De quoi le voile islamique est-il le symbole ?

Mar 13, 2019 par

Ahmet Taşgetiren

En Yougoslavie, à l’époque du gouvernement socialiste de Tito…

La gestion du pouvoir présentait une structure fédérative et regroupait à cet effet le Kosovo, la Macédoine, la Bosnie, la Serbie. Sur ces terres vivaient d’importantes communautés musulmanes.

Tito, dans le cadre de l’application de ses projets socialistes, décréta un jour une loi sur « la suppression de tout port de voile » à l’encontre des femmes musulmanes.

Les femmes devaient ôter leur voile et participer aux projets relatifs à la construction de la civilisation socialiste !!!

Nous avons eu l’occasion de nous informer auprès d’un musulman qui a vécu les réactions causées par ladite loi dans la ville de Tetovo en Macédoine.

– Des femmes musulmanes résidant dans la même rue se sont dit au revoir, nous a-t-il dit. Désormais, elles ne sortiraient plus de chez elles et ne se reverraient peut-être plus jusqu’à la mort. C’est de tels traumatismes qu’elles vécurent, c’est à ce point qu’elles furent opprimées.

Franz Fanon raconte un autre fait dans son ouvrage intitulé « Anatomie de la guerre d’indépendance d’Algérie ».

Jusqu’aux années 1960, l’Algérie était une colonie française. Les Français, dans le cadre de leur « projet axial d’occidentalisation » commencèrent par des applications exigeant des femmes le retrait de leur voile. C’était la politique de la carotte et du bâton. Ce projet visait préalablement les épouses voilées des fonctionnaires de l’État. Le fonctionnaire qui avait réussi à persuader son épouse d’ôter son voile se voyait bénéficier d’un avancement, tandis que celui qui n’avait pas réussi était rabaissé en conséquence. Des cérémonies privées de « retrait de voiles » étaient organisées à l’intention de tous ceux qui avaient réussi dans ce sens.

La femme algérienne s’était engagée dans la guerre en réaction à cette colonisation.

Franz Fanon évoque cette épopée de la femme algérienne.

Il n’existe personne qui ne connaît pas Marash’i, l’imam crémier.

Ceci est une expérience propre à la Turquie.

Cette fois les soldats français étaient présents en tant qu’occupants. Ils s’installèrent en ville et commencèrent à patrouiller en compagnie de groupes d’Arméniens autochtones.

Une patrouille aperçut des femmes voilées et couvertes qui sortaient du hammam Uzunoluk. Les membres de la patrouille agacèrent les femmes en leur disant : « Enlevez vos voiles afin que nous puissions voir vos beaux visages. » Mais les femmes résistèrent. Le grand-père, crémier de son état, assista à la scène dans son magasin et en fut très fustigé. Il prit son pistolet et évidemment….

Ce qui fera de Marash’i un « héros national » avait été déclenché…

Dans la même veine, la chère Nene Hatun demeure une héroïne quant à cette question de voile qui est le symbole de la femme anatolienne.

Celles qui ont tiré des charrettes, qui ont fabriqué des bus, qui se sont occupées de leurs enfants étaient toutes des femmes voilées, et si les soldats les attaquaient, la première chose qu’elles faisaient était de protéger leur voilette au risque de leur vie.

Aujourd’hui, quelques 80 années plus tard, les mères qui envoient leurs enfants à l’armée et qui, dans le pire des cas, les accueillent en larmes dans un cercueil sur lequel elles se penchent sont toutes pour la plupart des femmes voilées.

Des individus vivant dans la Turquie actuelle peuvent considérer comme étant une résistance insignifiante le fait que des femmes de Titovo décident de s’enfermer chez elles en se saluant peut-être une dernière fois de peur d’être forcées à enlever leur voile, le fait que des femmes soient des obstacles à l’évolution de leurs maris et que des femmes, tel l’épisode de Marash’i, « protègent leurs beaux visages du regard des occupants ».

D’aucuns peuvent penser que « ces pays auraient pu être modernisés très rapidement si ces femmes avaient accepté d’obéir aux ordres des colonisateurs et des despotes ».

Aujourd’hui des personnes se veulent être attirées par l’autre sexe et de ce fait peuvent concevoir l’exposition du corps comme étant l’indice de la modernité.

De nos jours, pour certains, la présentation de la sexualité dans sa manière la plus rudimentaire est une chose normale : « se garder de présenter d’afficher la couleur de ses cheveux » peut être perçu comme un non-sens.

Mais la conception du voile chez la « femme musulmane » se présente ainsi…

Ou bien le voile s’est imprégné dans le cœur de la femme musulmane et celui de la société sous l’expression d’un noumène aussi profond…

Aujourd’hui, en Turquie, les gens qui se posent la question suivante : « Pourquoi les débats autour du voile s’intensifient-ils ? Ce pays, n’a-t-il pas d’autres problèmes à régler en dehors de celui du voile ? » eh bien cela signifie tout bonnement qu’ils n’ont pas compris la profondeur sociale et culturelle du voile.

Le pire est qu’ils ne sont pas informés de l’existence des politiques antivoiles qui fusionnent avec les politiques impérialistes évoquées précédemment.

En vérité, la totalité des politiques de « réduction de l’islam » en application dans les pays musulmans est évaluée avec les politiques impérialistes auprès de ces sociétés. Les sociétés islamiques sont en tout temps exposés à ces types de politiques hypothétiques.

– La question : « Quel mal préjudiciable voyez-vous dans l’islam ? » fut posée.

En réalité, des questions comme : « Quelle est la logique de l’interdiction du port du voile ? Cette interdiction correspond à quel type de problème et dans quel pays musulman ? Et quel problème dans quel pays musulman sera résolu quand bien même les femmes abandonneraient le port du voile ? » sont réellement des questions qui devraient être posées.

Avec l’interdiction du port du voile, le climat de tension qui couvre la Turquie depuis des dizaines d’années est un fait avéré.

Si cette interdiction n’avait pas vu le jour, il est évident que la Turquie n’aurait pas pu connaître une tension de cette nature.

Pourquoi donc cette interdiction ?

La réponse est claire et nette : nous vivons un problème dans notre rapport avec l’islam.

En aucun cas nous ne parvenons à déterminer là où inclure l’islam.

Et puis après, où allons-nous inclure le Coran ?

Et alors que ferons-nous de notre relation avec Dieu ?

Si nous rejetons tout cela, ça ne partira pas ; si nous voulons vendre tout cela aussi, ça ne s’achètera pas.

Pourquoi ? Parce que l’islam s’est mélangé à la terre de ce pays et a commencé à circuler comme un produit introduisant la vitalité dans les veines de cette société.

Le Coran est devenu le livre de ce peuple.

Allah est le Seigneur Absolu, le Dieu Absolu et le Refuge Absolu de ce peuple…

Alors le problème se pose dans cette question : « Qu’allez-vous faire du peuple ? »

Mais oui, que ferez-vous du peuple ?

Le peuple ne se détache pas de Dieu, le peuple ne se détache pas du Coran, le peuple ne se détache pas de l’islam.

Dans une telle intégration, comment allez-vous pouvoir distinguer le monde des valeurs propres au peuple ?

La Turquie en vit la douleur.

La Turquie vit la douleur de l’opération chirurgicale consistant à séparer la chair qui colle à l’ongle.

Elle ne s’en sortira pas comme cela.

D’ailleurs nous ne pouvons pas nous en sortir comme cela.

Le port du voile est une condition humaine.

Il existe partout où vit l’homme.

Toutes les sociétés civilisées se sont couvertes elles-mêmes.

L’islam et les autres religions sémitiques qui l’ont précédé recommandaient à ces fidèles de se couvrir.

Le verdict du Coran dans ce domaine est ainsi compris et vécu depuis 14 siècles et a pénétré dans les foyers.

Cependant, le port du voile, au-delà du fait de se couvrir la tête et de s’habiller en rapport, est un cadre de confidentialité que l’islam a apporté au monde de la femme et de l’homme en empêchant qu’il y ait une représentation indigne de la sexualité.

C’est une dimension importante d’un modèle de vie que l’islam a instauré.

Oui, c’est une partie de l’ensemble des mesures apportées dans le domaine de la sexualité qui est une des orientations innées de l’homme.

Jouer avec le port du voile signifie jouer avec tout le modèle de vie d’une société musulmane, voire même l’ébranler.

Cependant la volonté de vouloir changer les mesures du port du voile signifie soit « l’interprétation d’une nouvelle religion » soit une pression extérieure sur les personnes croyantes.

Que ce soit l’un ou l’autre cas, c’est inacceptable.

Si c’est le cas de « l’interprétation d’une nouvelle religion », disons que cela ne peut pas être cohérent du point de vue de la laïcité. Quelle conception de la laïcité donne-t-elle le droit à un pouvoir politique de vouloir réformer une religion ? Ceci n’est-il pas une activité en étroit rapport avec la religion ? Du moment que l’interprétation d’une religion se fasse par l’intermédiaire des savants spécialistes de ladite religion, est-il acceptable que des institutions ou des individus agissant au nom de la laïcité agissent ainsi ?

Quant à la pression exercée sur les croyants…

Aujourd’hui, dans un monde défenseur des libertés, de qui cela peut-il être le droit ?

Voir légitimer une telle pression ne met-elle pas à jour la question de savoir dans quel domaine de la vie la religion et le religieux peuvent être libres ? La volonté dominante qui vient fourrer son nez dans n’importe quel endroit qu’elle désire, cela est-il accordable avec les droits de l’homme ?

Ne pas porter le voile n’est en aucun cas une règle universelle.

Il n’existe pas non plus de « limite d’ouverture moderne standard ». En d’autres termes, il n’y a pas de réponse à la question : « Quelle tenue transparente est-elle symbole de modernité ? » Pour ce fait, l’insistance en faveur du non-port du voile est pleinement le produit d’un discours moderniste arbitraire. Il n’est donc pas raisonnable d’attendre que les gens obéissent à ces discours arbitraires pour renoncer aux valeurs de leur propre religion.

Il faut noter également que le rapport de l’application laïque avec la religion, comme le fait d’intervenir dans les domaines sociétaux les plus sensibles, tel le port du voile, traînera peut-être la laïcité dans un état le plus indéfendable qui soit.

Que cela soit la dernière parole :

La Turquie doit résoudre ce problème sans détériorer la relation État-société.

La Turquie doit instituer des relations plus saines avec l’islam, parce que l’islam est une valeur incontournable de la Turquie et la source principale de l’énergie qui alimente son âme.

Le problème majeur, c’est l’interprétation de la religion et de la laïcité.

La mesure importante de douleurs que nous vivons en Turquie se résume sur « l’interprétation de la laïcité ».

En réalité, l’interprétation de la laïcité est partout dans le monde source de vive polémique.

Le sujet en Turquie est davantage polémique en raison « des conditions particulières à la Turquie »

Pourquoi la laïcité fait-elle l’objet d’un tel sujet de discussion dans le monde ?

A cause de la prévision des accommodements relatifs au « domaine religieux » qui est le centre de configuration des plus importantes appartenances de l’homme et des sociétés… Parce qu’en général les accommodements portent des qualités de « délimitation », et les hommes, dans le domaine de l’appartenance la plus fondamentale, se sentent mal à l’aise avec ces délimitations.

Dans le cadre de la délimitation, l’expression « des conditions particulières à la Turquie » est employée beaucoup plus dans le domaine religieux par la laïcité en Turquie.

Parce qu’en Turquie la religion du peuple, c’est l’islam, et l’islam apporte les principes relatifs à la vie sociale.

– Alors, les gens, se conforment-ils à ces principes ou pas ? Combien d’entre eux doivent-ils s’y conformer ou ne pas s’y conformer ?

Les discussions relatives à la laïcité apparaissent également un peu dans cet axe :

– La laïcité, que délimite-t-elle au sujet de la religion ?

L’une des réponses données est la suivante :

– Quand les gens optent pour une religion, qu’ils n’interviennent pas dans le domaine de liberté de ceux qui optent pour une religion différente.

– Les individus, surtout ceux qui appartiennent à la même religion, qu’ils ne s’opposent pas à ceux qui font des interprétations différentes de cette religion.

– Que l’État ne réagisse pas au nom d’une religion déterminée, qu’il n’en impose pas non plus.

Une autre réponse est la suivante :

– La religion, c’est-à-dire la volonté divine, qu’elle renonce désormais à la prétention d’établir des mesures concernant la vie sociale. Qu’elle laisse ce domaine à l’homme. Que l’homme trace son propre chemin avec la science et sa raison.

La première interprétation de la laïcité est en général moins discutée et est conçue comme un disciple qui prône pour l’excitabilité de la « liberté ». (Ici la différence de l’islam, c’est l’appel à la bienfaisance qu’il donne aux hommes ; son apparition en tant que religion recommandant le bien et proscrivant toute malfaisance.)

La deuxième interprétation, en tant que principe, expose une approche problématique avec la religion. Cette approche se donne pour but de restreindre immédiatement le domaine religieux sans aucune limite. La religion est un fait « relevant du cœur », elle se réduit au « domaine privé ». Elle (l’approche) prévoit une restriction particulière de la relation de l’homme avec son Créateur. Dans cette interprétation, la question « quelle sera la place de la religion dans la vie de l’homme ? » n’a même pas de réponse nette, parce que ce domaine est perçu comme un domaine ouvert à l’intervention de la volonté publique.

En Turquie, quel type d’interprétation de la laïcité est dominant ?

La position de la République de Turquie sur ce point n’est pas clarifiée depuis le début. La laïcité est sanctifiée en tant que principe le plus fondamental, mais des différences sont enregistrées autour de la question « quelle sera sa vision ? » D’un côté une république attenante à la religion et de l’autre côté une considération de la religion reliée à l’État ; d’un côté la pression de réforme religieuse de l’État et de l’autre côté des discours et commentaires défenseurs de liberté… tout cela vécu période par période…

L’interprétation tirée de la décision de la Cour suprême quant au port du voile est beaucoup plus proche dans le second cas. Tout en « disqualifiant la religion dans la sphère publique », cela a contribué à faire émerger un modèle de relation encore plus problématique.

On remarque d’une part qu’il existe différentes interprétations dans le domaine judiciaire, politique, bureaucratique, et d’autre part qu’il existe des interprétations diverses à l’intérieur de chaque unité.

Par exemple, si la composition des membres de la Cour suprême changeait, on parlerait également de la possibilité d’un changement d’interprétation quant à la laïcité. En effet, les différentes interprétations des membres restants et s’opposant à la décision relative au port du voile veulent indiquer par là une perspective de laïcité très différente.

A présent retournons à la question la plus importante sur ce sujet :

Le peuple peut-il donner une interprétation de la laïcité ?

Apparemment c’est la question qui se présente rarement dans les débats…

Quelle en est alors la raison ?

Ou bien est-ce parce qu’aucun de nous pense que le peuple n’est pas capable de donner une interprétation de la laïcité ?

Peut-être bien qu’une partie d’entre nous, au motif que « le peuple n’a pas droit à cela » alors qu’une autre partie pense que « l’on n’accorde pas ce droit au peuple », nous nous abstenons de poser cette question.

Comment se fait-il que 70% des membres de la société « désirant que la liberté de porter le voile dans chaque domaine de la vie soit une chose acquise » ne portent aucun sens dans les débats ?

La question que nous avons posée n’est-elle pas aussi en même temps un appel à l’interprétation d’« une laïcité démocratique » ? C’est-à-dire une concordance entre la démocratie et la laïcité qui sont les deux principes fondamentaux de la constitution…

Ou bien dans l’interprétation de la laïcité n’y a-t-il pas de place pour la démocratie ?

Ou bien dans l’interprétation de la laïcité est-ce le langage jacobin qui doit être dominant ?

A mon sens, la Turquie traverse une importante période de conscientisation. Ces questions sont également le fruit du climat de cette conscience…

La société posera la question, et la posera encore et encore…

Chacun fera l’explication du point sur lequel il s’est arrêté. Il n’y a pas d’autre solution. Le monde est désormais ainsi…

 

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