De la Révolution Islamique Iranienne au Printemps Arabe : l’Iran mouvant et la conception chiite au Moyen-Orient

Mar 13, 2019 par

Beytullah Demircioğlu

La révolution iranienne qui a changé de bout en bout la société iranienne est considérée comme l’un des tournants les plus importants du XXe siècle.

Rentré d’exil et sous un grand amour de spectacle le 1er février 1979, l’Ayatollah Khomeiny obtint une importante victoire lors du référendum national, organisé durant environ deux mois, à l’issue duquel il fut nommé « leader religieux et politique du pays à vie ».

C’est ainsi que d’une monarchie constitutionnelle (Mohammad Reza Pahlavi), l’Iran, sous l’égide de l’Ayatollah Khomeiny, se transforma en une « république islamique » s’inspirant des principes visionnaires de la tendance chiite.

Cette révolution réalisée sous le leadership de l’Ayatollah Khomeiny a donné un « coup de cloche » à un grand réveil des mouvements islamiques partout dans le monde musulman et non pas seulement dans le monde chiite.

De la Révolution Islamique au Printemps Arabe qui secoue actuellement les pierres au Moyen-Orient, beaucoup d’eau ont coulé sous le pont. Il y eut de grandes oscillations et d’importants changements en matière de conception et d’avis divers. Dans cet article, nous allons aborder la question de l’Iran mouvant et de la conception chiite en rapport avec le monde sunnite, particulièrement au Moyen-Orient de 1980 jusqu’à nos jours.

« Ni Chiisme ni Sunnisme, il n’y a que la République Islamique »

Peu après la Révolution Islamique Iranienne, « La Chiyya La Sunniya Jumhuri-al-Islamiyya » fut l’un des slogans régulièrement lancé par les Sunnites qui ont salué la Révolution.

De ce slogan, il était évident que beaucoup d’importance avait été accordée au projet de l’Ayatollah Khomeiny portant sur l’union de la Communauté et qu’également, dans une certaine mesure, cela avait traduit une révolte à l’égard du sectarisme conservateur.

Après la Révolution, l’ordre donné consistant à lever l’interdiction d’effectuer la prière derrière les imams sunnites à La Mecque a renforcé une perception plus positive de la Révolution dans certains milieux sunnites.

Les paroles de Khomeiny arguant que la révolution n’était ni chiite ni sunnite attirèrent un regain de sympathie dans le monde sunnite. Il déclara même que ceux qui faisaient cette distinction n’étaient ni chiites ni sunnites, mais servaient les intérêts des Américains.

Dès lors, à partir de cette nouvelle conception, l’exportation de cette révolution menée sous la direction des leaders religieux iraniens commença à être influente.

L’occupation de l’Iraq : une opportunité pour l’Iran

L’occupation du Koweït par Saddam Hussein après la guerre Iran-Irak qui débuta en 1980 et qui s’acheva huit ans plus tard ouvrit la porte à une nouvelle ère au Moyen-Orient. Cette nouvelle ère fut en mesure d’octroyer de nouvelles possibilités à l’Iran.

En 1991, le Koweït échappa à l’occupation irakienne mais prépara consécutivement le terrain à une autre occupation. Les États-Unis, profitant de la situation, se sont vus s’ouvrir largement les portes de la région.

Pendant que le Koweït sous la direction des États-Unis recouvrait sa « liberté ( !) », de sombres jours commencèrent à poindre pour le peuple irakien. L’Irak était divisé en trois régions : les Kurdes au nord, les Chiites au sud, les Sunnites au centre (majoritaires) dont le dirigeant n’était autre que Saddam Hussein et où un important embargo était en vigueur

Puis s’ensuivirent les pas qui grattèrent minutieusement les sensibilités religieuses et ethniques du Moyen-Orient.

Après les évènements du 11 septembre 2001, les États-Unis occupèrent totalement l’Irak. Cette nouvelle ère correspond aux années où cette concurrence classique qui oppose le monde chiite et sunnite se transforma de nouveau en bain de sang et en ruisseau de larmes dans toute l’étendue de l’Iraq ainsi qu’à la période où des recrudescences de troubles, saisissant l’opportunité, germèrent et commencèrent à fleurir.

À la fin de ce processus qui s’est soldé par la pendaison de Saddam Hussein, l’Iran, par l’entremise des États-Unis, put à cet effet échapper à son « mal » qu’il n’avait pu vaincre durant ces huit années de combat.

Au moment où la dernière troupe de soldats américains quittait l’Iraq, elle laissait derrière elle un pays où les divisions sectaires et ethniques étaient bien enracinées. De plus, une administration marionnette prenant toujours position en faveur des objectifs régionaux et universels de Téhéran fut mise en place, imprégnant les concurrents politiques, menant une politique fondée sur les diverses factions religieuses et voyant l’Irak comme une province de l’Iran.

L’occupation de l’Afghanistan et le silence de l’Iran

Pendant qu’une autre occupation mise en place après les événements du 11 septembre 2001 était accueillie dans la colère partout dans le monde musulman, l’Iran demeura dans un silence profond. Prétendant que l’occupation de l’Afghanistan produirait des résultats positifs en sa faveur, les autorités iraniennes n’en sortirent pas perdantes. Ce qui fut estimé se réalisa. L’occupation de l’Afghanistan apporta des résultats positifs pour l’Iran. L’Iran, par l’intermédiaire des États-Unis, s’est sauvé d’un Taliban comme Saddam qu’ils voyaient comme « mal ».

La disparition des Talibans et de Saddam Hussein vue comme un affranchissement de la menace qui pesait sur l’Iran a été perçue et commentée dans le monde sunnite comme un gâteau au miel que les États-Unis auraient accordé à l’Iran. La question se posa alors de savoir s’il s’agissait là, en termes d’action, d’une stratégie consciente ou inconsciente.

La remise à zéro de l’image de l’Iran à l’aune du Printemps Arabe

Le Printemps Arabe ne fut pas seulement un processus de délogement des dictateurs en place, mais aussi un processus accélérant davantage la divergence entre le monde sunnite et le monde chiite. La prise en compte du critère des diverses croyances par les pays concernés pour se décider s’il s’agit d’être derrière les peuples qui se révoltent contre les dictateurs ou bien derrière les régimes dictatoriaux qui versent le sang de leur peuple a été l’une des causes majeures de cette divergence.

Le soutien de l’Iran envers le gouvernement Asad dès les premiers jours de la révolte du peuple syrien n’a surpris personne. C’était d’ailleurs en Iran un pas qui était attendu. Par ailleurs la continuité de son soutien à Asad, voire de son apport tant financier que matériel à cette barbarie sans nom, a été la base d’une colère manifestée contre l’Iran et, plus largement, contre le monde chiite au Moyen-Orient.

En raison de sa politique en Syrie, l’Iran a complètement épuisé le peu de crédit qui lui restait de la sympathie que lui manifestait le monde sunnite depuis la Révolution Islamique.

Dans les rues du monde sunnite d’aujourd’hui règnent une colère inextinguible envers l’Iran et les environnements présentés comme ses extensions. Cette colère se propage onduleusement à travers les moyens de communication de masse et des réseaux sociaux. L’image des leaders libanais du Hezbollah, comme Hassan Nasrallah, celui qui avait connu une grande popularité dans le monde sunnite en raison de la victoire militaire qu’il remporta contre Israël, s’est partout déformée dans les rues majoritairement sunnites du Moyen-Orient.

Les différentes enquêtes actuelles montrent que l’Iran est désormais devenu un pays détesté par ses voisins.

Cette haine consentie envers la politique de l’Iran et du Hezbollah sur la Syrie ouvre davantage d’occasions de favoriser les différences ethnico-religieuses entre le monde sunnite et le monde chiite. Les déclarations réactionnaires de certains imams chiites sur des sujets se rapportant aux Compagnons du Prophète Muhammad () se sont rapidement propagées à travers les médias et les réseaux sociaux.

Réalité et perception sur la politique étrangère de l’Iran

Les Iraniens ont toujours pris ce qui se passe en Syrie comme un complot de l’Occident. Ils ont lié la question de la Syrie à « l’intransigeante politique » du régime d’Asad à l’égard d’Israël

En effet, ils ont rejeté l’idée que ce qui se passe en Syrie soit une révolution, mais au contraire une guerre menée grâce à la complicité de « terroristes » venus de l’extérieur. C’est exactement comme le dictateur Baas qui en son temps avait massacré son propre peuple avec des missiles scud. À cet effet, tout ceux qui critiquent l’Iran le déclarent « partisan de Yazid » et vont jusqu’à le maudire en disant « que Dieu le punisse avec Yazid ». Les dirigeants iraniens accusés de « sectarisme » pour avoir fondé la politique étrangère de l’Iran avec des arguments sectaires ont surtout lourdement pesé sur les régimes sunnites dans les pays du Golfe. Pendant ce temps, la Turquie émit sa part de critiques envers les dirigeants iraniens.

Mais comment les politologues sunnites originaires du Moyen-Orient voient-ils l’Iran ?

Tentons d’apporter quelque éclairage sur la question de savoir comment les intellectuels sunnites voient l’Iran en se référant aux propos de l’article intitulé « vérités er appréhensions dans la politique iranienne », rédigé par le journaliste-écrivain Gazi Altube et publié sur le site d’al-Jazeera.

Après avoir fait l’analyse de la politique menée par les responsables de la politique étrangère iranienne depuis la révolution de Khomeiny jusqu’à aujourd’hui. Gazi énumère certaines fausses perceptions et réalités formées par l’Iran sur la scène politique internationale dont voici la teneur :

La première fausse perception relève de la politique fondée sur l’identité ethnique persane de l’Iran. Selon Gazi, cela ne représente pas une bonne chose. « La réalité, affirme-t-il, c’est que l’Iran est un pays majoritairement chiite et que sa priorité en matière de politique étrangère est l’expansionnisme chiite.

Afin d’accroitre son influence dans la région et partout dans le monde, la République d’Iran a fait du principe de maintenir constamment vivant son rapport de proximité avec la population chiite son cheval de bataille. Elle se bat pour que le nombre de Chiites dépasse celui des Sunnites et aspire à être l’organe de commande de toute la communauté musulmane, l’Oumma. Pour réaliser cette ambition, l’Iran voit comme une occasion historique la conjoncture apparue récemment.

La deuxième fausse perception est le fait que l’Iran affirme qu’il lutte pour la cause palestinienne et qu’il sauvera Jérusalem des mains de l’ennemi. Selon Gazi, l’Iran se sert abusivement de la cause palestinienne pour asseoir sa propre image et ses intérêts régionaux, tout comme le firent certains régimes dictatoriaux arabes dans les années 1960.

La troisième fausse perception est la prétention selon laquelle l’Iran lutte présentement pour l’unité de l’Oumma islamique. Dans le but de renforcer la fausse perception allant dans ce sens, l’Iran organise régulièrement des séminaires, des activités et des réunions avec des leaders religieux qui affichent de la sympathie envers le régime en place

Pourtant, les efforts de l’Iran pour exporter la doctrine chiite dans les pays régionaux ont entrainé davantage de division au sein de l’Oumma que d’unité. Le régime iranien actuel a fait naître des dégâts très sérieux sur la structure sociale du pays. Dans certains pays majoritairement musulmans, ces dégâts ont pris des allures de conflit armé, tout comme au Yémen. De sérieux conflits se sont développés entre les Yéménites et les Husi, ces derniers ayant bénéficié de toutes sortes de soutiens de la part de l’Iran, jusqu’à recevoir des armes. Tout comme en Irak, des dizaines de milliers de Chiites ont péri suite à des conflits sectaires.

La quatrième fausse perception est relative à la politique anti-américaine de l’Iran. Selon les déclarations de Gazi, cela est faux ; ce qui est vrai en revanche, c’est la coopération secrète et manifeste de l’Iran avec les États-Unis. De cette coopération secrète, Gazi met en évidence le scandale de l’Irangate apparu à l’époque de Ronald Reagan en 1986. Quant à la coopération manifeste États-Unis-Iran, l’auteur montre l’exemple de l’Irak et de l’Afghanistan et justifie cette démonstration par les déclarations politiques et des militaires iraniens.

Certes, l’auteur souligne que les États-Unis sont hostiles à l’Iran à cause des activités nucléaires que ce dernier mène. La raison en est que les États-Unis ne désirent pas qu’il y ait un autre pays puissant dans la région. En revanche, ils ne voient pas d’un mauvais œil l’idée d’un Iran plus puissant que les autres pays de la région.

Sur ce point, Gazi fait le constat suivant : « Selon les politologues américains, les Sunnites sont plus fanatiques que les Chiites, cela se justifiant par le fait que les leaders de l’organisation qui a fomenté les attentats du 11 septembre 2001 soient des Sunnites. À cet effet, ils eurent l’idée que le meilleur moyen de garder sous contrôle la faction sunnite (dans l’idée de la conduire à l’instabilité) était de provoquer un conflit entre Chiites et Sunnites. Ces politologues pensaient pouvoir empêcher l’union de l’Oumma islamique en utilisant les divergences existantes entre les deux factions majeures de l’islam. »

Le pas dangereux de Bahreïn

Composé de 80% de Chiites et ayant réprimé deux ans auparavant des manifestations hostiles au régime au moyen de chars envoyés depuis l’Arabie Saoudite, le Royaume de Bahreïn, en tant qu’instigateur des mouvements qui se sont intensifiés dans la capitale Manama, ajouta le Hezbollah libanais sur sa liste des organisations terroristes.

Suite à cette décision, Bahreïn, qui avait accueilli à domicile la 5e flotte des États-Unis, fut le premier pays arabe ayant qualifié le Hezbollah de « terroriste ». Il en ressort que les autres pays du Golfe ne vont pas tarder à effectuer une démarche similaire. À titre d’exemple, à l’époque il était entendu que le parlement koweïtien inclût le Hezbollah dans la liste des « organisations terroristes », et ce dans un délai très court.

Suite à cette décision évidemment prise sous les directives des États-Unis d’Amérique et probablement aussi par le Koweït, il va sans dire que la tension aura tendance à s’accroître entre le bloc chiite ayant l’Iran pour défenseur et le bloc sunnite qui a à son compte l’Arabie Saoudite comme pays leader.

Quand on analyse cette décision dans son ensemble en tenant compte des accords de vente d’armes d’une valeur d’un milliard de dollars que les pays du Golfe ont signé avec les États-Unis, il ne sera pas compliqué de prévoir que les eaux se réchaufferont suffisamment dans le Golfe. En effet, le ministre américain de la défense, Chuck Hagel, après qu’il eut effectué sa première visite en Israël juste après sa prise de fonction et au cours de laquelle une vente d’armes à hauteur de dix milliards de dollars fut conclue, annonça par ce biais un message clair et évident à destination du régime iranien.

Quelle que soit l’erreur ou l’inacceptabilité de la position de l’Iran et du Hezbollah concernant le drame humain qui est en train de se jouer en Syrie, à nos yeux il serait tout aussi faux d’affirmer que les pays du Golfe n’ont pas pris cette décision de leur propre chef. Il va sans dire que cette décision engendrera une grande hostilité entre les deux blocs. Quant aux résultats qui émergeront de ce règlement de compte chiite-sunnite, il va sans dire également que cela tournera au bénéfice d’Israël.

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