De la lecture communautaire du Coran (al-muqâbala)

Mar 13, 2019 par

Prof. Dr. Ali Osman Yüksel

La muqâbala est un phénomène relié à une certaine forme de lecture. C’est la façon dont les différents messages divins sont présentés et soumis dans le Coran. C’est la méthode d’annonce la plus efficace de la révélation. Car la révélation divine est transmise indéfectiblement à l’humanité par ses propres modèles, à la condition bien sûr que ladite révélation soit effective selon les règles de tajwid qui lui sont propres et les éléments liés à la belle récitation !

L’origine de la Muqâbala

 

La Muqâbala, définie dans son expression la plus simple, est le phénomène de lecture du Coran que les hafiz effectuent à la mosquée ou dans d’autres lieux réputés purs (c-à-d exempts de toute souillure). Le hadith suivant a été rapporté par Fâtima (que Dieu l’agrée) :

 

« Mon père, le Prophète de Dieu, m’a dit discrètement la chose suivante : “ Chaque année l’Ange Gabriel récite une fois le Coran avec moi. Or, cette année, on l’a récité deux fois. Ma fille, je crois par-là que le terme de ma vie est proche”. »[1]

 

Le terme « muqâbala » porte aussi le sens de « vœu » et d’ « appel ». Le professeur Kamil Miras (mort en 1957) a dit que : « Pendant l’année où eut lieu l’Hégire prophétique, l’Ange Gabriel (Jibril) a fait une annonce et un vœu sous forme de dernier message adressé au Prophète. On nomme cette annonce et ce voeu « arza-i-ahira[2]». Par conséquent, c’est lors de la présentation du dernier vœu que les formes de lecture du Coran furent déterminées.[3]

Le Coran fut révélé au Prophète (pbsl) verset par verset. La place de chaque verset révélé ainsi que la sourate dans laquelle celui-ci devait être inséré lui furent indiquées par l’Ange Gabriel (Jibril, sur lui la paix). Le Prophète à son tour faisait écrire des copies par l’intermédiaire de scribes et les hafiz les mémorisaient en même temps. Ainsi donc, le Coran, écrit et mémorisé à travers une telle attention, a permis que l’Ange Jibril et le Prophète s’entretinssent à son sujet et le répétassent ensemble afin d’en tirer des leçons.[4]

Par conséquent cela laisse supposer que la muqâbala correspond à la lecture du Coran et à sa portée significative, entraînant le questionnement et la réalisation d’audiences pour pouvoir réaliser l’étude, la révision et l’enseignement de ce travail de lecture.

Une vertu inestimable

 

Nous pouvons comprendre davantage le sens de muqâbala et sa valeur inestimable à partir du hadith ci-dessous (d’Abû Hurayra, rapporté par Muslim) :

« Si un groupe de gens se rassemble dans une des maisons d’Allah (mosquée) pour réciter le Coran et pour l’étudier, alors, la sérénité tombera sur eux, la miséricorde les enveloppera, les anges les entoureront, et Allah les mentionnera chez ceux qui sont auprès de Lui. Celui dont les œuvres ne valent rien, sa postérité ne le sauvera pas. »

 

Selon cette contingence déterminant les lieux dans lesquels la lecture dite muqâbala doit être organisée, les autres vertus octroyées à tous ceux qui se familiarisent avec le Coran demeureront toujours les leurs tant qu’ils demeureront fidèles à leur attachement au Coran. En revanche, cette sérénité bénie et la proximité des anges se retireront s’ils se détournent de cet engagement et orientent leur attention sur autre chose que le Coran, se privant de la sorte de toute grâce divine. Quelle perte énorme, n’est-ce pas ? Pour ne pas être victime de cette perte, n’est-il pas nécessaire que ceux qui s’engagent dans une lecture de type muqâbala ainsi que les auditeurs concernés soient sincères et sages tout en se préservant de toute conduite distractive ?

Abdullah ibn Abbas rapporte :

« Les anges, à travers leurs ailes, ombragent ceux qui se réunissent dans les maisons pour y réciter le Coran et continuent leur récitation dès qu’ils en sortent. C’est à ce moment-là qu’ils deviennent les hôtes d’Allah. Cependant cette faveur demeure tant qu’ils ne s’éloignent pas de cette pratique. »[5]

Bien plus, nous trouvons ces paroles selon une narration d’Abû Said qui les tenait lui-même d’Atiyya : « Allah mandate des anges spéciaux à l’attention de ceux qui participent à la lecture muqâbala afin de se repentir. »[6]

 

Qu’est-ce que la sérénité (sakina) ?

 

En ce qui concerne la signification de la sérénité telle que nous l’avons soulignée dans le hadith :

Usayd ibn Hudayr a dit : « J’étais en train de lire la sourate al-Baqara lorsque je levai la tête au ciel et vis arrivant sur moi un nuage en forme de parapluie. À l’intérieur du nuage brûlaient des lumières colorées. Ensuite le nuage monta dans l’espace cosmique et disparut de mes yeux. Lorsque je fis part de cet évènement au Messager de Dieu, celui-ci me dit :

  • De quoi s’agissait-il ? As-tu pu le savoir ?
  • Non, Messager de Dieu, répondis-je. Cela ressemblait à une communauté d’anges.
  • C’est à cause de ta voix magnifique, me dit alors le Messager de Dieu. Lorsque tu étais en train de lire le Coran, des anges se sont approchés de toi. Si tu avais continué la lecture jusqu’à l’aube, ils auraient passé la nuit en ta compagnie. De plus, les gens les auraient vus et ils n’auraient pas pu se cacher d’eux. »[7]

Par conséquent, qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la sérénité, c’est écouter ceux qui font la lecture du Coran, c’est se couvrir de leurs ailes, leur faire don de nous-mêmes et, ensemble, avec les auditeurs, se protéger des différents dangers au moyen d’une communauté d’anges suscitée par Dieu. C’est pourquoi lorsque la sérénité et la paix, la dignité et l’amour-propre, la bénédiction et la vertu, l’alliance et l’amitié sont accordées aux musulmans qui, forts de cette pensée, participent à la lecture dite muqâbala, ils échappent également à certains troubles, aux peurs et aux soucis, à la violence et à la terreur, aux problèmes mentaux et spirituels, des dilemmes et des impasses, des sentiments de haine et de vengeance, du stress lié à notre époque. Comme a dit le poète :

 

Chaque fois que tu es chagriné et empli de violence,

Récite le kalamullah, tu recouvriras la joie et tu seras heureux.

 

Les éléments indiqués lors du muqâbala :

Le premier élément, c’est l’auditeur, c’est-à-dire un élève ou un étudiant par exemple. Notons qu’écouter le Coran est considéré comme un acte d’adoration au même titre que sa lecture. Toute adoration doit être faite pour Dieu. Le deuxième élément, c’est le talî ou le qarî pratiquant la lecture dite muqâbala, autrement dit l’annonciateur ou le héraut. Celui-ci peut également être appelé maître (hodja).

 

Lire le Coran avec conscience

 

Maintenant j’aimerais attirer l’attention sur quelques indications relatives à la classification de personnes impliquées dans des lectures de type muqâbala :

Dans l’ouvrage intitulé « Ahlakû ahli’l-Qur’an » d’Abû Bakr Mohammad ibn al-Ajurî est mentionné un hadith rapporté par Abû Said al-Khudrî : « Dans les années ultérieures viendra une génération qui perdra sa prière et dépendra de sa sensualité. Les gens qui composeront cette génération seront jetés dans la gayya le Jour du Jugement. Puis viendra une autre génération qui lira le Coran. Mais le Coran que ces gens liront ne dépassera pas leur larynx. Il y a à cet effet trois catégories de lecteurs du Coran : 1 – les fidèles qui lisent et qui pratiquent ; 2 – les hypocrites qui lisent sans y croire ; 3 – les commerçants qui lisent le Coran et le vendent comme un métal commercial. 

Certes, lisez le Coran et demandez à Dieu le Paradis à travers cela. Faites-le avant que ne vienne ce temps durant lequel le Coran sera vendu comme un produit commercial. Sachez que ceux qui apprennent et qui lisent le Coran appartiennent à trois catégories : 1 – certains l’apprennent et le lisent pour parader devant les autres ; 2 – certains l’apprennent et le lisent pour en faire un fond de commerce ; 3 – certains l’apprennent et le lisent pour la satisfaction de Dieu. »[8]

 

À quelle catégorie appartenez-vous ?

 

Hasan al-Basrî a dit que « ceux qui lisent le Coran appartiennent à trois catégories. La première, ce sont ceux qui le lisent, mais ce qu’ils font, c’est le transporter de marché en marché et d’un endroit à un autre pour le vendre comme un produit commercial. La deuxième, ce sont ceux qui ne se limitent qu’à ses lettres et ponctuations, ils ne tendent jamais l’oreille aux sens et aux limites qu’il trace. Ils se disent : “Je lis bien le Coran, je ne fais jamais d’erreur de prononciation ni de ponctuation. ”Chose que vous verrez seulement dans les cimetières… Par Dieu, je jure que ces gens sont des personnes orgueilleuses qui se glorifient excessivement. La troisième, ce sont ceux qui se consacrent jour et nuit au Coran et à sa mémorisation. Ils renoncent à tous les vœux et plaisirs à cause de cette activité. Ils se livrent à son enseignement qui est source de vie ; tout ce qui y est considéré comme illicite, ils le respectent, et tout ce qui est considéré comme licite, ils le conçoivent aussi. D’ailleurs, Dieu le Très-Haut nous protège de nos ennemis à cause du respect que ces derniers ont eu (à l’égard du Coran). Il (Dieu) fait pleuvoir sur nous à cause du respect qu’ils ont eu (à l’égard du Coran). Mais dès lors on remarque que ceux qui se comportent ainsi vis-à-vis du Coran sont de Kibrit-i Ahmet ; autrement dit, ils sont très peu nombreux et particulièrement précieux. »[9]

Conduite à adopter lors de la lecture du Coran

Lors de la lecture dite murâqaba, respecter la conduite relative à l’audition du Coran est à la fois une responsabilité et un devoir qui incombent à la communauté. Étant donné que le lecteur écoute en même temps qu’il lit, celui-ci doit aussi se conformer assidument à cette conduite.

Voici quelques-unes de ces règles de conduite :

1 – Faire silence – Écouter.

2 – Ne pas ressembler aux incroyants.

3 – Renforcer sa foi.

4 – Méditer.

5 – Verser des larmes.

6 – Pratiquer.

En effet, la première conduite que doit adopter la communauté, c’est faire silence et écouter. Cette attitude est comprise à partir du commentaire relatif au verset coranique : « Et quand on récite le Coran, prêtez-lui l’oreille attentivement et observez le silence, afin que vous obteniez la miséricorde (d’Allah). »[10] L’écouter de manière rationnelle et consciencieuse en tendant l’oreille ne signifie pas fermer les yeux à son endroit comme le décrit le verset précité, sinon : « (Et) quand on lui récite Nos versets, il tourne le dos avec orgueil, comme s’il ne les avait point entendus, comme s’il y avait un poids dans ses oreilles.» [11] Car écouter le Coran en adoptant une telle conduite à son endroit n’est rien d’autre que le tourner en dérision. « Fais-lui donc l’annonce d’un châtiment douloureux.»[12] Autrement dit, ce qu’on attend des auditeurs du Coran, c’est qu’ils l’écoutent comme il faut et s’y conforment de la meilleure manière.

[1] Traduction du Sahih-i Buharı Muhtasarı Tecrid-i Sarih , 11/231 (traduction : Kamil Miras), 2e édition , edit dib. , Ank. 1972.

[2] Ibid., 7/318.

[3] Ibid., 7/316.

[4] Muslim, Jami’uas-Sahih, 3/2074 (Çağrı Yayınları, İst.- 1982) Hadith n°: 2699. Pour une compréhension plus large de ce hadith, voir Abdullah SIRACÜDDİN, Tilavetu’l-Kur’an’i’l-Mecid56-60.

[5] Ibid., 59.

[6] Ibid.

[7] Bukharî, Bab :2 (VI, 106); Muslim, 1/548-49; 3/2074; Az-Zurkanî, Sherhu’l-Muwvatta’, Babu majae fii’l-Kur’an, 1 /368-69.

[8] Al-AJurî, Ahlaku hameleti’l-Kur’an, 52-53; 64-65.9.

[9] Ibid. 

[10] Coran, al-Ar’af, 7/204.

[11] Coran, Luqman, 31/7.

[12] Coran, Luqman, 31/7 ; al-Jathya, 45/7-8.

Articles liés

Tags

Partager

Exprimez-Vous