De l’importance de la compassion envers les créatures d’Allah

Mar 12, 2019 par

OSMAN NURİ TOPBAŞ

Sheikh Sadi Shirazî (qu’Allah sanctifie son secret) nous raconte à travers une histoire comment doit être le coeur du croyant.

 » Une année, une telle famine sévissait à Damas que les amoureux avaient oublié d’être amoureux. Le ciel était si avare envers la terre qu’il ne lui envoya pas une seule goutte de pluie. Les cultures s’asséchèrent. Toutes les sources se tarirent. La seule eau qui coulait était les larmes des indigents. C’est dans ces conditions qu’un jour j’eus la visite d’un ami très proche. Il n’avait que la peau sur les os alors que c’était un homme riche et puissant. Habituellement de forte corpulence, il possédait gloire et honneur. Fort étonné de le voir dans cet état, je lui demandais :

— Oh, mon bon ami, que t’est-il donc arrivé ? Quel malheur t’a frappé ? Dis-moi la raison de cette maigreur, de cette pâleur et de cette tristesse.

Mon ami fut si triste quand j’eus prononcé ces paroles qu’il me regarda d’un air interloqué tout en me répondant :

— Mon ami, si tu ignores l’état de ma tristesse, quelle insouciance de ta part ! Et si tu le sais, pourquoi me poses-tu la question ? Ne vois-tu pas le point de non-retour ? Aucune goutte ne tombe du ciel alors que nous n’entendons que des cris de douleur s’élever au ciel.

Je lui répondis :

— Je sais tout cela, mais pourquoi cette famine t’afflige-t-elle autant ? Tu possèdes tout selon ton bon plaisir. Si les autres meurent de faim, qu’est-ce que cela peut bien te faire ?

Là-dessus mon ami me regarda d’un regard significatif et naïf (comme quand un homme pieux regarde un ignorant) et me dit :

— Imagine que je sois au bord de la mer et qu’au loin j’aperçoive mes amis en train de se noyer. Comment pourrais-je alors demeurer tranquille ? La pâleur de mon visage est due à la misère de mon peuple. C’est l’état des nécessiteux et des miséreux qui m’a conduit à mon état présent. Quiconque a une conscience ne souhaite en aucun cas voire une blessure sur son corps. Par conséquent il est logique qu’il ne désire pas la voir sur les créatures d’Allah. Grâce à Allah je n’ai aucune blessure, mais les souffrances qu’endurent mes semblables font trembler toute mon âme. Si quelqu’un se trouve à côté d’une personne malade, même s’il est en bonne santé, peut-il être vraiment de bonne humeur ?

Lorsque je vois l’état de ces miséreux, je ne puis plus rien avaler car tout se bloque dans ma gorge. C’est comme si j’avalais du poison. Comment quelqu’un peut-il jouir du bonheur alors que son peuple se trouve dans une grande misère ? Lorsque je vois une personne pleurer, mes yeux pleurent aussi. Le croyant dont l’âme ressent les souffrances d’autrui sentira dans son coeur une sorte d’ébullition apocalyptique. Ce ressentiment qu’il éprouve le mènera jusqu’au seuil de la porte d’Allah. On ne peut savoir quel secret lui sera confié ou quelle extraordinaire sagesse lui sera montrée.  »

La foi, c’est ressentir l’affection du vrai. Mériter cet amour ne peut se faire que si l’on a la capacité et le désir de recevoir l’amour d’Allah. Celui qui aime doit pouvoir aussi aimer les choses que l’être aimé aime. La personne aimante aimera aussi ce qu’Allah aime. L’amour que l’on éprouve envers Allah nous conduit par la même occasion à aimer le Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui), les gens de sa maison (ahl al-bayt), ses Compagnons, les amis proches d’Allah et ensuite toutes les autres créatures.

Yunus Emre (qu’Allah sanctifie son secret), à travers son « aimons, soyons aimés… » et sa conversation avec la fleur jaune, nous interpelle sur le rapport d’émerveillement qui existe entre la nature créée par Allah et l’homme.

Au cours de ses premières années d’enseignement, Cheikh Baha’uddîn Naqshband (qu’Allah sanctifie son secret) s’occupait d’animaux et il lui arrivait de les entendre louer Allah et Lui adresser des sollicitations. Pour lui, c’était un immense plaisir de les entendre ainsi implorer et cela lui apportait un bien spirituel considérable.

Lorsqu’il tendait la main pour cueillir des fleurs, Mahmud Aziz Hüdayî (qu’Allah sanctifie son secret) les entendait s’adonner au dhikr (rappel d’Allah) et par conséquent n’en pouvait cueillir qu’une seule.

Pour les bien-aimés d’Allah, il n’y a aucune créature qui ne soit sans valeur ou inutile sur terre. Toutes les créatures sont l’oeuvre parfaite du Créateur car chacune d’elle témoigne de la grandeur d’Allah. C’est pour cette raison que les amoureux d’Allah regardent ce monde avec des yeux observateurs en tirant des leçons de ce qui les entourent, ne pouvant qu’être admiratifs devant ce qu’ils contemplent.

UN REGARD MISÉRICORDIEUX

Muhyiddîn Ibn ‘Arabî (qu’Allah sanctifie son secret) nous rapporte ceci :

« Aie de la compassion envers toutes les créatures d’Allah. Répand la miséricorde et la compassion envers tout ce qui vit. Et surtout ne dis pas : « Ce n’est que de l’herbe, ça n’a pas de vie, donc ça ne sert à rien. » Bien au contraire, c’est loin de ce que tu imagines, elle a son utilité et possède des bienfaits que tu ignores. Laisse tel quel ce qui a été créé et toi aie de la compassion à l’instar du Créateur. »

La compassion est le premier fruit de la foi accomplie. La compassion, c’est le fait d’offrir ce que l’on possède à celui qui est plus démuni que soi. Quand la foi de l’homme atteint une certaine sagesse, sa compassion devient si grande qu’il est capable d’embrasser toutes les créatures terrestres.

Celui qui aime son Seigneur aime aussi Ses créatures. Celui qui est le serviteur du Seigneur est aussi l’ami de Ses créatures. Observer tout ce qui nous entoure avec des yeux admiratifs, emplis de compassion et de sagesse, nous conduira nécessairement jusqu’au pinacle de la morale divine.

Notre prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui), envoyé à toute l’humanité, nous rapporte ceci :

« Allah le Très-Haut a divisé Sa miséricorde en cent parties. Il en a retenu quatre-vingt-dix-neuf et en a descendu une petite sur terre. Et c’est à cause de cette infime partie de miséricorde descendue sur terre que les créatures éprouvent de la compassion entre elles. En effet, lorsque la jument allaite son poulain, elle lève sa patte pour ne pas le blesser, et ceci est une oeuvre de miséricorde. » (Al-Bukhârî, Adab, 19, Tawba, 17).

La personne dont la foi se glorifie de la morale divine sera toujours indulgente vis-à-vis des créatures d’Allah. Elle essaiera d’atteindre par sa compassion et sa sagesse tout ce qui sera en sa mesure et se trouvera toujours aux côtés des plus démunis. Lorsque la foi du croyant augmente, il est en état d’englober dans son coeur toutes les créatures et ce en faisant montre de la plus grande tendresse. Dans cette situation, le croyant est à même de devenir un amoureux véritable tout en demeurant un véritable serviteur d’Allah.

Les bien-aimés d’Allah se comportent avec décence envers toutes les créatures. Par exemple, ils ont tendance à regarder avec admiration la créature la plus vénérable qui soit, à savoir l’homme, le « vicaire d’Allah sur terre ». Ils s’approcheront de lui sachant qu’un secret divin lui a été insufflé.

C’est pour cette raison que notre religion nous oblige à le respecter (autant l’homme vivant que l’homme mort). Lorsque notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) voyait un homme mort, qu’il fût musulman ou non, il demandait toujours à ce que le corps soit enterré le plus rapidement possible. Dans notre religion, par respect pour le genre humain, il est recommandé de ne pas laver le corps du défunt avec de l’eau très froide ou très chaude, de ne pas le malmener, de ne pas marcher sur les tombes ou encore de ne pas afficher des attitudes irrespectueuses dans les cimetières.

Aujourd’hui, le corps du défunt demeure à la morgue ou dans un dépôt réfrigéré pour que les proches et les amis qui vivent au loin puissent participer à la cérémonie ; quant à cela, il est important de souligner qu’il s’agit pour le défunt d’une réelle souffrance. En conséquence, notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) nous recommande d’être très rapide dans le transport du corps et de se hâter de l’enterrer.

D’un autre côté, les croyants pieux qui sont capables de regarder avec compassion les créatures d’Allah ne tourneront jamais le dos au pécheur noyé dans ses péchés parce qu’ils savent ce que ce pécheur représente en son essence : une créature parfaite. Ils souhaitent ardemment que ce pécheur se dirige vers la rédemption, le pardon d’Allah, espérant être une bouée de secours pour qu’il puisse aller au Paradis. Voici un exemple qui démontre bien cet état de fait :

Pendant qu’un discours avait lieu dans le couvent de Mawlana (Jalal-ud-Dîn Rûmî – qu’Allah bénisse son secret –), nous vîmes arriver un ivrogne. Les derviches qui se trouvaient là le malmenèrent pour le faire sortir. Mawlana (qu’Allah bénisse son secret) le vit comme une personne perdue cherchant la vérité et voulant se réfugier dans son couvent. Il interpella les derviches, disant :

— C’est lui qui a bu de l’alcool, mais c’est vous qui êtes ivres !

Regarder les créatures d’Allah avec compassion, ce n’est pas transformer sa haine du péché en haine du pécheur, mais mettre sa colère de côté tout en faisant montre de compassion. Quant aux personnes démunies de foi ou qui courent après les désirs de ce monde d’ici-bas, inutile de leur cracher un venin de serpent, mais au contraire il est nécessaire de s’approcher d’elles en faisant montre d’humilité afin de gagner leurs cœurs.

Le devoir du croyant n’est pas d’être irrité contre le pécheur en l’abandonnant ou en lui criant dessus, mais au contraire il doit lui tenir la main et lui montrer le droit chemin.

Mawlana (qu’Allah bénisse son secret) a dit ceci :

 » Viens, viens, qui que tu sois viens, viens… » Tel un leitmotiv il nous invite à rencontrer le trésor intérieur qui sommeille en chacun de nous, purifiant nos coeurs par la compassion et la miséricorde afin de parvenir au summum de la foi. Le coeur du croyant pieux est comme un centre de réhabilitation pour coeurs malades.

Mutarrif Ibn Abdullah, un grand savant spécialiste du Fiqh et du Hadith, rapporte ceci :

 » Dans l’éventualité qu’une personne n’éprouve aucune compassion pour un pécheur, elle doit néanmoins faire des invocations (douas) en sa faveur et lui souhaiter qu’il fasse acte de repentance (tawba). D’autant plus que demander pardon en faveur des créatures terrestres est l’attitude des anges.  »

De telles personnes sont les véritables serviteurs d’Allah et les amis des croyants. Leur amitié à leur égard est grande. Elle est même si grande que leur unique but est de sauver l’humanité.

Comment reconnaît-on un bien-aimé d’Allah ? Quels sont ses signes ? Abû Abdullah al-Basrî nous répond en ces termes :

 » Le bien-aimé d’Allah est celui qui possède une bonne parole, une bonne morale et qui sait accepter le pardon d’autrui. De bonne grâce ou pas, il sait regarder l’humanité avec compassion et miséricorde.  »

Effectivement, le coeur du croyant pieux est heureux lorsqu’une personne est sauvée et triste lorsque se manifeste un déclin spirituel. Son coeur est plein de bonté et en aucun cas il ne voudrait voir périr un individu, fût-il son ennemi. C’est pour cette raison qu’il ne désire pas le mal pour qui que ce soit, mais au contraire son plus cher désir est le salut de l’humanité.

Lorsqu’il était à Ta’if sous les jets de pierres, notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) adressa néanmoins ses invocations à son Seigneur, ne désirant aucunement l’anéantissement de ce peuple mais son salut.

Dans la sourate Yâ-Sîn se trouve un récit mentionnant Habib al-Najjar où on le voit dire à des gens qui lui lancent des pierres :

« … Ah si seulement mon peuple savait ! … en raison de quoi mon Seigneur m’a pardonné et mis au nombre des honorés1. « 

Voici l’attitude d’un croyant qui avant de tomber martyr fait une invocation en faveur de son peuple pour que celui-ci trouve le droit chemin. Voici le coeur d’un croyant rempli de compassion pour son peuple.

LA MORALE DIVINE

Les biens-aimés d’Allah prennent pour modèle les deux qualificatifs d’Allah « ar-Rahman » (le Miséricordieux) et « ar-Rahim » (le Clément) et les appliquent dans leur vie. En effet, au lieu de punir ou de rendre « oeil pour oeil et dent pour dent » les erreurs et les défauts commis à leur égard, ils préfèrent pardonner. C’est en pardonnant à ses semblables qu’on peut espérer recevoir le pardon divin. Voici un récit qui résume bien ces propos :

 » Un jour un homme se conduisit grossièrement envers Shah Naqsband (qu’Allah bénisse son secret). Ce dernier ne lui répondit pas et esquiva seulement un sourire. Un grand malheur s’abattit ensuite sur cet homme grossier jusqu’au point de contempler sa propre destruction. Il comprit son erreur et demanda pardon au Sheikh.

Alors qu’il passait un jour devant la maison du Sheikh, il décida d’y entrer pour prendre de ses nouvelles. Puis le Sheikh lui dit :

— Qu’Allah t’accorde la guérison. Ne crains rien, tu vas guérir inch’Allah !

L’homme répondit :

— Maître ! J’ai été grossier avec vous, je vous ai blessé, pardonnez-moi !

Shah Naqshband lui dit alors :

— Certes mon coeur fut blessé à ce moment-là, mais maintenant il brille comme un miroir. Sache que les guides sont comme des sabres ; c’est celui qui s’y frotte en cherchant des ennuis qui risque de se couper. Autrement le guide est rempli de compassion. »

Si nous savons regarder (les choses) selon la mesure du regard divin, nous pouvons facilement nous infléchir aux ennuis et tracas des gens. Nous pardonnons, nous compatissons et nous devenons plus tolérants. C’est la morale divine. C’est ce qu’Allah exige de nous. Notre Seigneur est miséricordieux. En effet, même s’il y a sur terre des gens qui se révoltent constamment contre Lui, Il sait être patient en leur accordant en outre des bienfaits en grand nombre. Allah suscite même des occasions pour leur pardonner et ce afin qu’ils changent de comportement et qu’ils entrent au Paradis. Les serviteurs d’Allah tentent aussi d’agir pareillement : ils pardonnent et s’investissent personnellement pour que les personnes égarées reprennent le bon chemin. Ils ne sont pas égoïstes mais philanthropes, ils ne veulent que le bien des hommes. C’est cela l’éthique d’un musulman.

Lorsqu’un fidèle aperçoit un miséreux devant lui, il se remet immédiatement en question en se disant : « Moi j’aurais pu me trouver dans sa situation et lui aurait pu se trouver à la mienne. » Fort de cette pensée, il est en état d’introspection sachant que les problèmes des hommes sont aussi les siens. Le musulman, c’est celui qui est sensible au sort des hommes et non le contraire ; la morale qui est la sienne lui interdisant l’égoïsme et l’indifférence au sort d’autrui.

Sheikh Sadi Shirazî (qu’Allah sanctifie son secret) raconte cette histoire extraite du « Bostan » :

 » Une nuit, alors que la moitié de Bagdad était en proie aux flammes, un homme confessa :

— Merci mon Dieu, car cet incendie n’a pas touché ma boutique !

Quelqu’un lui répondit :

— Quel matérialiste tu fais ! Tu ne penses qu’à toi ! Est-ce que cela te plaît qu’une grande ville brûle et que ta boutique (ou maison) soit épargnée ? Celui qui, apercevant des hommes attacher des pierres autour de la taille afin de contrer la faim, n’a pas un coeur de pierre ne mangera pas non plus ! Si quelqu’un voit un pauvre avaler son propre sang, comment pourrait-il manger tranquillement ? Si des voyageurs débordant de compassion arrivent à destination avant ceux qui sont restés sur la route, et bien ils ne dormiront pas avant que ces derniers n’arrivent aussi.  »

Voici l’état d’âme des personnes ayant une conscience intérieure. Leur coeur est si sensible qu’elles ne peuvent supporter de voir une créature souffrir, qu’il s’agisse de l’homme le plus glorieux qui existe ou bien de la plus insignifiante des créatures.

Un jour, notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) vit un homme en train de tirer l’oreille d’un mouton pour l’égorger. Son âme se remplit de tristesse (à la vue de cette conduite ignominieuse). Aussitôt il interféra :

— Ne lui tire pas l’oreille, mais tiens-le plutôt par le cou !  » (Ibn Maja, Zabaih, 3).

Une autre fois, notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) croisa en chemin un autre groupe de gens. Ceux-ci étaient en train de discuter de leurs montures. Il les interpella, disant :

— Vos animaux, chevauchez-les sans les fatiguer et laissez-les aussi se reposer tranquillement. Ne discutez pas sur eux comme s’il s’agissait d’objets. Parmi eux il y en a qui sont plus bénéfiques que certains hommes parce qu’ils louent Allah plus que ces derniers. (Ahmed, III, 439).

Ces déclarations prophétiques nous montrent le regard et l’état d’âme que notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) portait aux créatures. À une époque où les hommes étaient loin de leur conscience intérieure, où le matérialisme était au summum et où les comportements emprunts de cruauté dépassaient ceux de la hyène, notre Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) nous enseigne que même les créatures ont des droits et qu’il faut les protéger. Cet exemple nous montre comment l’Islam se révèle être une religion de droit, de justice, de compassion et de piété.

‘Umar Ibn ‘Abdulaziz possédait une mule. Il la faisait travailler et utilisait l’argent qu’il gagnait pour ses besoins personnels. Il avait aussi un employé qui emmenait sa mule au marché. Un jour, il gagna un peu plus d’argent que d’habitude. Il demanda à son employé :

— Comment se fait-il que tu as gagné plus d’argent que d’habitude ?

L’employé lui répondit :

— Il y avait aujourd’hui beaucoup de monde au marché ainsi qu’une certaine abondance (de choses).

N’étant pas très convaincu par la réponse, ‘Umar Ibn ‘Abdulaziz rétorqua :

— Non, ce n’est pas possible, tu as dû la faire travailler plus que d’habitude, elle est épuisée. Fais-en sorte qu’elle puisse se reposer trois jours.

Bayazid Bastamî, un autre fameux ami d’Allah, avait une telle affection pour les créatures qu’il parvenait à ressentir les souffrances que chacune d’entre elles ressentait dans son coeur. Un jour, voyant un âne qui se vidait de son sang à force d’être battu, un filet de sang s’écoula de son mollet.

Dans le coeur de ‘Umar (qu’Allah l’agrée), toutes les créatures représentaient une consignation divine et chaque musulman était responsable de toute chose. Cette théorie était si ancrée en lui qu’il arrivait qu’il se dise à lui-même : « Si un mouton venait à se noyer dans le Tigre, Allah demanderait des comptes à ‘Umar ». Ainsi fut le coeur de ‘Umar, un coeur débordant de compassion.

Soufyani Sevrî, un autre bien-aimé d’Allah, était lui aussi un être rempli de compassion pour les créatures. Un jour, au marché, il vit un oiseau qui chantait dans une cage. Il l’acheta et le libéra. Tous les soirs, l’oiseau lui rendait visite chez lui. Il le contemplait quand ce dernier faisait la prière et parfois il venait se poser sur son épaule. Et lorsqu’il mourut, l’oiseau, ne le trouvant pas chez lui, se rendit au cimetière et se jeta sur sa tombe. Il mourut à cet instant. On entendit ensuite une petite voix dire :

 » En considération de la compassion que Soufyani a fait montre envers les créatures, Allah lui a témoigné beaucoup de compassion.

Parfois nous faisons de toutes petites actions qui peuvent nous paraître insignifiantes, mais tellement elles sont enclines à enchanter notre Seigneur que Lui-même nous offre (en retour) de grands bienfaits. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas négliger les petites actions que nous faisons, même les plus insignifiantes en apparence, parce que chacune d’elle a son importance. Car en effet l’homme a besoin de toutes les oeuvres qu’il accomplit sur terre, petites ou grandes, pour pouvoir bénéficier ici-bas ou dans l’au-delà d’une quelconque aide divine.

Abû Dardâ, un Compagnon du Prophète, était en train de planter des arbres à Damas. Quelqu’un s’approcha de lui et lui dit avec étonnement :

— Toi qui est un ami du Prophète, comment se fait-il que tu es occupé à planter des arbres ?

Abû Dardâ (qu’Allah soit satisfait de lui) répondit à l’homme qui apparemment voulait minimiser son travail :

— Attends un instant. Ne prononce pas de jugement hâtif et rapide sur ce que je suis en train de faire, car j’ai entendu le Prophète dire :

« Si quelqu’un plante un arbre et qu’un individu ou toute créature d’Allah vient à manger de ses fruits, c’est comme s’il avait fait une aumône. » (Ahmed, VI, 444).

Il est vrai que si nous nous mettons à endommager ce qui nous entoure, notre responsabilité en tant qu’êtres humains serait alors engagée. Nos prédécesseurs disaient :  » Couper un arbre jeune, c’est couper la tête », c’est-à-dire que couper un arbre encore jeune et vert est une trahison pour la nature. C’est comme commettre un meurtre.

Parmi les peuples de l’Islam, il y a toujours eu des témoignages d’affection et de compassion à l’égard de la nature et des créatures d’Allah, à tel point que des fondations ont été créées à leur intention. Le but étant d’apporter de l’aide aux plus démunis et d’obtenir la satisfaction d’Allah.

D’après ce que nous avons relevé, nos prédécesseurs musulmans ont créé plus de vingt-six mille fondations, allant des besoins de l’homme jusqu’aux besoins du monde végétal en passant par les besoins des animaux. Ils avaient dans l’esprit que toute la flore et la faune représentait une responsabilité divine. Aujourd’hui, c’est l’un des premiers devoirs de conscience que de s’occuper de son environnement.

Selon la morale islamique, toutes les créatures qui ont été attribuées à l’homme représentent chacune d’elles une responsabilité divine. Chaque créature qui lors du Jugement dernier aura vu son droit bafoué reviendra à la vie et le réclamera. Aujourd’hui, des oiseaux sont emprisonnés dans des cages juste pour qu’on admire la couleur de leur plumage ou leur chant, ou encore ces poissons que nous enfermons dans des aquariums juste pour les admirer alors que demain ils reviendront à la vie pour exiger leur droit. Mais il y a encore pire, ceux qui pratiquent le brûlis pour éliminer les anciennes racines, amenant ainsi à brûler vif de petits animaux qui s’y trouveraient. Enfin, il y a encore malheureusement de nos jours des gens qui organisent des combats de chameaux, de taureaux et de coqs d’une violence si inouïe que demain, lors du Jugement dernier, ces créatures se dresseront devant leur tortionnaire pour demander des comptes. Force est de constater qu’il s’agit là d’un blâme très lourd pour l’homme.

Parmi toutes les créatures qu’Allah a créées, l’homme est celui qui mérite le plus de respect. Il l’a glorifié et mis chaque chose à son service. C’est pour cela qu’il est responsable de toute chose car toute chose lui a été confiée. Il est responsable de toute chose – dans la mesure de ses moyens – qui se trouve dans l’océan, sur terre et dans l’air. Un verset du Coran stipule :

 » Puis, assurément, vous serez interrogés, ce jour-là, sur les délices2. »

En conséquence, qu’ils soient animés ou inanimés, tous les êtres ont droit à un bon traitement.

Les bienfaits que l’on a mis à notre disposition doivent être utilisés sans gaspillage, avec le plus grand respect et de façon sensible, parce que ce sont des bénédictions qu’Allah nous a offertes.

Notre ancien maître vénéré Musa Efendi (qu’Allah bénisse son secret) représentait cette sensibilité, cette finesse, cette bonté et cette grâce qu’il avait pour tout ce qui l’entourait. En effet, ses vêtements, sa façon de se vêtir, sa façon de manger et de boire, même sa façon de tenir un verre étaient pour lui synonyme de responsabilité divine. Notre maître prenait l’habitude d’aider les plus démunis mais n’oubliait jamais dans sa plus grande compassion de nourrir les chiens et les chats des alentours, mais aussi les mouettes et les pigeons qui survolaient son jardin.

Un croyant rempli de compassion doit utiliser tous les moyens possibles et inimaginables mis à sa disposition pour remplir son livre de bonnes oeuvres. Abû Bakr as-Siddîq (qu’Allah l’agrée) a dit :

 » Le monde représente un marché pour le croyant. La nuit et le jour sont des capitaux. Les bonnes actions sont des biens commerciaux. Le Paradis le profit, l’Enfer la perte. »

Il y a deux chemins qui se présentent à l’homme. Le Paradis pour ceux qui ont fait leurs préparatifs pour l’au-delà et l’Enfer pour les bandits. Le bandit est reconnu dans l’au-delà par sa cruauté. »

Un hadith stipule :

 » Le bandit est celui dont le coeur ne possède aucune compassion. » (At-Tirmidhî, Birr, 16/1923).

Seigneur, remplis nos coeurs de compassion et de miséricorde. Permets qu’avec nos mains, notre langue, notre comportement, nous soyons de bons croyants ! Bénis-nous de Tes bienfaits et pardonne-nous nos péchés !

Amin…

1Saint Coran, Yâ-Sîn, 36/26-27.

2 Saint Coran, At-Takâthur, 102/8.

Articles liés

Tags

Partager

Exprimez-Vous