago, est un philosophe, économiste et chercheur en sciences politiques américain. Auteur entre autres de : « La Fin de l’Histoire et le dernier homme (« The End of History and the Last Man »).

[4]                 Şerif Mardin, Din ve İdeoloji, s. 74.

[5]                Mohamed Abed Al-Jabri, né le 27 décembre 1935 à Figuig et mort le 3 mai 2010 à Casablanca, est un philosophe marocain et un spécialiste de la pensée du monde arabe et musulman, depuis ses origines et jusqu’à nos jours.

[6]                   İsmet Özel, Üç Mesele, s. 128.

[7]                Zor Zamanda Konuşmak, s. 136.

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